Le corps calciné du journaliste Norbert Zongo a servi d’autel pour l’édification d’une véritable liberté de presse au Burkina Faso. Le tort du directeur de publication de l’hebdomadaire « L’Indépendant » a été d’avoir mené des investigations qui convergeaient vers les salons feutrés de François Compaoré, frère cadet du désormais ex-chef de l’Etat Blaise Compaoré. Des témoignages précis et le rapport du collège de Sages au sujet de ce crime odieux sont formels : ce sont des militaires du Régiment de sécurité présidentielle dissous courant 2015 qui ont, sans état d’âme, brisé pour toujours la plume du journaliste qui empêchait « le petit président » et sa famille de dormir en toute quiétude. Norbert avait juste l’intention de comprendre les causes réelles de la mort suspecte de David Ouédraogo, chauffeur de François Compaoré. Après avoir survécu à des tentatives d’empoisonnement pensées par des tueurs à gage, il n’a pu échapper au fatal guet-apens qui lui fut tendu le 13 décembre 1998. Le Directeur de publication revenait de son ranch, à Sapouy, dans la province du Ziro, avec à bord de son 4X4 trois compagnons d’infortune. Depuis, l’enquête édulcorée d’un mélodrame politico-juridique tourne au ralenti.
Vingt longues années sont passées. La détermination des partisans d’une justice pour Norbert Zongo n’a quasiment pas pris de rides. Cet engagement, porté surtout par la société civile, a pour corollaire la mise en place d’institutions prônant le respect des droits humains au Burkina Faso. On peut l’affirmer, l’époque du « Si tu fais on te fait et puis il n’y a rien ! » est révolue. Des journaux d’investigation foisonnent et paraissent régulièrement. Leur liberté de ton et la pertinence de certains articles demeurent des piliers incontournables de la bonne gouvernance.
« L’opinion publique est à la presse ce que la sève est à l’arbre », soulignait Norbert. Que vaut la liberté de presse quand la vérité du journaliste est avalée comme de vulgaires brochettes assaisonnées d’une bière ou de liqueurs frelatées dans les maquis et autres gargotes du pays ? Quelle valeur a un journaliste quand, de sa plume mercenaire, il écrit pour contenter les grands du moment et surtout pour répondre à l’appel pressant d’une panse qui crie constamment famine ? Les intimidations radicales, les tentations grotesques et les manipulations machiavéliques conduisent à la censure. Le principe de cohésion sociale, brandit sous le sceau du « toute vérité n’est pas bonne à dire », contraint le journaliste à une pudique autocensure. Dans le secret de ses productions, l’homme de média est conscient que chaque virgule mal placée pourrait signifier sa mort atroce. Norbert Zongo ne connaissait ni d’Adam ni d’Eve David Ouédraogo, pour qui il s’est pourtant battu, allant jusqu’au sacrifice suprême. Qu’a-t-on fait pour le Journal du supplicié ? « L’Indépendant », après une ultime agonie solitaire, ne paraît plus. L’hebdomadaire était une entreprise privée, un bien familial. Des tentatives pour sauver ce symbole de la liberté d’expression sont restées lettre morte. L’université de Koudougou et un centre de presse portent aujourd’hui le nom de Norbert Zongo. En essayant « d’effacer » l’illustre journaliste, ses bourreaux, inconsciemment, l’ont au contraire immortalisé. Mais son journal doit lui survivre. « L’Indépendant », tel un phœnix, doit renaître des cendres de son géniteur. Le Centre national de presse Norbert Zongo (CNP-NZ), en concertation avec la famille de l’illustre héraut, doit résolument s’y engager. Une partie de la subvention qu’il reçoit de différents bailleurs pourrait être consacrée à une telle initiative. La vocation du centre ne saurait se limiter à la formation des hommes et femmes de médias ou à l’organisation d’évènementiels. Le canard pourrait ainsi être un véritable organe école d’enquête au service des jeunes journalistes. La rigueur dans la production d’articles et la transparence dans sa gestion financière feraient de « L’Indépendant » « ressuscité » un média à succès qui pourrait contribuer à l’autonomisation économique du centre. Les subventions ne sont pas éternelles et sont antinomiques à l’épithète « indépendant ».
Boubié Richard Tiéné
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