Déclassification des archives sur le dossier Thomas SANKARA : « Si l’on se contentait des informations recueillies à l’intérieur, cette justice ne serait pas parfaite…», Wilfried ZOUNDI, juriste-consultant et enseignant de droit
Après un long déni de justice sous le régime de Blaise COMPAORE, l’enquête sur l’assassinat de Thomas Sankara, le 15 octobre 1987, est sur le point d’être relancée au Burkina Faso. Après le ton donné en mars 2015 par le gouvernement de la Transition en saisissant le procureur du tribunal militaire et en prenant un décret autorisant l’exhumation du corps présumé de l’ancien président, aujourd’hui c’est la France qui a décidé de lever le secret-défense sur cette affaire en déclassifiant certains documents du dossier qui seront dans les jours à venir envoyés à la justice Burkinabè. Dans cette interview accordée à Radars info Burkina monsieur Wilfried ZOUNDI, juriste-consultant et enseignant de droit donne les enjeux de cette décision du président Emmanuel MACRON dans la quête de la vérité et de la justice sur cette affaire pendante depuis plus d’une trentaine d’années.
Radars info Burkina : Il y a quelques jours, le président français, Emmanuel MACRON, a levé le verrou sur une partie des archives produites par des administrations françaises pendant le régime de Sankara et après son assassinat couvertes par le secret national. Qu’est ce que cette déclassification partielle représente dans l’instruction de ce dossier ?
Wilfried ZOUNDI : Il faut noter que dans chaque Etat, il y a ce qu’on appelle le secret-défense, le confidentiel-défense ou le très secret défense qui sont un ensemble d’éléments d’informations, de renseignement ou documents qui relèvent carrément du domaine régalien sécuritaire d’un Etat. L’Etat n’a donc pas intérêt que l’opinion publique puisse en prendre connaissance. C’est un peu comme l’intimité d’une personne privée. Quand on parle de secret-défense, c’est l’intimité d’un Etat, c’est un aspect sensible. C’est ainsi que l’affaire de l’assassinat du capitaine Thomas SANKARA avait été classée en France comme secret-défense. Mais lors du passage du président français Emmanuel MACRON au Burkina Faso, il avait promis de lever ce secret-défense et de permettre que la lumière sur l’affaire Thomas SANKARA. Toutefois, nous avons appris que la déclassification a été partielle et non totale. Quoi qu’il en soit nous devons nous en réjouir, parce que dans cette affaire, il y avait des présomptions sérieuses sur des implications extérieures. Cette déclassification va donc permettre d’apporter de la lumière à cette partie de l’affaire qui ne semble pas être seulement une affaire interne.
RIB : Alors, cela implique-t-il que ce dossier judiciaire va enfin connaître de grandes avancées ?
WZ : Naturellement, cette déclassification va donner un coup de fouet à la procédure. Si l’on se contentait des informations recueillies à l’intérieur, cette justice ne serait pas parfaite, car il faudrait savoir s’il y a eu des aides qui sont venues de l’extérieur pour que des exécutants intérieures s’exécutent ou pas. Elle permettra donc d’avoir une lumière holistique de cette affaire au lieu d’en avoir une lumière parcellaire.
RIB : Est-ce que la partialité de la déclassification au détriment de sa totalité ne jette pas aussi le doute sur la réelle volonté du président français à aider le Burkina Faso à lever le voile sur cet assassinat et à faire justice, car la France peut toujours détenir des informations essentielles qui montrent qu’elle n’est blanche comme la neige dans ce crime de sang ?
WZ : C’est vraiment dommage que cette déclassification soit partielle. Si elle était totale, on allait se dire que la France est vraiment soucieuse d’une vérité absolue dans cette affaire. Cette partialité de la déclassification donne l’impression que la France veut donner de la main droite et retirer de la main gauche. Ce qui veut dire que l’on aboutira à une vérité partielle. Si la France n’a rien à se reprocher dans cette affaire, il faut qu’elle déclassifie purement et simplement de façon totale ces archives afin que la lumière soit faite totalement sur cette affaire. Ce qui est également notre souhait. Cette déclassification a encore des non-dits, sinon, il n’y a pas de raisons que la France décide de donner partiellement des informations au détriment d’autres.
RIB : La procédure de transfèrement de ces archives au Burkina va-t-il mettre beaucoup de temps ?
WZ : Cela dépendra des accords de coopération. L’accord de coopération judiciaire entre le Burkina Faso et la France a été revu, car il datait de 1961. Cet accord de coopération facilite les échanges d’information. La procédure a été allégée, donc je ne vois pas de raison qu’il puisse y avoir des obstacles.
RIB : Une fois ces archives sur le territoire burkinabè, seront elle publiques ou vont-elles rester dans le secret de la justice ?
WZ : Quand on parle de l’instruction, elle est d’abord secrète. C’est le jugement qui sera rendu public. Au moment où le juge est en train de mener ses enquêtes, il n’a pas intérêt à porter cela à la connaissance de l’opinion publique. La déontologie et la loi le lui interdit. Quand on aboutira à une décision de justice, elle fera certainement allusion à des éléments qui auront été envoyés par la France et forcement en ce moment, ils seront publics. Le caractère secret n’est donc que temporaire.
Propos recueillis par Candys Solange PILABRE/ YARO