La diffusion des éléments sonores dans le cadre du procès du putsch de septembre 2015 se poursuit au tribunal militaire de Ouagadougou. Les pièces à conviction présentées ce mercredi 27 mars 2019 resserrent l’étau autour du général Diendéré, du général Bassolé et de dame Fatoumata Thérèse Diawara. Pour le parquet, ces écoutes montrent que des personnes venant de pays comme la Côte d’Ivoire, le Togo, la Mauritanie et le Maroc ont soutenu les putschistes dans leur entreprise de déstabilisation du pays. De ces interconnexions avec l’étranger, le parquet note que l’infraction de la trahison ne souffre aucun doute.
Plus d’une trentaine d’éléments sonores ont été diffusés ce mercredi 27 mars 2019 au tribunal militaire de Ouagadougou. De ce qui a été donné d’écouter, le parquet militaire dit reconnaître des conversations entre dame Fatoumata Thérèse Diawara, ex-belle fille de « Delta », nom de code donné par les enquêteurs au général Diendéré et son ex-beau-père, ainsi que le général Djibril Bassolé, avec qui elle devait récupérer 40 millions de francs CFA pour soutenir les éléments du RSP. Dans une de ses conversations avec le père spirituel du RSP, dame Diawara lui annonçait avoir réussi à réunir les 40 millions et envisageait d'acheminer les fonds au camp Naaba Koom II avec l’aide de gendarmes acquis à leur cause. Mais pour le parquet militaire, dame Diawara ne disposait pas de la somme, car c’était une promesse de son « tonton » Bassolé. Pour preuve selon lui, dans une autre interaction, elle annonçait au général Diendéré, la difficulté de transférer l’argent, car celui qui devait le débloquer venait d’être arrêté. Pour Alioun Zanré et ses pairs, ces interactions battent en brèche les propos de l’ancien patron de la gendarmerie burkinabè qui affirmait lors de son passage à la barre n’être mêlé ni de près ni de loin aux évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants, car dès l’annonce de l’arrestation des autorités de la Transition, disait-il, il s’était retranché à Koudougou pour éviter les problèmes. Pour Me Kam de la partie civile, ces audio montrent clairement que durant ces évènements qui ont endeuillé le peuple burkinabè et mis à mal la sécurité, il y avait une bonne interaction triangulaire entre le général Bassolé, le général Diendéré et dame Diawara que, par lapsus, il a appelée « Général Diawara ». Pour Me Séraphin Somé, cette femme au regard du rôle qu’elle a joué pendant ces évènements peut être assimilée à un officier supérieur de l’armée car, dit-il « il est difficile de trouver au Burkina Faso, une femme de la trempe de Dame Diawara, qui tutoie des généraux, à moins que vous ne soyez des collègues ou d’être plus qu’un général ».
De ces écoutes diffusées, il ressort aussi que dans la période du 25 au 29 septembre 2015, le président du Conseil national pour la démocratie (CND) a maintes fois interagi avec des personnes appelant de la Côte d’Ivoire, du Togo, du Maroc et de la Mauritanie qui lui apportaient leur soutien et l’encourageaient à ne pas reculer. Un de ses interlocuteurs du Togo, notamment Abdoumbo qui se faisait appeler Bili, conseillait au général de tenir bon, car ce qui avait été dit n’était pas la position de la CEDEAO et un émissaire de la CEDEAO devait venir au pays des hommes intègres. Et le général de répliquer que les gens veulent tout faire avant l’arrivée des émissaires en mettant la CEDEAO devant les faits. Concernant le désarmement qui se faisait, Golf expliquait à Bili que le matériel qui s’enlevait n’était pas celui du RSP, mais des autres garnisons qui était stocké au camp Naaba Koom II et tout était fait par ses hommes pour retarder le processus et gagner du temps. Toute chose qui pour le ministère public montre qu’il n’y avait pas de sincérité dans le désarmement en ce qui concerne certains éléments du RSP.
Avec la Côte d’Ivoire, le parquet note que le général Diendéré a interagi avec un certain Soumaoro et le général Bakayoko. « Cette pièce nous interpelle au parquet. La retranscription de cette communication fait 18 pages et à l’écouter, il y a de quoi donner de la frayeur. Soumaoro qui commence la communication avec le général lui demande de créer une situation pour pouvoir avoir l’avantage. Le général Bakayoko n’en dit pas moins. Il lui explique que face à cette attitude de la CEDEAO, il lui faut créer une situation, car pour lui, si un militaire est coincé, la seule solution pour lui est de sortir avec force et c’est ce que le général doit faire. Il dit au général de revoir sa copie. Pour lui, la solution était l’affrontement entre les frères d’armes au Burkina Faso comme ce fut le cas en Côte d’Ivoire et que le général était condamné à mener l’action », résume le parquet qui fait observer par ailleurs que plus qu’une interaction, cette communication est une ingérence monstrueuse d’un pays frère et voisin.
