Dans les différents quartiers de Ouagadougou, chaque jeune a au moins un lieu de rencontre avec ses amis pour débattre des questions qui touchent à la vie en société. Ces discussions très nourries se mènent généralement autour d’une théière sans protocole, chacun des locuteurs défendant avec force arguments ses prises positions, qui ne manquent pas d’être rejetées par ses vis-à-vis. Radars Info Burkina s’est invité dans un grin de thé. Lisez plutôt !
« Toi quand tu fais le thé, on peut aller à Tampouy et revenir sans que ce soit prêt. Tu es trop lent » ; « je suivais le match aussi» : morceaux choisis d’un échange taquin entre un membre du grin et le fakir (celui qui est chargé de préparer le thé). Nous sommes à 17h à la Patte-d’oie, à quelques encablures de la cité universitaire où tous les soirs de jeunes étudiants, d’anciens étudiants devenus fonctionnaires et d’autres jeunes se réunissent jusqu'à des heures tardives pour prendre du thé et discuter de divers sujets sans langue de bois. C’est une habitude qui remonte à plus de 8 ans si l’on en croit Alidou, l’un des plus anciens membres dudit grin.
Le débat est lancé par des amoureux du football, surtout en cette période de Coupe d’Afrique des nations. « Le Nigeria a vendu le match à Madagascar » ; « Non ! Il ne faut pas dire ça, il ne faut pas négliger les Malgaches, ils sont premiers actuellement dans leur poule » ; « Ah bon ? » « Oui ! » « Ah si c’est ça, donc ils n’ont pas vendu le match », entend-on par-ci par-là. L’une des particularités des grins de thé est que la parole ne s’y donne pas ; elle s’arrache. Tout est discutable, aucune idée n’est absolue, on parle de tout sans transition. Et chacun a son contradicteur.
«Moi, j’aime le président Roch parce qu’il n’a pas de problème avec quelqu’un », lance un des membres du grin. Un autre renchérit : « Non mais Blaise ce n’est pas la peine quoi ! Comment quelqu’un peut quitter son pays pour aller prendre une autre nationalité ?» Pour le moment, ce sont les admirateurs du pouvoir en place qui tiennent le crachoir. Mais pas pour longtemps. Juste à côté, un autre membre resté silencieux, comme s’il n’était pas présent, avait sa préoccupation et attendait l’occasion de s’exprimer : « Dites à vos gars d’organiser les concours professionnels la hein, sinon c’est l’insurrection directe ». « C’est vrai », réagit son voisin : « On fait les études pour les concours. » « Non toi aussi, il ne faut pas dire ça ; on peut faire des études pour devenir entrepreneur !» Mais il se défend : « Avec le contenu de notre système éducatif là ? »
Ils n’auront pas le temps de conclure le débat qu’un autre fait son arrivée au grin et avant même de s’asseoir, il lance : « Le CDP est un parti très bien organisé. » Mais un contradicteur lui rétorque : « Bien organisé et ils sont en crise actuellement ? ». « Non ils ne sont pas en crise, c’est Kadré. En 2015 quand la CEDEAO avait reconnu que le CDP pouvait être candidat à l’élection présidentielle, ils ont appelé Kadré quand c’était chaud, mais il n’est pas venu. Maintenant qu’Eddie s’est battu pour sauver le parti, il veut en profiter. » «Mais est-ce que tu penses qu’Eddie peut être un bon président pour le Burkina ? » « Avant les élections de 2015, toi tu savais que Roch serait un mauvais président ? » Les arguments et contre-arguments fusent de toutes parts.
Les débats continuent quelques minutes sur la crise au sein du CDP : « Si Kadré veut être candidat, il n’a qu’à aller créer son parti. Il ne faut pas gâter le nom d’Eddie » ; « Mais Eddie aussi à une attitude agressive. »
Et comme le débat se mène sans fil conducteur, les interlocuteurs parachutent sur les Sankaristes : « Tout le monde veut bouffer dans ce pays-là, même les Sankaristes », déclare un du grin. « Surtout eux. Pour justifier leur présence aux côtés du nouveau régime, ils disent qu’ils ont rejoint le pouvoir parce que c’est le choix du peuple. Or Roch n’a été élu que par 50% de Burkinabè ; pourtant Blaise était toujours élu avec plus de 80%. Ce sont des animaux qui le votaient ou bien ? Ils n’ont qu’à nous respecter là ! »
Ce grin de thé, à l’image de plusieurs autres au Burkina, est un creuset du débat contradictoire, et cela au quotidien. Ces lieux d’échanges sont une sorte de « parlement populaire » où les citoyens sirotent du thé tout en donnant leur point de vue sur la marche de la société à laquelle ils appartiennent. On peut affirmer qu’au grin de thé, les gens sont d’accord sur leurs désaccords.
Pema Neya (Stagiaire)