Seule une infime partie des 400 millions d’euros promis pour le financement de la force conjointe a été déboursée. Les 100 millions de dollars de l’Arabie saoudite serviront à acheter exclusivement des armes françaises.
Le sommet du G5 Sahel qui se réunit jeudi (6 décembre) à Nouakchott sera consacré au volet développement. Mais avant cela, le financement de la partie militaire a prouvé la complexité de ce type de montage international.
"L’Arabie saoudite souhaite acheter des armes françaises." En confirmant l’information, ce haut fonctionnaire français ne va pas au bout de sa phrase. En vérité, c’est Paris qui insiste pour que les 100 millions de dollars promis par Riyad à la force militaire conjointe du G5 Sahel (FC-G5S) soient utilisés pour faire tourner l’industrie militaire française.
Particulièrement recherchés : le blindé Aravis du fabricant français Nexter, anciennement Giat Industries, le véhicule des forces spéciales Bastion d’Arquus (l’ancien Renault Trucks Defense) ou les installations militaires du groupe Utilis.
Au centre de ce marchandage : la grande offensive stratégique de l’Arabie saoudite en Afrique à laquelle la France ouvre les portes, en échange de solides contrats militaires.
"On permet à l’Arabie saoudite de s’insérer dans une zone avec l’approbation de la France et en échange, ce pays finance la vente d’armes française", explique Tony Fortin de l’Observatoire des armements. "C’est-à-dire que vous avez un alignement dans la politique par rapport à l’Afrique. La France souhaite se créer de nouveaux marchés d’armements après le Yémen. Aujourd’hui, on essaye de profiter d’une nouvelle opportunité qui est le G5 Sahel."
"L’Arabie saoudite et la France ont un accord spécifique sur la question", confirme le Secrétaire permanent du G5 Sahel, Maman Sidikou. "Le problème ne se pose pas à ce niveau-là. Pour nous c’est un soutien de l’Arabie saoudite à la force conjointe et qui sera exclusivement réservé à l’acquisition de matériel militaire commandé à la France."
Contacté, l’état-major des armées françaises n’a "aucun commentaire à formuler concernant l’utilisation par la force conjointe du G5 Sahel de fonds saoudiens."
Mais celui-ci ajoute que concernant la participation de la France, "depuis le début de l’été 2017, 12,8 millions d’euros ont été versés dont 9,4 millions par les armées et 3,4 millions d’euros par la Direction de la coopération de sécurité et de défense."
12,8 millions d’euros de livraison de matériel contre des contrats de vente d’armements pour 100 millions de dollars : jusqu’ici le G5 Sahel, dont la création a été promue par Paris, semble une bonne affaire commerciale pour la France.
Mais pour mieux comprendre ces montages financiers, il faut retourner neuf mois en arrière.
Le 23 février dernier, la communauté internationale se met en scène dans la lutte contre le djihadisme en Afrique.
Ce jour-là, à Bruxelles, se déroule une Conférence internationale sur le Sahel sous l’égide du président de la République du Niger, également président en exercice du G5 Sahel, Issoufou Mahamadou, du président de la Commission de l’Union africaine, Moussa Faki Mahamat, du Secrétaire général des Nations unies, António Guterres, et du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker
A l’issue de cette réunion "de haut niveau", l’humeur est excellente. L’Union européenne s’engage en effet à verser 100 millions d’euros pour la force militaire du G5 Sahel, même somme pour l’Arabie saoudite mais en dollars, tandis que les Etats-Unis évoquent 60 millions de dollars – Washington augmentera par la suite cette somme à 110 millions mais sous forme d’aides bilatérales.
"Des annonces cumulées de 414 millions d’euro ont été faites dont 176 millions d’euros de la part de l’Union européenne et de ses Etats membres, y compris 100 millions d’euros de la Facilité africaine de paix", peut-on lire sur le site de de la Commission européenne.
Mais quatre mois plus tard, le 29 juin, le quartier général de la force conjointe, le contingent militaire du G5 Sahel (1), subit une attaque suicide à Sévaré, au Mali. Celle-ci va porter un coup sévère aux efforts visant à rendre cette force opérationnelle – elle devait l’être en mars 2018 – et conduire à suspendre ses opérations.
A ce jour, seules six opérations militaires conjointes ont été conduites et celles-ci sont "principalement financées par les contributions des cinq pays du G5 Sahel, le Mali, le Niger, le Tchad, la Mauritanie et le Burkina Faso", assure une source proche du dossier.
Car le secrétariat permanent du G5 Sahel, basé en Mauritanie, ne cesse de le répéter : l’argent promis par la conférence de Bruxelles n’arrive pas.
Les Nations unies confirment d’ailleurs ce retard dans les décaissements.
"A ce jour, près de 50% des contributions annoncées n’ont pas été réservées et encore moins décaissées. J’exhorte les donateurs à honorer leurs engagements", a déclaré le 16 novembre, lors d’une réunion du Conseil de sécurité consacré à la force conjointe du G5 Sahel, le Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix, Jean-Pierre Lacroix.
Mais dans ce dossier les chiffres se contredisent. Un rapport des Nations-unies du 12 novembre avance la somme de 190,7 millions d’euros décaissés sur les 414 millions promis par les partenaires internationaux.
Maman Sambo Sidikou, le Secrétaire permanent du G5 Sahel, avance pour sa part la somme de "17,9 millions d’euros en équipements et services (…) en plus de l’assistance technique des partenaires tels que l’Union européenne et l’Union africaine."
Maman Sidikou précise que ces chiffres sont "évolutifs mais nous nous en tenons pour l’instant juste à ce qui a été livré comme équipement et services rendus à la force."
