jeudi 21 novembre 2024

Procès du putsch de septembre 2015 : Raso l'acteur apporte des preuves des exactions commises le 16 septembre 2015 et jours suivants

raso uneAu tribunal militaire de Ouagdougou, l’audition des témoins suit son cours. Ce mercredi 30 janvier 2019, c’est le cinéaste burkinabè Rasmané Ouédraogo, dit Raso, qui a été appelé à la barre. Selon ses témoignages, il a assisté de visu aux violences et exactions contre des jeunes par des éléments de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle. Par devoir de mémoire et pour l’histoire, il a même réussi à filmer certaines scènes dramatiques.

« L’élément qui m’amène ici, c’est la vidéo que j’ai faite au cours des évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants, sinon, je n’ai aucun lien avec lesdits évènements », a précisé d’entrée de jeu le cinéaste burkinabè Rasmané Ouédraogo, dit Raso, lorsque le président du tribunal lui a demandé ce qu’il savait des évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants. Et parlant des circonstances de réalisation de cette vidéo, le témoin a expliqué l’avoir faite sous sa fenêtre lorsque des militaires du RSP à pied s’en sont pris à des jeunes dans un kiosque sous sa fenêtre. « Ils les frappaient avec la main droite, puis avec la main gauche selon que l’une ou l’autre soit fatiguée. Ils les frappaient dans tous les sens avec des ceinturons et des cordelettes. D’autres éléments à bord d’un véhicule sont venus leur prêter main-forte pour bastonner ces jeunes qui n’étaient même pas des manifestants. Il y avait parmi ces jeunes un enfant qui fouillait les poubelles. Tous ont été mis à terre et ont subi les mêmes supplices. J’ai pris mon téléphone pour filmer, car c’est mon outil historique de travail. C’était une manière pour moi de montrer qu’il y a eu vraiment des violences pendant cette période », relate le témoin tout indigné.

Le cinéaste a par la suite mis le film de ces exactions sur Facebook. Une publication qui lui a valu, selon ses dires, des intimidations et  des menaces de toutes sortes. Sollicité par la chaîne de télévision France 24, l’homme des scènes se rassura des implications juridiques avec sa fille aînée, juriste à Paris, qui lui conseilla de démultiplier ce « scoop » qu’il détenait.

raso2Le sexagénaire affirme avoir filmé ces scènes dramatiques sans pour autant connaître personnellement les bourreaux et les victimes. « Je ne connaissais ni les militaires, ni ceux qui ont été violentés. Je sais seulement que c’était des jeunes. Et parmi eux il y avait un enfant qui fouillait la poubelle. Ils ont tous été battus. J’ai beaucoup été touché et peiné par cela. J’étais révolté de voir qu’on utilise le matériel, les outils du peuple contre le peuple. Je ne serai jamais d’accord avec cela. Voilà pourquoi j’ai filmé », insiste-t-il, avant d’être formel que dans son quartier à la cité An III, ce sont seulement les hommes en tenue léopard qui terrorisaient les populations. « Les militaires qui bastonnaient les jeunes portaient la tenue du RSP… De tous les films des évènements que j’ai eu à visionner, ce sont seulement les éléments du RSP qui commettaient des exactions », précise-t-il.

Ce témoignage et ces preuves matérielles des exactions données par Rasmané Ouédraogo sont comme pain béni pour le parquet et les avocats de la partie civile. En effet, durant leur passage à la barre, les accusés n’ont pas voulu reconnaître avoir molesté les manifestants. Pour eux, d’autres forces avec des desseins macabres étaient sur le terrain et veulent faire porter le chapeau de leur sale besogne aux éléments du RSP. « Le témoignage de Monsieur Ouédraogo est d’une extrême importance, car il nous amène à balayer définitivement le fait que des gens à dessein voulaient semer le doute en disant qu’il y avait  d’autres forces sur le terrain et que celles qui ont commis les exactions ». Pour la partie civile également, ce témoignage montre à suffisance que contrairement aux déclarations  des accusés, il y a bel et bien eu des dispersions, des bastonnades, des tirs et non un contrôle de zone. « De la dispersion, ils en sont venus à exercer des violences sur les jeunes », a insisté Me Néya.

Toutefois pour la défense, ce seul témoignage de l’homme de culture ne peut être généralisé pour faire plonger les accusés. « La cité An III n’est pas représentative de la ville de Ouagadougou et ne saurait traduire avec exactitude tout ce qui se passait dans la ville au moment des faits. On ne peut pas prendre des images tournées dans un quartier pour dire que c’est en général ce qui se passait dans la ville le 16 septembre et jours suivants », a estimé Me Yelkouni.

Pour ce témoin qui vient de lever un coin du voile de cette affaire, les évènements du 16 septembre et jours suivants doivent servir de leçon pour la postérité. « Désormais tout se sait, tout se voit. Les technologies sont là pour ça. Quand on pose un acte, soyons sûr qu’on sera rattrapé. C’est une leçon pour tous. Il n’y a pas qu’on m’a dit de faire. L’image montre celui qui fait l’action et non celui qui a envoyé. Cela montre que ma génération a échoué. Nous avons failli et nous devons travailler à nous racheter. Je me condamne et me donne une bouée de sauvetage. Malgré mon âge avancé, j’étais dans la rue pendant cette période, car je ne trouvais pas juste de laisser ces jeunes seuls face à la soldatesque Je suis mal à l’aise, car je suis des deux côtés : j’ai des amis parmi les blessés et les familles des victimes, mais aussi parmi les accusés. Cela me peine. Il faut que cela s’arrête maintenant. Il faut qu’on se pardonne et je suis à cela aujourd’hui », a-t-il insisté.

Avant de quitter la barre, l’homme des scènes n’a pas manqué de marteler que les preuves qu’il apporte dans cette affaire n’ont nullement pour but d’accabler quelqu’un, mais sont sa façon d’apporter sa pierre à la manifestation de la vérité de ce pan de l’histoire du pays qui a marqué des familles à vie. Toute chose que le parquet militaire n’a pas manqué de saluer et de s’en féliciter car, dit-on, une image vaut mille mots.

Candys Solange Pilabré/ Yaro

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