Alidou Ilboudo est l’un des Imams du Cercle d’études, de recherches et de formation islamique (CERFI). Il est par ailleurs le directeur du Centre culturel islamique du Burkina (CCIB). Dans cet entretien qu’il nous a accordé, il aborde la distinction entre terrorisme et djihadisme, la cohabitation religieuse au Burkina…
Radars Info Burkina (RIB) : Quelle est la différence entre le terrorisme et le djihadisme ?
Alidou Ilboudo (AI): Effectivement, c’est malheureux de constater qu’il y a l’amalgame entre le terrorisme et le djihad. Je ne dirai pas djihadisme mais plutôt le djihad. Le terrorisme renvoie à des actes de terreurs que des individus exercent sur des populations, sur des communautés ou des pays, à des fins idéologies ou politiques. Ce sont des actes inhérents à la vie des communautés ou à l’histoire des peuples. Pourtant, le djihad est une notion islamique qui n’a rien à voir avec le terrorisme ; et qui dans certaines de ses formes ne sont pas forcément guerrière ou combattante. Il y a lieu vraiment de faire un distinguo clair pour qu’il n’y ait pas d’amalgame.
Le djihad vient d’un mot arabe « djihâda », qui signifie faire un effort. Donc, tout effort que quelqu’un fait dans la religion, en vue de protéger les personnes, les biens ou son honneur est assimilé au djihad.
Toutefois, il peut arriver que cet effort soit de nature guerrière ou combattante. Dans ce cas, on parle de djihad armée. Sinon, la guerre en arabe se dit « alharb ». Cela n’a rien à voir avec le mot djihad. C’est le premier élément qu’il faudra bien distingué.
Deuxième élément, le terrorisme a été employé dans l’histoire des peuples avant notre siècle mais dans certaines régions du monde, cela date de notre époque et ses visées ne sont pas forcément religieuses.
RIB : Pourquoi de nombreuses personnes font l’amalgame entre ces deux notions ?
AI : Sur le plan théorique, les terroristes peuvent utiliser des référents culturels, sociologiques ou religieux pour justifier leurs actes. A ce moment, la confusion serait présente. Les terroristes peuvent être dans une zone à coloration religieuse.
Si la population dans laquelle le terrorisme sévi est musulmane, chrétienne ou d’une autre religion, effectivement, les actes terroristes prendront la couleur de la communauté en question. Puisque ce sont des personnes qui se sont engagées dans un combat, ils utilisent une référence.
Sur le plan pratique, les zones en conflit que nous avons aujourd’hui dans le Sahel, en Iraq et dans tout ce qui est appelé l’Etat islamique, sont habitées majoritairement par des musulmans. Donc si on analyse ces conflits, les personnes impliquées sont de confession musulmane et cela va nécessairement se ressentir.
Sinon, lorsque vous prenez, par exemple, la zone de l’Afrique centrale où il y a l’armée de libération des « ninjas » avec le pasteur Ntumi, vous verrez qu’il a un référent qui n’est pas islamique. C’est un mouvement qui fait beaucoup de ravage autant que les autres mouvements terroristes qu’on veut dire d’inspiration musulmane que nous avons dans notre Sahel. Donc ce sont les populations et les zones concernées qui donnent la couleur du terrorisme.
RIB : Comment vous justifiez ce paradoxe en termes de responsabilité ?
AI : Les conflits terroristes que nous avons actuellement sont d’inspirations politiques. Ainsi, la responsabilité est partagée autant par nos dirigeants africains que par ceux qui, de par le passé, nous avaient colonisés.
D’abord, il y a des revendications territoriales et des visées sécessionnistes qui sont derrières ces mouvements. Lorsque vous prenez la zone du Sahel, vous avez les populations nomades qui se soulèvent. Peut-être que ce sont les combattants qui se présentent en premier plan comme étant affiliés à des mouvements terroristes, mais il peut y avoir des populations qui sont à l’origine. Quand vous les approchez, c’est plutôt des revendications sécessionnistes, ou bien des gens qui se disent laisser à leur propre sort, ou qui ne sont pas suffisamment pris en compte par les républiques. Donc l’erreur vient de nos dirigeants qui n’ont pas su prendre suffisamment en compte ces zones dites périphériques. Sous la troisième république, on disait que le Nord du Burkina était une prison. C’est pareil pour les nord du Niger, du Mali, etc.
L’autre cause, c’est aussi le fait que la colonisation n’a pas bien déterminé les frontières qui puissent être assez stables. Parce qu’il y a des populations qu’on a mises ensemble qui ne parviennent toujours pas à vivre en paix. Quand vous prenez la zone du Nigéria, la cohabitation est difficile entre musulmans et chrétiens et parfois entre éleveurs et commerçants.
Ils pourraient exister d’autres causes que nous ignorons. Peut-être des questions des minérais. Je pense que les causes sont multiples. Lorsqu’on analyse bien, la donne religieuse est très loin derrière s’agissant du Sahel du Burkina, du Mali et du Niger.
RIB : Que faites-vous au niveau des mosquées pour lever l’équivoque entre l’Islam et le terrorisme ?
AI : Nous avons toujours enseignez l’Islam que nous avons reçus de nos parents et de nos premiers maîtres, à savoir celui de la cohabitation pacifique. Nous ne pouvons pas soupçonner que des mouvements terroristes puissent tirer quelque chose de notre enseignement.
Nous nous évertuons à faire la clarification sur la confusion que l’on peut faire entre le djihad et le terrorisme. Nous produisons aussi des contre discours, parce qu’il est évident que ces terroristes peuvent par le désir d’embrigadement de la population, essayer de tirer des références aussi de nos textes, que cela soit le Coran, les hadiths et les vécus des musulmans.
Donc il faudra montrer aux fidèles que c’est une exploitation malencontreuse et maladroite des textes pour pouvoir embrigader les populations.
RIB : Sous d’autres cieux, musulmans et chrétiens sont animés par une relation d’adversité. Au Burkina, quels rapports entretiennent les fidèles de ces confessions religieuses ?
AI : Je pense que la cohabitation entre diverses religions est quand même assez appréciable et enviable par des pays voisins.
Nous avons toujours connu cela. Il y a une mobilité religieuse et un vécu religieux sans problème avec la multiplicité des confessions et des communautés. Cela est à mettre aussi à l’actif de nos différentes traditions et cultures. Je suis par exemple de la culture Moaga. Il y a des évènements qui au-delà de la religion, nous réunissent toujours au village. Il s’agit entre autres des fiançailles, de funérailles, chefferie traditionnelle et coutumière. Je pense que cela à contribuer à tamiser les velléités de positions qui auraient pu surgir dès la pénétration des religions au Burkina.
Un autre élément de cette cohésion, c’est le fait que les différentes religions sont arrivées au Burkina par une voie pacifique. Que ce soit la colonisation qui a amené le christianisme, ou les arabes commerçants, l’islam, cela s’est fait de manière progressive et les populations ont adhéré chacun selon son choix.
Toutefois, il peut arriver qu’il y ait des problèmes dont les causes ne seront pas forcément religieuses. Il peut s’agir des parcelles, de filiation et de mariage. Quand ces problèmes opposent les communautés, il faut aller au-delà de la religion pour les résoudre selon les règles de l’art.
Enfin, il y a le dialogue interreligieux. Les leaders religieux se rencontrent, échangent et participent à des événements religieux les uns, des autres. Cela met de l’harmonie dans la communauté puis donne beaucoup de confiance aussi aux fidèles. Je pense que c’est un régulateur que les religieux du Burkina ont mis en place de façon tacite.
Propos recueillis par Marou SAWADOGO