Au tribunal militaire de Ouagadougou, le procès du putsch se poursuit avec l’interrogatoire du général Djibril Bassolé. Et pour ce 4e jour d’audition, les écoutes téléphoniques, sur lesquelles repose essentiellement l’accusation de cet ancien chef de la diplomatie burkinabè, restent au cœur des débats. Toutefois, face aux questions et observations des avocats de la partie civile, le général s’est muré dans un silence total, refusant de répondre à leurs questions. Mais qu’à cela ne tienne, pour Me Prosper Farama et ses pairs, l’accusé et son conseil se sont piégés dans leur propre stratégie de défense empreinte, selon eux, de contradictions.
Le général Djibril Bassolé, pour sa défense à ce procès du putsch de septembre 2015, rejette les enregistrements sonores, objets de sa poursuite judiciaire. Tout en qualifiant ces écoutes de « sauvages, fabriquées et manipulées », il soutient que leur origine est douteuse, car ayant été téléchargées sur Internet. Pour lui, ces audio ne respecteraient pas les standards en la matière. « Pourquoi cette affaire d’internet est capitale pour ma défense ? La toute première fois que j’ai eu vent de ces écoutes ; c’était par les ondes. Mon avocat m’a dit que c’est un journaliste ivoiro-camerounais qui les a mises en ligne et que par la suite, elles ont été versées dans le dossier… La gendarmerie n’a jamais intercepté ces communications, contrairement au fait qu’on fait croire qu’elles ont été interceptées par des OPJ. Je l’ai su par mes sources. Aucun service national, aucune administration publique du Burkina Faso n’a procédé à l’interception et à l’enregistrement de ces écoutes », soutient le général de gendarmerie avant d’ajouter : « Pour nous, à partir du moment où la pièce n’a pas les caractéristiques d’un enregistrement normal, classique, standard et qu’aucun service du Burkina Faso n’a procédé à cet enregistrement, permettez-nous, Monsieur le parquetier, d’émettre des doutes graves… Vous avez coutume de dire que ce procès est à but pédagogique et je vous crois, alors, enseignons ce qui est bien. Vous êtes incapables de dire dans quelles conditions cela a été fait. Je veux et je souhaite que tous les Burkinabè sachent que ces éléments sonores ne sont pas réguliers. Pourtant, tout repose sur ça et c’est autour de ça que vous voulez forger de nouvelles infractions et accusations ».
Mais pour le parquet militaire, l'origine de ces interceptions téléphoniques ne souffre aucun débat. « L’arrêt de renvoi de la page 74 à la page 75 explique les origines de ces écoutes. A la cote i475, lorsque le juge entendait pour la 3e fois le général, il a fait des mentions pour dire que ce sont des OPJ qui ont été commis à la tâche. Quand on dit qu’on ne connaît pas les origines, c’est un peu gros. La question a été débattue dans le fond dans la chambre de contrôle. Les origines de ces pièces sont connues depuis le cabinet du juge d’instruction », a martelé le ministère public. Toute chose qui passe mal du côté de la défense. « La fin ne justifie pas les moyens. Face au refus de s’exprimer sur les écoutes, le parquet veut leur donner une valeur probante, renversant la charge de la preuve. Personne ne connaît l’origine, le support de l’enregistrement. Le parquet se retranche derrière l’arrêt de renvoi pour dire qu’il n’y a pas lieu de contestation », a martelé Me Bertrand Replot.
Après le parquet, l’accusé était entre les mains des avocats de la partie civile pour leurs questions et observations. Mais, contre toute attente, l’ancien ministre des Affaires étrangères a refusé de se plier à l’interrogatoire de la confrérie des avocats de la partie civile, les renvoyant à chaque question à ses avocats. Quand il ne jette pas à la figure des avocats de la partie civile ces réponses : « Vous pouvez faire des observations, mais je ne souhaite pas répondre à vos questions », « Mes avocats se chargeront de répondre à vos préoccupations » « Je ne tiens pas à faire de polémique sur cette question des écoutes. J’ai longuement donné ma position », il se mue dans un silence de mort. Mais, pour la partie civile, ce silence est très parlant. « En réalité, la stratégie de dire je ne réponds pas est un aveu de culpabilité », estime Me Hervé Kam.
Ce mur construit par l’accusé n’a toutefois pas empêché Me Farama et ses pairs de poser leurs questions et de formuler leurs observations. En s’appuyant sur le recours du général et de ses conseils devant la Cour de justice de la CEDEAO (pièce versée au dossier ce matin par la partie civile), Me Farama note qu’à propos de ces interceptions téléphoniques, la défense dénonce une immixtion dans la vie du privé de l’accusé et qualifie ces écoutes d’illégales en les comparant à celles que font habituellement les Américains. De cette analyse du recours, l’homme à la robe noire relève des contradictions quant à la stratégie de défense adoptée par l’ex-patron de la diplomatie burkinabè et ses conseils. « Comment une conversation que vous n’avez jamais tenue peut porter atteinte à votre vie privée ? Je ne vois pas comment des éléments fabriqués peuvent porter atteinte à la vie privée », a-t-il souligné.
IIl faut noter que parmi la centaine d’écoutes téléphoniques interceptées, il y a la communication que le général a eue avec le commandant Damiba où il cherchait à confirmer si le commandant était en mouvement sur Ouaga avec ses troupes. Laquelle conversation a été reconnue par l’interlocuteur de l’accusé lui-même. Alors, le défenseur des victimes, de poser cette question : « Comment des écoutes fabriquées peuvent faire sortir cette corrélation ? »
De l’analyse des écoutes et des faits établis, Me Farama note qu’à l’instar de la communication avec le commandant Damiba, les interceptions téléphoniques ont aussi révélé que le général de gendarmerie a remis un million de francs CFA au journaliste Adama Ouédraogo, dit Damiss, et cinq millions de francs CFA à Ismaël Diendéré, fils du général de brigade Gilbert Diendéré ; Lesquels faits se sont par la suite confirmés à travers les déclarations des uns et des autres. Cette réalité des faits conforte la partie civile dans sa conviction que ces audio retranscrits et versés dans ce dossier sont authentiques. « Comment des écoutes fabriquées par des Américains peuvent attester de la véracité des faits ? », s’est une fois de plus demandé Me Farama.
De ces différentes analyses, observations et corrélations faites entre les retranscriptions téléphoniques et les faits, les avocats de la partie civile concluent que l’accusé et sa défense se sont eux-mêmes piégés dans leur stratégie de défense, qu’ils disent du reste empreinte de contradictions. Toute chose qui, pour eux, fait douter de la sincérité du général Djibril Bassolé à aider à la manifestation de la vérité.
Candys Solange Pilabré/Yaro