Le sommet dit de la clarification, comme annoncé, s’est tenu à Pau en France hier 13 janvier 2020. A l’issue de la rencontre, un communiqué conjoint a été rendu public par les 5 chefs d’Etat du G5 Sahel et celui de la France. De cet acte administratif sanctionnant la rencontre, il ressort le maintien des forces françaises dans le Sahel, voire son renforcement. Quelle lecture les Burkinabè ont-ils de cette déclaration ? Certains d’entre eux se prononcent dans les lignes qui suivent.
Maître Gilbert Noël Ouédraogo, président de l’ADF/RDA : « Cette situation doit être considérée comme transitoire »
Avant de donner la lecture que j’ai de cette déclaration des chefs d’Etat de Pau, je voudrais présenter mes condoléances à toutes les familles du Burkina Faso, du Niger, du Mali et de la France qui ont perdu soit des militaires, soit des civils dans ce combat contre le terrorisme dans la sous-région africaine. Je souhaite un prompt rétablissement à tous les blessés et je salue la bravoure de toutes nos forces de défense et de sécurité, particulièrement celles de mon pays qui font aujourd’hui notre fierté. Nous savons qu’avec peu de moyens, ces éléments des FDS abattent un travail sur le terrain qui montre que lorsqu’elles sont bien équipées, elles sont capables de faire face à la menace. Cela étant, je voudrais rappeler que concernant la rencontre de Pau, j’avais proposé qu’au lieu qu’elle ait lieu à Pau, elle se tienne à Inatès en guise de solidarité avec les militaires nigériens qui sont tombés sur le champ de bataille. Pour moi, le besoin de clarification ne concernait pas uniquement la France, il était partagé car les Africains avaient besoin également d’être situés, vu ce qui se passe sur le terrain. En ce sens, je dirai que la rencontre était une opportunité de clarification pour chacune des deux parties. Elle était aussi une opportunité pour que les chefs d’Etat africains portent la voix de leurs peuples à cette échelle. Le communiqué qui a été rendu public indique clairement que les chefs d’Etat souhaitent la poursuite de l’opération, voire son renforcement. Je dirai que ce communiqué, qui est le résultat d’un compromis qui découle d’un constat réaliste, permet de se rendre compte qu’il faut trouver une solution transitoire parce que, de mon point de vue, nous devons tendre vers la formation, l’équipement et l’autonomisation de notre armée afin qu’elle soit à même de défendre notre territoire. Aujourd’hui, nous constatons que la situation est telle que notre armée travaille en partenariat avec d’autres forces militaires pour pouvoir endiguer ce phénomène que nous n’avons pas créé. Car il faut le rappeler, c’est la crise en Libye qui a entraîné cela. Nos Etats n’ont rien à avoir dans ce qui se passe sur le terrain ; au contraire, ils sont victimes de cette situation. De mon point de vue, ce qui a été dit est une solution transitoire avec, à terme, la nécessité d’une montée en puissance de nos forces de défense et de sécurité que nos Etats doivent équiper pour qu’elles puissent faire face de manière efficace à ce type de menace. En tant que président de l’ADF/RDA, je rappelle que le RDA n’a pas voulu que les bases françaises restent en Haute Volta après les indépendances. Etant de dignes héritiers de cette philosophie, nous sommes pour un partenariat d’égal à égal, gagnant-gagnant entre nos Etats, mais notre souhait est de travailler à être autonome et à pouvoir assurer notre sécurité. Cette situation doit donc être considérée par nos dirigeants comme seulement transitoire et ils doivent mettre à profit cette collaboration avec les partenaires internationaux pour renforcer nos armées afin que celles-ci soient autonomes plus tard pour défendre nos territoires.
Dr Daouda Diallo du Collectif contre l’impunité et la stigmatisation des communautés (CISC) : « Personne ici n’a de sentiment antifrançais comme le prétend Emmanuel Macron »
La conclusion à laquelle on est parvenu nous démontre que nous sommes dans une guerre géopolitique, géostratégique qui mine et secoue nos pays. Cela nous indique que les Africains auront beaucoup à faire dans l’avenir. Nous sommes à un niveau où il faut vraiment s’assumer pleinement, affronter nos problèmes pour vraiment les résoudre de façon adéquate. De même, nous constatons que le masque anti-impérialiste ou panafricaniste de certains de nos dirigeants est tombé. C’est clair que nos dirigeants sont favorables à la présence des forces étrangères sur nos sols. Le seul élément que je n’ai pas pu voir dans le contenu du communiqué final, c’est qu’il n’a été indiqué nulle part que cette coopération sera très équitable, très équilibrée. Ce que l’on se poserait comme question, c’est celle de savoir ce que chaque partenaire gagne dans le respect de l’autre. Il n’a pas non plus été mentionné quelle est la contrepartie de cette coopération, ce qu’elle va coûter exactement à chaque Etat. Par contre, le point dont je suis satisfait, c’est que les pays du Sahel se soient engagés à redéployer l’administration dans les endroits où il n’y a plus d’écoles, d’infirmeries où même des habitants se sont déplacés. Cela sera un soulagement pour ces populations qui sont à la merci des intempéries et des bandits. Nous avons vraiment soif de voir cela se réaliser au grand bonheur de ces populations. Je précise que personne ici n’a de sentiment antifrançais comme le prétend Emmanuel Macron. Nous voulons seulement qu’il y ait des résultats perceptibles en ce qui concerne leur présence sur nos territoires pour la lutte contre l’extrémiste violent.
Chrysogone Zougmoré du Mouvement burkinabè des droits de l’homme et des peuples (MBDHP) : « Si leur présence était si nécessaire, nous n’en serions pas là sept ans après le lancement de l’opération Serval au Mali »
De mon point de vue, il ne fallait pas s’attendre à autre chose de ces cinq chefs d’Etat, qui ne sont capables ni d’assumer ni de défendre les aspirations profondes de leurs peuples, notamment celles à la souveraineté et à l’indépendance de nos pays. Pour moi, c’est non seulement une honte mais surtout une préoccupation pour l’Afrique d’aujourd’hui, dont les peuples devraient davantage s’assumer à travers diverses formes d’actions suivant les contextes nationaux. Ces conclusions ne nous empêcheront pas de nous exprimer ; le plus important, en effet, c’est ce que décideront les peuples de ces pays concernés sur la présence de ces forces étrangères qui prétendent lutter contre le terrorisme, mais qui sont là pour mieux défendre leurs intérêts et leurs positions stratégiques. Si leur présence était si nécessaire, nous n’en serions pas là sept ans après le lancement de l’opération Serval au Mali. Voyez vous-même le nombre de victimes militaires et civiles par mois, voire par semaine ! Les Africains ont les yeux ouverts et devront s’assumer pleinement. Pour ce qui est de la déclaration d’Emmanuel Macron sur la manipulation des organisations qui réclament le départ de l’armée Française de l’Afrique, cela n’engage que lui. Que ce soit au Burkina, au Mali ou au Niger, les populations manifestent en toute liberté et en toute indépendance. Quoi qu’il en soit, nous assumons nos responsabilités et nous savons pourquoi nous manifestons.
Propos recueillis par Saâhar-Iyaon Christian Somé Békuoné