Le 29 septembre 2015, après le bombardement du camp, le président du CND a confié à Bili qui appelait de la part de son patron (qui pour le parquet est le président du Togo Faure Gnassingbé) pour avoir l’état de la situation, que son moral était complètement à terre maintenant, car le camp Naaba Koom II avait été pilonné par l’artillerie lourde et que désormais tout était fini. « On ne peut plus rien faire », se résignait-il.
Aussi, dans une de ses communications, le général Diendéré informait le lieutenant-colonel Mamadou Bamba qui a lu les déclarations du CND à la télévision nationale qu’un colis contenant de l’argent devait lui parvenir. Et le général de préciser que c’était une somme à partager avec le colonel Abdoul Karim Traoré. Pour le parquet, il s’agit de la somme de dix millions que les deux officiers ont reçue et se sont partagés au cours des évènements.
Confronté à sa voix, l’ancien chef d’état-major particulier de la Présidence du Faso est resté droit dans ses bottes en ne se reconnaissant pas dans ces communications. « Il n’y a pas de variation. Je continue de maintenir mes propos », insiste-t-il. Même posture pour son ex-belle-fille. « Nous, au niveau de la défense, nous avons entendu une voix qui s’apparente à celle d’une femme, car rien ne dit que c’est la voix d’une femme. Et même si c’est celle d’une femme, rien ne montre que c’est celle de dame Diawara. Nous sommes en droit. Ce n’est pas de la prestidigitation. Quand on allègue, il faut démontrer », fait remarquer Me Latif Dabo, conseil de dame Diawara.
Mais, appelé à la barre, le lecteur des communiqués CND a reconnu ces échanges téléphoniques. Toutefois, il a précisé que c'est le général Diendéré qui l'a appelé et non l'inverse. Cette posture de l'accusé consistant à reconnaître les faits a été saluée par le parquet militaire et la partie civile. Ce qui a fait dire à Me Séraphin Somé de la partie civile qu'il y a deux types d'accusés dans cette affaire. « La première catégorie, c'est celle-là qui continue de se murer dans des chemins sans issue contre leurs propres intérêts. Cette attitude pour nous, partie civile, conseils des victimes, qui ont été meurtris par ces comportements criminels, ne fait que raviver nos meurtrissures. La deuxième catégorie est portée par le Lieutenant-colonel Bamba qu'on peut présenter comme le visage du coup d'État. A la barre, il a fait profil bas et a reconnu la matérialité des éléments dont l'élément sonore. Sauf que le général Diendéré continue dans la dénégation », a-t-il souligné, avant d’ajouter. « Qu’on nous dise comment on peut fabriquer des choses aussi réelles ! Mais nous pensons qu’il n’est pas encore tard. Lorsqu'un accusé fait du repentir sincère, c’est clair que les juges qui sont appelés à statuer en tiennent compte, car ce ne sont pas des machines, mais des humains. Mais lorsqu’on veut manipuler les gens et qu'on prend l'opinion pour des gens attardés, cela peut créer même un sentiment de dégoût chez les juges ». Idem pour Me Kam qui note que « même face à l’évidence, le général continue de s’emmurer dans les délégations. Le lieutenant-colonel Bamba qui était au bout du fil confirme ces communications. Ce que ces audio montrent au-delà de l’interconnexion avec l’étranger que les éléments du RSP qui refusaient le désarmement n’étaient pas tant des indisciplinés, mais ils exécutaient des ordres illégaux. Le général Diendéré était bien au courant de tout ce qui se passait. Ces pauvres soldats et sous-officiers qu’il abandonne aujourd’hui ».
En tout état de cause, pour le parquet militaire, contrairement à ce que le général Diendéré a affirmé à la barre, il n’était pas favorable au désarmement et cherchait toujours une issue.
De ces écoutes diffusées ce jour, le parquet note aussi des interactions entre l’accusé Sidi Lamine Omar, Djéri, présenté comme l’un des chefs du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA).
Candys Solange Pilabré/ Yaro