Selon les calculs réalisés par la DW, et en comptant à la fois l’aide financière et celle qui repose sur la livraison de matériel, la totalité des versements atteindrait 55 millions d’euros, soit 13% des sommes promises en février dernier.
"Quasiment rien n’a été versé à ce jour, seulement quelques millions", ajoute la même source proche du dossier.
Le G5 Sahel, combien de divisions ?
Cette confusion autour des chiffres s’explique par le fait que les responsables politiques mêlent souvent de deux choses différentes : la livraison de matériel et le virement de montants financiers.
Pour ce qui concerne la livraison de matériel, cela concerne surtout la délivrance d’équipements non létaux par l’Union européenne, dont 43,7 millions d’euros dont déjà été versés. "Le processus de délivrance des fonds est en cours pour un autre montant de 70,6 millions d’euros", ajoute une source bruxelloise.
Expertise France, une institution publique habilitée à organiser la distribution de ce type d’aide, est notamment chargée de passer les commandes pour l’aide financée par l’Union européenne.
Par ailleurs, un accord technique a été signé le 23 février 2018 entre l’UE et les Nations unies pour délivrer, grâce à la Minusma, la force militaire de l’ONU présente au Mali (10.000 hommes), un "support opérationnel et technique" à la force militaire du G5.
A ce jour, 10 millions d’euros ont été budgétés de la Facilité de paix pour l’Afrique (un partenariat UE-Union africaine) pour assurer aux soldats du G5, grâce à la Minusma, leurs rations alimentaires, l’alimentation en carburant de leurs véhicules ou des évacuations sanitaires aéroportées.
L’ironie de l’histoire est que la Minusma a elle aussi des soucis de budget pour assurer son soutien logistique au G5. Ainsi, l’ONU rappelait début novembre que sa force militaire au Mali a "seulement reçu l’engagement européen de 10 millions d’euros (…) sur les 44 millions de dollars que représente le budget de deux ans nécessaire à son soutien logistique et opérationnel aux forces du FC-G5S déployées sur le territoire malien."
Enfin, il y a le second volet et il concerne le virement de montants financiers. Pour les réceptionner, un fond fiduciaire a été créé à Nouakchott, en Mauritanie, où est basé le secrétariat du G5 Sahel.
Selon le Secrétaire permanent, Maman Sidikou, ce fond n’a reçu à ce jour "des contributions que de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), du Rwanda et récemment des Emirats arabes unis qui ont contribué à hauteur de dix millions de dollars à ce fond."
En cumulant ces trois contributions, on atteint seulement la somme de onze millions et demi d’euros. Pourquoi les crédits tardent-il donc à arriver ? S’agit-il d’un phénomène assez répandu de "lenteur administrative", comme l’a affirmé le Secrétaire permanent du G5 Sahel, Maman Sidikou ?
L’obstacle principal à l’arrivée des financements est en réalité lié au fait que les partenaires internationaux hésitent à virer l’argent sur ce fond. Ils réclament auparavant un meilleur contrôle des sommes allouées.
La France fait une priorité de la transparence dans la gestion des fonds", explique un diplomate. Les différents bailleurs souhaitent être associés à la gestion du fond fiduciaire et notamment garder un œil sur le Comité de soutien qui vient d’être mis en place et dont le financement doit être assuré par l’Union européenne.
Composé d’une "douzaine de membres, dont deux par pays du G5", ce comité est chargé de recevoir les requêtes du commandement militaire, de les évaluer et de passer les commandes.
"Oui, il s’agit d’une volonté mutuelle du G5 Sahel et des partenaires soucieux de mieux assurer la gestion des fonds", confirme Maman Sidikou, ajoutant que son conseiller principal sur la question est un financier militaire français, le commissaire Pierre-Olivier Quatrepoint, chargé de "veiller à la mise en place des structures du Comité de soutien et aussi du Comité de contrôle."
Plus largement, les blocages concernant le financement de la force conjointe du G5 Sahel sont la conséquence d’un imbroglio diplomatique qui a vu la mise sur pied d’une force internationale sans assurer au préalable son budget.
Paris, qui joué un rôle central dans la création de la force militaire du G5 Sahel destinée à épauler les 4.000 militaires de l’opération Barkhane, souhaite depuis le début un financement pérenne, au titre du chapitre VII de la Charte des Nations unies (Actions en cas de menace contre la paix.)
Elle a reçu en cela le soutien de Maman Sambo Sidikou, le Secrétaire permanent du G5 Sahel, mais cette idée est bloquée par Washington qui préfère une approche bilatérale des soutiens financiers.
"La pérennité du financement de la force conjointe est une nécessité impérieuse", ajoute Maman Sidikou. "L’Union africaine et la France nous soutiennent. Il s’agit d’une responsabilité partagée. Le monde ne peut pas observer cinq pays qui ont les moyens réduits que nous connaissons se charger de la défense du monde, pour ainsi dire, car le terrorisme est l’affaire de tous."
De source diplomatique, Paris et l’Union africaine attendraient que la force conjointe devienne opérationnelle avant de relancer l’offensive diplomatique sur un financement stable et durable de ce contingent militaire.
(1) La force militaire du G5 Sahel compte 5.000 hommes soit sept bataillons fournis par les cinq pays membres et composés de soldats et de gendarmes. Le Burkina Faso fournit un bataillon, de même que le Tchad, le Mali deux bataillons, la Mauritanie un et le Niger deux bataillons. Le budget opérationnel est évalué à 423 millions d’euros la première année et 115 millions d’euros pour les années suivantes.
Source : https://www.dw.com/fr/le-g5-sahel-peine-%C3%A0-r%C3%A9unir-les-fonds-promis-pour-sa-force-militaire/a-46578957