Après une semaine d’interrogatoire du présumé cerveau du coup d’Etat de septembre 2015, la parole a enfin été donnée ce mardi 04 décembre 2018 aux avocats de la partie civile pour leurs observations et questions au général de brigade Gilbert Diendéré. Malgré les confessions et l’acte de contrition de l’ancienne « boîte noire » du régime Compaoré, Me Prosper Farama et ses pairs de la partie civile restent convaincus que l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) était une milice et que sa dissolution fait plus de bien que de mal au Burkina Faso post-insurrection, contrairement à ce que l’accusé veut faire croire. En outre, pour eux, la responsabilité du pouvoir acquis en faveur du coup de force perpétré le 16 septembre 2015 ne saurait se détacher de l’action du coup d’Etat qui l’a permis.
« Je n’ai cessé de dire au parquet que je n’ai ni commandité, ni planifié, ni exécuté le coup d’Etat. Mais comment pourrais-je ne rien avoir à voir dans cette affaire alors que j’ai dit assumer le pouvoir et déplorer les victimes ? Je ne réclame pas une innocence. Je ne peux me débiner. Ma responsabilité juridique et sociologique ne saurait être ignorée. Je demeure convaincu que si ce qui est arrivé ne l'avait pas été, la Transition n'allait pas aboutir avec aujourd'hui un pouvoir régulièrement mis en place. J'aurais pu quitter le pays, mais ce serait me moquer de toutes les victimes et apparaître comme un lâche qui fuit toutes ses responsabilités. En décidant de rester, j'étais conscient de l'humiliation que j'allais subir et aussi de la lourdeur de la peine que je risquais. Ce qui paraissait important pour moi, ce n'était ni ma dignité ni ma personne. Pour moi, général de brigade, qui ai servi ce pays pendant 40 ans, le plus important, c'est de donner la vérité aux victimes, aux parents des victimes et au peuple. Je porte la responsabilité du changement de régime le 17 septembre 2015. Mais sa planification, son exécution, on pourra toujours en débattre. A vos yeux, j'apparais comme le responsable de tous vos maux... Je demande pardon... », a déclaré le général de brigade Gilbert Diendéré, considéré comme le cerveau des évènements du 16 septembre et jours suivants, marqués par l’arrestation des autorités de la Transition et des exactions qui ont causé des pertes en vies humaines, fait des blessés et des dégâts matériels.
Cette « boîte noire » du régime de Blaise Compaoré a tenu à lire son acte de contrition, qu’il dit sincère et empreint de demande de pardon aux victimes et à leurs familles, avant que les avocats de la partie civile ne prennent la parole pour le cuisiner. Mais face à ce qui devait attendrir les cœurs ou émouvoir, Me Prosper Farama, un des avocats représentant les victimes, a réagi ainsi : « Il n’est pas de notre ressort en tant qu’avocats des victimes et de leurs familles de vous donner ce pardon, de proclamer la réconciliation et d’accepter votre acte de contrition. C’est aux familles des victimes de décider de vous pardonner. Nous ne pouvons pas répondre à leur place ».
Prenant la parole, Me Séraphin Somé, également avocat de la partie civile, n’a pas manqué de réagir au "one man show" servi une journée entière par celui qui est aussi surnommé « Golf », qui expliquait ainsi le contexte qui a conduit les éléments de l’ex-RSP à décider d’arrêter la marche de la Transition. Si cet officier supérieur de l’armée burkinabè estime que les quelques mois de la Transition étaient marqués par une gestion chaotique des finances publiques, de l'administration publique, de l'armée et une exclusion politique sans précédent, Me Somé, lui, estime que le long règne du mentor du général était pire, mais le RSP qui veut porter aujourd’hui la casquette de justicier n’a pas levé le petit doigt pour y mettre fin. « Dans ce pays, des militaires ont été humiliés, assassinés, mais leurs frères d'armes n'ont pas pris les armes pour faire un coup d'Etat. Les éléments du RSP étaient les enfants gâtés du papa Blaise Compaoré. Les autres militaires en étaient frustrés, mais ils ont tu leurs frustrations, ils n'ont pas tenté de coup d'Etat. Pendant le long règne du président Blaise Compaoré, des pans entiers de l'économie étaient dans les mains d'une famille, il y avait des détournements de deniers publics à ciel ouvert. Où était donc le justicier RSP pour mettre fin à cette gabegie ? Cela ne l'a pas offusqué au point de l'amener à faire un coup d'Etat. La chose lui profitait et il n'y avait pas de raison que cela prenne fin. C'est pour cela que le RSP n'a pas bougé le petit doigt », a-t-il déclaré. « Voyez-vous, tout est clair pour nous : c’est de l’imposture quand on cherche à présenter le RSP comme un justicier, un chérif », a-t-il conclu.
