Le mercredi 27 février 2019, date qui marque l’an I du procès du putsch de septembre 2015, c’est le colonel-major Alassane Moné, alors secrétaire général du ministère de la Défense et des Anciens Combattants, qui était à la barre en qualité de témoin. A l’instar des chefs militaires déjà entendus par le tribunal, l’actuel ambassadeur du Burkina Faso auprès de la République arabe d'Égypte soutient que dès la rencontre du 16 septembre 2015 au soir entre le général de brigade Gilbert Diendéré et les membres de la Commission de réflexion et d'aide à la décision (CRAD), la hiérarchie militaire a refusé de s’aligner derrière le père spirituel de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) et ses hommes. Il s’indigne aussi que malgré leurs grades et leurs rangs respectifs, ils aient été invectivés et menacés par certains soldats lors des négociations au camp Naaba Koom II.
Dans sa déposition à la barre, l’ancien secrétaire général du ministère de la Défense et des Anciens Combattants affirme que le commandement militaire a été mis devant les faits en ce qui concerne l’arrestation des autorités de la Transition. Le 15 septembre 2015 dans l’après-midi, après avoir reçu ce message du général : « Nous avons fait mouvement sur le palais de Kosyam. Les autorités de la Transition ont été arrêtées. Je souhaite une réunion de la CRAD. » Il a eu le sentiment que le pays entrait pour la énième fois dans un coup d’Etat. Selon ses dires, les débats au cours de la réunion convoquée par le général Pingrenoma Zagré, alors chef d’état-major des armées, à la demande du père spirituel du RSP, confirmait ses appréhensions. « La réunion du 16 septembre 2015 n’avait pas pour but de trouver des solutions à la énième crise du RSP, mais d’entériner le coup d’Etat », a-t-il signifié. Une déclaration qui vient ainsi contredire celle de Golf qui affirme n’avoir pas voulu gérer seul cette crise. C’est pourquoi il a souhaité que la CRAD se réunisse pour trouver des solutions. Le témoin affirme que face à la demande de soutien du général de brigade, le commandement militaire ainsi que les médiateurs civils (Monseigneur Paul Ouédraogo et l’ancien président Jean-Baptiste Ouédraogo) ont opposé un refus catégorique. Pour les convaincre de faire porter la paternité du coup d’Etat à toute l’armée, l’ancien secrétaire général du ministère de la Défense affirme que le présumé cerveau du coup de force leur a fait comprendre qu’il avait le soutien des chefs d’Etat de la CEDEAO et qu’il ne restait plus qu’à l’armée de prendre ses responsabilités. Mais le témoin soutient que la hiérarchie a été intransigeante sur la question, car « il ne revenait pas à l’armée de résoudre des problèmes politiques ».
Face à ce refus, il est retourné consulter sa base militaire, en alerte au camp Naaba Koom II, mais ces derniers, selon le général, ont refusé de libérer les prisonniers. Ce qui a valu le déplacement d’une délégation au camp pour convaincre les hommes. Mais cette rencontre avec les éléments du RSP était des plus difficiles pour le commandement militaire et les deux civils, selon le témoin, car les propos étaient durs et menaçants à leur endroit. Il affirme que certains soldats ont traité Monseigneur Paul Ouédraogo de « traître », « d’irresponsable » et de personne peu crédible à même d’apporter des solutions à leurs problèmes, au regard de ses médiations antérieures qui n'avaient pas, selon eux, apporté grand-chose. Ceux-ci campant donc sur leurs positions, à savoir mettre un coup d’arrêt à la marche de la Transition, cette énième tentative de négociation la même nuit s’est donc révélée infructueuse. « Nous lui avons dit que s’il ne voulait pas revenir à de meilleurs sentiments, il pouvait assumer mais nous, on n’était pas partant pour ce coup de force », a-t-il souligné.
Si le général Diendéré affirme que la sécurité au niveau du ministère de la Défense était comme d’ordinaire, le secrétaire général des lieux, lui, affirme le contraire. « J’ai vu des gens avec des fusils d’assaut. Le dispositif sécuritaire qui était mis en place au ministère de la Défense montrait que les gens étaient dans l’esprit de défense ». Toute chose qui lui fait conclure que vouloir arrêter le général dans ses velléités par la force était suicidaire, car le rapport de force était en leur défaveur. En plus, selon lui, la CRAD est un organe consultatif qui émet des avis sur des questions impliquant l’armée et n’avait, de ce fait, aucun pouvoir de prise de décision. Elle ne pouvait que négocier et faire des propositions.
A cette barre, l’adjudant-chef Moussa Nébié, dit « Rambo », l’adjudant Jean Florent Nion et le Sergent-chef Roger Koussoubé, dit « Le Touareg ». Appelés à la barre, ces derniers, même s’ils reconnaissent avoir pris la parole ce jour-là (certains pour comprendre la situation qui prévalait et d’autres pour dépeindre leur situation peu enviable en raison des agissements du Premier ministre Yacouba Isaac Zida), ils nient avoir tenu des propos menaçants à l’endroit des officiers supérieurs et des civils médiateurs. Le Touareg, lui, se dit étonné que le secrétaire général cite son nom, car il n’a pas été de cette rencontre entre le RSP et la délégation dépêchée au camp Naaba Koom II pour désamorcer la crise.
Pour une des rares fois depuis le début de ce procès, le général Gilbert Diendéré s’est réjoui que le témoin ait confirmé qu’à la date du 16 septembre 2015 il n’était pas question de coup d’Etat de sa part. Toutefois, il maintient que c’est bel et bien lui qui a présidé la rencontre du 17 septembre 2015. Mais pour le colonel-major Moné, c’est le chef d’état-major général des armées, le général Zagré, qui a présidé les réunions du 16 et du 17 septembre 2015. « C’est le général Zagré qui a convoqué et dirigé les deux réunions », a-t-il insisté.
Même si le témoin affirme que le 16 septembre 2015 le général Diendéré n’a pas prononcé le terme « coup d’Etat », pour le parquet et la partie civile, ce témoignage de l’ancien secrétaire général du ministère de la Défense vient confirmer le fait que dès l’arrestation des autorités de la Transition, le père spirituel du RSP et ses « enfants » avaient en tête de mettre un terme à la Transition, donc de perpétrer un coup d’Etat à la veille des élections qui devaient remettre le pays sur les rails de la démocratie.
Candys Solange Pilabré/ Yaro