Contrairement à leurs camarades des autres établissements du pays, les élèves du Lycée technique national Aboubacar Sangoulé Lamizana (LTN) étaient hors des classes ce jeudi 17 janvier 2019. La cause de la perturbation des cours dans cette école de référence de la capitale est le sit-in organisé par certains membres de l’administration et du corps professoral afin de dénoncer la gestion et le management chaotiques du proviseur. L’accusant de « dealer » des places, ils réclament la démission pure et simple de celui-ci, condition sine qua non pour eux de reprise des cours.
Depuis octobre 2018, le Lycée technique national Aboubacar Sangoulé Lamizana (LTN) connaît une crise sans précédent. En effet, le premier trimestre de l’année a été jalonné dans cet établissement technique de la capitale par des mouvements d’humeur. Après le mouvement d’humeur de certains membres de l’administration et du corps professoral, les élèves ont pris le relais. Du coup, c’est en queue de poisson que les différents acteurs du système éducatif de cette école se sont séparés pour les congés du 1er trimestre, avec au total pas plus d’un mois de cours effectué.
Selon Seydou Traoré, délégué du personnel de l’établissement, cette situation dramatique est consécutive à la nomination d’Evariste Millogo au poste de proviseur de ce lycée. « Depuis le début, nous avons eu des appréhensions lorsque nous avons appris par des rumeurs qu’il devait être nommé au poste de proviseur. Nous avons même attiré l’attention des premières autorités, notamment de la direction régionale, quant à l’incapacité d’Evariste Millogo de gérer notre établissement. Les syndicats avaient même écrit au ministre pour protester contre cette nomination, car nous connaissions l’homme », confie-t-il. Et pour confirmer leurs appréhensions, le délégué du personnel explique que dès sa prise de service le nouveau proviseur s’est engagé dans un système de « deal de places ». Raison pour laquelle un sit-in de 48h a été décrété afin d’amener le proviseur à se raviser. « Aujourd’hui notre mouvement d’humeur se fonde sur le fait que M. Millogo, à sa nomination en octobre 2018, avait tenté en dehors de tout cadre légal qui est la commission de recrutement d’inscrire 72 élèves. Face à la désapprobation générale, il s’est engagé oralement et par écrit à retirer sa liste pour, selon lui, restaurer un climat apaisé. A notre grande surprise, au retour des congés du 1er trimestre, nous avons été alertés sur le fait que M. Millogo, sans se référer aux structures existantes, a réinscrit de façon unilatérale ces mêmes élèves sur les listes de classe », explique le délégué du personnel qui affirme que pour chaque place « vendue », le proviseur peut s’en tirer avec au minimum cent mille francs CFA. Aussi les mécontents du jour exigent-ils la démission de leur nouveau patron. « Nous estimons qu’au vu de la gravité des actions posées par Monsieur Millogo depuis octobre, il n’est plus pour nous, un interlocuteur crédible. Nous sommes conscients de l’avenir des enfants, qui se trouvent sur sa liste, mais aujourd’hui, ils sont victimes d’un système auquel nous voulons mettre fin. En termes clairs, nous voulons sa démission pour que nous ayons un climat serein et propice au travail », exige-t-il.
Mais pour celui qui est rejeté et accusé par certains de ses collaborateurs, il s’agit plus d’un problème de personnes, car il dit n’être jamais passé par quatre chemins pour exprimer son ressenti et montrer ses convictions. « J’ai toujours fait savoir à tous que sous mon mandat, personne ne prendrait en otage les examens de fin d’année et cela ne plaît pas toujours », a-t-il noté, avant d’ajouter : « Le vrai problème doit être ailleurs, parce que nous avons épuisé toutes les formes de rencontre dans le but de la réconciliation. Et certains ont dit ouvertement que tant que je serais à ce poste, ils ne pourraient pas travailler avec moi, arguant que je serais arrogant, insolent et même un voleur. Ils ont dit que si je suis nommé, ils allaient s’opposer et ils l’ont fait et que si on veut m’installer ils vont faire un sit-in et effectivement ils étaient 19 à le faire sur un effectif de 400 personnes. Ils ont même tenté de manipuler les élèves en convoquant les délégués sans en informer l’administration. Ils ont clairement dit aux élèves que le problème n’était pas au niveau de la liste mais plutôt la personne de Monsieur Millogo ».
En ce qui concerne la liste de 72 noms qui fait l’objet de toutes les récriminations, le proviseur assure avoir fait preuve de la plus grande transparence. « Dire que j’ai mis 72 noms, je ne l’ai jamais fait. Ces noms étaient sur une liste que j’ai remise en son temps à l’intendant lorsque le proviseur sortant étant en voyage. Je lui ai dit que c’était ma liste et c’est la procédure que nous avions et devant chaque nom, en toute transparence j’ai écrit puisque je suis l’un des plus anciens ici. Devant les noms, je prends toujours le soin d’inscrire le nom de celui qui m’a sollicité la place et son numéro de téléphone. Ce sont généralement des anciens collègues qui sont partis à la retraite, d’anciens chefs d’établissements à la retraite, des inspecteurs de l’enseignement technique. C’est dans cette forme que j’ai fait les choses », explique-t-il.
Par ailleurs, il rejette cette casquette de vendeur de places que lui imputent les mécontents. « Je n’ai pas pris d’argent. Lorsque la liste est remise et qu’elle est validée par le proviseur, celui-ci envoie la liste à l’intendant et les parents vont là-bas payer. Ce n’est pas moi qui récupère l’argent. Il y a des reçus de paiement, l’argent n’est pas pris comme ça. Je défie quiconque d'amener quelqu’un qui va dire que je lui ai pris de l’argent contre un dossier », se défend-il avec véhémence.
Quoi qu’il en soit, il estime que les mécontents du jour ne sont pas représentatifs (moins d’une trentaine sur 400 personnes), et ne peuvent en aucun cas le contraindre à rendre le tablier, d’autant plus que ceux qui lui ont fait confiance à ce poste ne lui ont pas encore manifesté de signes d’insatisfaction. « Pour ceux qui demandent ma démission, si c’étaient les industriels qui s’élevaient contre moi cela allait me poser beaucoup de problèmes de gestion parce que j’ai été leur responsable pendant six ans. Je ne me suis pas nommé donc je ne vais pas démissionner. Donc si je dois m’en aller c’est à la personne qui m’a nommé de me faire savoir qu’elle ne veut plus de moi », déclare-t-il.
Pris entre les deux camps, les élèves par la voix de leur délégué Abdoul Razack Paré, disent se départir des guéguerres de personnes et appellent les deux camps à mettre l’intérêt supérieur des élèves au-dessus. Ils estiment par ailleurs que tout élève sans exception ayant son nom sur la liste des élèves du LTN et ayant honoré ses frais de scolarité doit être accepté en classe.
Quoi qu’il en soit, si cette situation confuse et tendue persiste, c’est l’année académique de tous les élèves qui est hypothéquée, car pendant que leurs professeurs dispensent des cours dans les autres établissements, ils désertent leurs classes. Les autorités sont aussi interpellées à se pencher sur cette situation, car c’est un secret de Polichinelle, le LTN est pour l’instant le seul lycée public industriel de la capitale.
Candys Solange PILABRE/ YARO