Au regard du passé morbide et macabre du RSP, si l’on se réfère, selon la partie civile, à la répression de la résistance à Koudougou en 1987, à la mort de Dabo Boukary, celles de David Ouédraogo et de Norbert Zongo, dans lesquelles la sécurité présidentielle est citée, Me Somé estime que la dissolution du corps était plus que nécessaire. « C’était une bonne idée de dissoudre le RSP, car les officiers l’ont dit ici, il y avait des éléments incontrôlés qui faisaient tout à leur guise et il était impossible de les sanctionner. Si l’institution chargée de la sécurité du président devient une source d’insécurité pour celui-ci, alors pourquoi la garder ? C’est comme si c’était dans les gènes du RSP. On y a inscrit les morts, les assassinats, etc. », a-t-il déclaré.
Abondant dans le même sens que son confrère, Me Prospère Farama a noté que si l’accusé estime que la hiérarchie militaire, en faisant bombarder le camp Naaba Koom II le 29 septembre 2015, a incontestablement fait des victimes, même si les communiqués officiels n’en font pas cas. Ce ne serait pas une première au pays des hommes intègres. « A la répression de la résistance de Koudougou en 1987, il y a eu des militaires qui ont tué d’autres frères d’armes », a-t-il rappelé. Quoi qu’il en soit, l’homme à la robe noire estime qu’au regard de l’histoire du Burkina Faso, aucun motif ne saurait encore expliquer un quelconque coup d’Etat. Un avis partagé par l’accusé. « Rien ne justifie qu’il y ait encore un coup d’Etat, mais en 2014, il y en a eu », a-t-il noté.
En outre, pour Me Prosper Farama si les allégations du général tendant à faire croire que la hiérarchie militaire a donné ses bénédictions au président du Conseil national de la démocratie (CND) et mis à sa disposition un hélicoptère pour la mission d’envoi de matériel de maintien d’ordre sont prouvées, elle doit apporter nécessairement des explications au peuple qui en a été profondément meurtri. « Soit elle a fait allégeance, soit elle a été complice du nouveau président. Et dans les deux cas, il y a des explications à donner au peuple », a-t-il signifié.
Plus d’une semaine après le début de l’interrogatoire de ce présumé cerveau du putsch de septembre 2015, on ignore exactement les vrais commanditaires de l’action. « On en arrive à un coup d’Etat qui n’a pas d’auteur, comme s’il était possible à des fantômes de faire un coup d’Etat. Tout le monde avait en tête que c’est le général qui a tout planifié et donné les ordres. Mais la chaîne s’est brisée à son niveau », a souligné Me Farama.
Quoi qu’il en soit, la partie civile estime que la marche de la Transition a été stoppée par le général qui voulait rétablir le régime déchu. « Je note que ce qui s’est passé pendant l’insurrection populaire qui a conduit à la fuite de votre mentor, n’a pas pu être digéré. Vous avez alors mis tous les péchés sur la Transition. Cette action a été une réaction pour restaurer le régime déchu », a affirmé Me Séraphin Somé. Mais pour l’accusé, la transition a fait pire que le régime Compaoré. Raison pour laquelle l’ex-Premier ministre Yacouba Isaac Zida a fui pour ne pas avoir à faire face à ses responsabilités.
A noter qu’à l’audience de ce jour, les questions et observations des avocats de la partie civile commençaient à exacerber le général de brigade, qui, en définitive, opposait un silence à ces derniers. L’audience de ce jour a été suspendue, mais la partie civile reste tout de même convaincue que le RSP était une milice, puisqu’il était au service d’un homme et non d’une institution comme ça aurait dû être le cas. « Le régiment avait pris l’Etat en otage. C’était n’était plus une unité militaire, mais une milice. C’était comme avoir un serpent dans sa culotte », foi de Me Séraphin Somé.
Candys Solange Pilabré/ Yaro