Au Burkina Faso comme un peu partout en Afrique, être handicapé est généralement perçu comme une malédiction. Souvent considérées comme des moins-que-rien, certaines personnes handicapées finissent par se résigner et à s’adonner à la mendicité. Mais à l’inverse, d’autres ont fait l’option de prendre leur destin en main. Joséphine Ouédraogo, handicapée moteur, est de cette catégorie de handicapés là. En effet, en dépit de son état, elle a décidé de se battre au lieu de tendre la sébile. Radars Info Burkina (RIB) est allé à la rencontre de cette femme combative qui a choisi de gagner son pain quotidien à la sueur de son front, précisément par la coiffure et la couture.
Radars Info Burkina : Veuillez vous présenter à nos lecteurs.
Joséphine Ouédraogo : Je me nomme Ouédraogo Joséphine. Je suis veuve, mère de deux enfants (des jumelles), j'ai 43 ans, je réside au secteur 1 de Ouagadougou et je suis coiffeuse.
RIB : Comment vivez-vous votre handicap ?
JO : A l’école, ce n’était pas du tout facile au début avec les autres enfants. J’étais marginalisée parce qu’avec mon état, on me considérait comme inapte. Ça n’a donc vraiment pas été facile. Mais par la suite, les autres élèves m’ont acceptée. En famille ce n’était pas simple non plus. Les gens de dehors sont même parfois plus généreux que les membres de votre famille.
RIB : Comment êtes-vous venue au métier de coiffeuse ?
JO : D’abord, il faut noter que je n’ai pas pu faire de longues études. J’ai arrêté l’école en classe de CE2 parce qu’à l’époque, je n’avais pas de moyen de locomotion. A cause de mon handicap, il m’était vraiment difficile de me déplacer sans vélo. Après cela, j’ai été dans un centre de formation où j’ai appris à tricoter de la layette pour bébés. Je tricotais et vendais la layette. Après cela, je formais d’autres handicapés à la couture. Mais je n’arrivais plus à vendre mes produits, étant donné que le centre de formation accaparait tout mon temps. J’ai donc décidé d’arrêter d’y travailler afin de me consacrer à la confection et à la vente de layette. Mais plus le temps passait, moins cette activité me rapportait. J’ai alors décidé de me convertir à la coiffure.
RIB : Le métier de coiffeuse nourrit-il bien son homme ?
JO : Je rends grâce à Dieu car grâce à cette activité, j’arrive à subvenir à mes besoins et à ceux de mes enfants. Je natte et dès que j’ai fini, j’encaisse. Mais il y a certaines clientes qui ne veulent pas payer. Vous savez, chaque métier à ses difficultés. En tout cas grâce à cette activité, j’arrive à payer la scolarité de mes filles.
RIB: Avez-vous participé au forum national des handicapés tenu les 20 et 21 juin 2018 ?
JO : Jai eu vent du forum, mais je n'y ai pas participé. J’ai également été informée qu’il y avait un appel à projets au profit des personnes handicapées et j’y ai même postulé. Mais jusqu’à présent, je n’ai plus eu de nouvelle à ce propos.
RIB : Qu’envisagez-vous de faire si vous obtenez un financement ?
Je compte agrandir mon activité ; vendre par exemple des mèches et autres accessoires de beauté. De plus, comme je m’y connais en layette, je vais ajouter cela à mon commerce pour proposer le maximum d’articles à mes clientes.
RIB : Que pensez-vous des handicapés qui trouvent que handicap rime avec mendicité et refusent de travailler, préférant tendre la sébile ? Quel message voudriez-vous leur adresser ?
JO : Personnellement, je pense que ce sont juste des paresseux, car handicap ne rime pas avec mendicité. Qu’ils cherchent du boulot. Justement, beaucoup pensent que si tu es handicapé, tu ne peux pas travailler. Ce n’est pas vrai. Certes tu ne peux pas pratiquer tous les métiers, à cause de ton handicap, mais il y a des métiers que tu peux exercer et bien gagner ta vie. Par exemple, moi je suis dans la coiffure et j’y gagne bien ma vie. J'ai tellement de clientes que souvent, je n'arrive même pas à les satisfaire toutes. S’asseoir et compter sur l’aumône et sur les « doua » des gens n’est pas bien. D’ailleurs, ces « doua » peuvent être source de problème pour toi.
RIB : Selon vous, quelle est la difficulté majeure des handicapés ?
JO : A mon avis, c’est d’abord la perception que les gens ont de nous : les regards, les comportements. Quand tu arrives quelque part et que tu veux des renseignements, on commence déjà par te dire « win na régué » (NDLR : ‘’que Dieu te bénisse” en langue nationale mooré), comme si tu étais venu mendier. C’est frustrant. En outre, dans les centres de santé, il n’y a aucun dispositif prévu pour permettre aux personnes handicapées d’accéder aux salles de consultation. On est par conséquent obligé de ramper pour y accéder ; et avec les regards sur soi, ce n’est pas du tout facile.
RIB : Quel appel avez-vous à lancer aux autorités du pays et à la population en général ?
JO : Je demande aux autorités un accompagnement spécifique qui permettra aux personnes handicapées de participer aux prises de décisions et de contribuer de manière plus active au développement de notre pays. A la population je demande d’avoir plus de considération pour les handicapés, car notre état est l’œuvre de Dieu. Nous n’avons pas souhaité être des handicapés. Sans compter que cela peut arriver à tout le monde ! J’invite donc les gens à changer le regard qu’ils portent sur nous.
Propos recueillis par Edwige SANOU