Le Comité national pour le salut du peuple (CNSP) a perpétré un coup d’Etat contre Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) le mardi 18 août 2020. Pour le moment, aucun accord n’a été trouvé sur l’après-IBK. Radars Info Burkina a contacté Mohamed Amara, sociologue, enseignant à l'Université de Bamako et chercheur au Centre Max Weber, par ailleurs auteur de plusieurs ouvrages, dont Marchands d’angoisse, le Mali tel qu’il est, tel qu’il pourrait être, pour avoir sa lecture de l’évolution de la situation sociopolitique dans son pays.
Radars Info Burkina (RB) : Les discussions se sont achevées lundi 24 août entre la délégation de la CEDEAO et la junte au pouvoir au Mali, mais aucun accord n’a été trouvé sur l’après-IBK. Une conférence des chefs d’Etat de la CEDEAO sur la crise au Mali est prévue dans les jours à venir. Etes-vous optimiste quant à l'évolution de la situation ?
Mohamed Amara : Je suis optimiste pour deux raisons principales : la première est qu’il n’y a pas d’autres solutions car les Africains, au-delà des Maliens, sont enclins à trouver une solution à cette crise ; deuxièmement, on n’a pas le choix aujourd’hui par rapport à la situation géopolitique du Mali. Ce pays n’a pas intérêt à tomber parce qu’il pourrait entraîner les autres pays voisins qui sont déjà dans une situation difficile de déliquescence, en particulier dans la zone des trois frontières. Donc on ne peut ajouter de la précarité à la précarité.
RB: Cette situation peut-elle être considérée comme un nouveau départ pour le Mali ?
Mohamed Amara : Tout dépend de son évolution. En effet, c’est le quatrième coup d’Etat et j’espère que ce sera le dernier. En 1991, on était dans l’euphorie. On pensait que le Mali prenait un nouveau départ avec la démocratie. Mais en 2012, ce fut rebelote avec un coup d’Etat qui a mis le pays à mal. Par exemple les 2/3 du territoire ont échappé au contrôle de l’Etat malien suite à ce coup d’Etat qui a exacerbé la situation malienne. Donc ce 4e coup d’Etat du 18 août dernier peut être un nouveau départ pour le Mali si les Maliens se retrouvent autour de l’essentiel. Aujourd’hui l’essentiel pour le Mali, c’est la question de la paix. Il faut qu’on arrive à reconstruire la paix, qu’il y ait un vrai dialogue, de vrais dispositifs de cohésion, des politiques inclusives qui ne sont pas discriminatoires, qui permettent à l’ensemble de la communauté malienne peuhle, targui, bambara, songhay, dogon, bobo, etc., de se retrouver. Et ce, à partir de l’idée qu’elles sont des solutions à la reconstruction de la paix. Donc cette situation peut être un nouveau départ si c’est pensé comme tel. Derrière ça, on doit lutter également contre la corruption : on essaie d’avoir des réformes novatrices par rapport à l’éducation, à l’accès à la santé pour que ça ne soit plus fait de façon inégalitaire. Par rapport à la fiscalité, les recettes publiques devront permettre économiquement de développer le Mali.
RB: Alors que les autres puissances et institutions ont condamné le coup de force, l'ambassadeur russe a été le premier diplomate étranger reçu en audience par l’armée au pouvoir. Quelle analyse faites-vous de cette situation ?
Mohamed Amara : Je pense que c’est quelque chose qui a plusieurs significations. Mais pour l’instant, je ne peux pas tenir un discours là-dessus parce qu’il n’y a rien qui prouve que derrière il y a des liens évidents entre les putschistes et la Russie. Pour l’instant, je ne peux pas qualifier ce lien parce que je ne dispose pas de preuves. On peut émettre l’hypothèse suivante pour rester sur les faits : c’est un signal fort sur la nouvelle donne géopolitique. Mais est-ce qu’avec le putsch, la Russie va entrer dans le jeu sachant que la France est la force la plus puissante militairement au Mali avec 5 100 soldats ? Et à côté de Barkhane, on a les forces onusiennes avec 15 000 hommes. L’hypothèse est que la tectonique politique des relations internationales va certainement bouger. Mais on n’a pas de preuves pour affirmer que les militaires ont des relations privilégiées avec la Russie.
RB: Lors du rassemblement du vendredi 21 août à la place de l’Indépendance, on pouvait lire sur plusieurs pancartes des éloges à la Russie. Quelle appréciation faites-vous de la politique étrangère russe au Mali ?
Mohamed Amara : 89 soldats nigériens ont été tués à Chinégodar. Ce n’était pas la première fois au Niger, au Burkina et au Mali qu’un nombre important de soldats tombe dans les attaques. Donc il y a eu un sentiment anti-Occident qui s’est développé et qui était à l’origine du sommet de Pau le 13 janvier. Par la suite, la Task force Takuba (Forces spéciales européennes) pour le Sahel a été créée. Déjà dans ces manifestations anti-Occident,m on voyait les pancartes russes et d’autres puissances étrangères. Je pense que c’était une façon de dire si les puissances occidentales ne peuvent pas nous aider à nous sortir de ce bourbier, pourquoi nous ne nous tournerions pas vers d’autres puissances ? Mais je pense que les relations sont telles aujourd’hui avec la France et les pays du Sahel qu’il est très difficile de voir cela comme un retournement de situation. Cela peut être perçu par contre comme un sentiment de défiance.
A chaque fois que la situation est tendue entre les anciennes puissances coloniales et les Etats africains, il y a cette envie de liberté, de défiance. Mais au regard des relations actuelles, ces sentiments ne peuvent pas perturber aujourd’hui les rapports historiques entre la France et ces Etats.
Interview réalisée par Aly Tinto