La hiérarchie militaire, coiffée par l’ancien chef d’état-major général des armées, le général Pingrenoma Zagré, a-t-elle accompagné le président du Conseil national pour la démocratie (CND) dans la consommation du coup d’Etat de septembre 2015 ? C’est la question qui était au cœur des débats vendredi 15 février 2019 au tribunal militaire de Ouagadougou. Si le général Gilbert Diendéré a affirmé lors de son interrogatoire que c’est la promesse de soutien faite par le commandement militaire qui l’a poussé à se mettre au-devant des choses lors des évènements du 16 septembre et jours suivants, le colonel-major Théodore Palé, alors chef d’état-major général des armées adjoint (CEMGAA), s’inscrit en faux contre cette assertion. Il soutient que la hiérarchie militaire lui a signifié son refus de soutenir le pronunciamiento dès ses premières heures, car pour celle-ci l’ère des coups d’Etat est révolue.
Le général Gilbert Diendéré, présumé cerveau du coup d’Etat de septembre 2015, en quittant la barre à l’issue de son interrogatoire au fond, a martelé que la hiérarchie militaire lui a apporté son soutien au cours des évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants, en l’acceptant notamment comme président du Conseil national pour la démocratie (CND), organe dirigeant des putschistes. Appelé à la barre en qualité de témoin du parquet militaire, le colonel-major Théodore Palé, alors chef d’état-major général des armées adjoint (CEMGAA), s’inscrit en faux contre une telle déclaration. Pour lui, dès la soirée du 16 septembre 2015 où il y a eu la réunion avec les médiateurs et le général Diendéré, le commandement militaire avait exprimé son refus catégorique d’aider le père spirituel de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) à consommer le coup de force perpétré contre les autorités de la Transition. « J’ai dit non catégoriquement au coup d’Etat. Les autres chefs militaires également », a-t-il insisté. En guise de preuve, il affirme que toute la nuit, lui et ses pairs cogitaient et négociaient avec le RSP pour trouver une issue heureuse à la situation. « Le commandement militaire est un art et il y a un tact qu’on utilise dans ce genre de situation. Ce n’est pas comme dans une cour d’école… L’armée est le dernier rempart et si elle se débine, on court à la catastrophe. Nous avons très peu dormi pendant cette nuit. Nous étions dans toutes les tractations. La première des choses dans l’armée est la discussion et non la réaction », a-t-il expliqué. Pour lui, peut-être que la hiérarchie militaire n'a pas trouvé la meilleure des solutions, mais tout a été fait pour éviter tout débordement entre le RSP et les autres militaires. Cependant, pour les avocats de la défense, le témoignage de l’actuel secrétaire général de la Défense nationale, au lieu d’apporter des réponses et de lever le voile sur le rôle et la position de la hiérarchie militaire pendant le putsch, accentue le flou. Tous, au niveau de la défense, en viennent alors à la conclusion que contrairement à ce que l’ex-CEMGAA prétend, le général Pingrenoma Zagré et ses pairs ont bel et bien accompagné le président du CND dans la consommation du coup d’Etat. « L’armée est aussi complice des évènements, car elle n’a rien fait pour arrêter les choses », a déclaré Me Olivier Yelkouni. Et Me Zaliatou Aouba d’ajouter : « Au lieu de nous éclairer, le colonel-major laisse toujours des zones d’ombre. Je ne comprends pas qu’une armée qui n’est pas d’accord avec son adversaire signe des communiqués conjoints avec lui, lui donne un aéronef pour sa mission et lui demande du matériel de maintien d’ordre. La hiérarchie a été complice de cette situation ». En outre pour Me Aziz Dabo, si l’opposition de la hiérarchie était franche dès le 16 septembre 2015, alors il ne voit pas pourquoi le message du commandement militaire adressé aux militaires ne date que du 21 septembre 2015, lequel message, selon l’homme à la robe noire, ne mentionnait ni une opposition franche, ni une ambiguïté de celui-ci à soutenir les évènements qui étaient en cours. Saisissant la balle au rebond, son aînée, Me Mireille Barry, estime qu’il n’y avait aucune consigne et qu’on naviguait à vue, avant de pousser le bouchon plus loin en déclarant : « L’armée a toujours voulu être du côté des plus forts. Du 16 au 23, le plus fort du moment était le général Diendéré. Le vent a tourné de l’autre côté quand il a remis le pouvoir le 23 et la hiérarchie militaire a ainsi changé de camp pour bénéficier des grâces des forts du moment. »
Concernant la mission héliportée à Niangoloko, à la frontière, autorisée par le général Zagré, l’ancien CEMGAA estime qu’elle n’est pas un fait gravissime et n’a rien d’anormal, car cela entrait dans le cadre général du fonctionnement de l’armée, notamment de l’armée de l’air et cela ne saurait donc être assimilé à un acte de complicité. Un point de vue qui n’est pas du tout partagé par la défense
« … Je n'ai jamais craint le général Diendéré »
Lors de son passage de ce jour à la barre, cet officier supérieur de l’armée burkinabè n’a pas manqué de confirmer le mythe que représentait l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) pour les autres corps de l’armée. En effet, selon lui, le RSP était bel et bien une armée dans l’armée et il y avait un mythe qui entourait ce corps, mais « ce mythe n’était pas seulement celui du général Gilbert Diendéré, mais celui de tout le corps », précise-t-il, avant d’ajouter : « Un mythe n’est pas une peur. J’avais le mythe du RSP, pas du général. Je n’ai jamais craint le général », tout en jetant un regard au général qui n’a pas manqué de le lui rendre.
Pour lui, ce corps s’illustrait par l’indiscipline. « Par exemple, en février 2015, lors de la crise avec Zida, alors que nous, les chefs militaires, étions allés pour les négociations, les éléments du RSP ont élevé le ton sur nous, les officiers supérieurs. Ce qu’aucun autre militaire d’aucun autre corps n’aurait fait… », a-t-il illustré avant d’ajouter : « Le RSP n’était pas un corps normal… Le général n’exerçait pas de fonction au RSP en 2015, mais tout ce qui s’y passait était un mythe. Il y avait beaucoup d’influence ». Il note que l’affectation des officiers dans ce corps était faite par cooptation. Ce que refuse le général qui affirme que le RSP était sous la coupe de l’armée de terre qui s’occupait donc du recrutement au niveau de ce corps.
Ce pilote de chasse, aujourd’hui témoin dans le cadre de ce procès, avoue qu’à chacune des réunions à laquelle il prenait part avec le président du CND lors des évènements, il l’assistait avec un grand stress. Mais selon lui, ce stress qui est différent de la peur n’a jamais été un frein pour la hiérarchie militaire d’exprimer ses opinions au général de brigade et de s’opposer fermement au coup d’Etat. « Il y avait le stress, mais on le surmontait. C’est cela aussi, la bravoure du militaire », précise-t-il.
En définitive, c’est un témoin qui s’inscrit en faux contre certaines déclarations du président du CND qui était face au tribunal ce vendredi. « Ce que le général dit n’est pas parole d’évangile », fait-il observer. Par ailleurs, il n’a pas manqué, lors de cette occasion qui lui a été donnée par le tribunal de contribuer à la manifestation de la vérité, de faire ressortir le mal-être de l’armée à l’époque. Mal-être qu’il impute en grande partie au RSP qui, selon lui, se considérait comme étant au-dessus des autres corps et était manipulé par son père spirituel, le général de brigade Gilbert Diendéré.
Candys Solange Pilabré/Yaro