Dans le cadre du processus de réconciliation nationale, de consolidation de la cohésion sociale et du vivre-ensemble au Burkina, le Conseil des ministres, en sa séance du mercredi 3 mai 2023, a décidé de la création d’un centre de déradicalisation et de réinsertion sociale des ex-membres des groupes armés terroristes. Quels peuvent être les enjeux de la réinsertion des anciens membres terroristes ? Comment ces personnes peuvent-elles être récupérées ? Dieudonné Tankoano, sociologue, écrivain et enseignant), dans une interview accordée à Radars Burkina, apporte des éléments de réponse.
Radars Burkina : Que pensez-vous de cette décision du gouvernement ?
Dieudonné Tankoano : Parlant de la décision prise par le gouvernement du président Ibrahim Traoré, allant dans le sens de la déradicalisation et de la réinsertion sociale, je la trouve très louable. Depuis l'avènement du phénomène, nos analyses et nos inquiétudes portaient aussi sur l'avenir du pays pendant les périodes de guerre et post-guerre. L'idée du projet témoigne de la volonté manifeste du gouvernement de veiller au processus de désarmement. De plus, ce projet sème déjà la graine de la réconciliation, car l'annonce d'un plan de réinsertion bien nourri et porteur d'avenir sera motivateur pour le désarmement et va stimuler la déradicalisation.
Radars Burkina : Qu’est-ce que la déradicalisation ?
Dieudonné Tankoano : La radicalisation étant un processus par lequel un individu ou un groupe d’individus adoptent une forme violente d'action, la déradicalisation est un processus par lequel un individu ou un groupe radicalisé est amené à abandonner une idéologie qui légitime la violence comme mode d’action. Autrement dit, c’est une manière d’inciter un individu ou un groupe d’individus radicalisés à renoncer à la violence. Mais il convient de noter que le mot « déradicalisation » est tellement vague qu’il serait préférable de le remplacer par le mot « réhabilitation » ou « réintégration » dans la société.
Radars Burkina : Quels peuvent être les enjeux de la réinsertion des anciens membres terroristes ? N'est-ce pas un risque pour la société ?
Dieudonné Tankoano : Quant aux enjeux, ils sont plus qu'énormes dans ce projet. Le premier enjeu relève de la fiabilité même du projet : après avoir pris des armes contre son pays, il ne sera pas aisé de se repentir sans une garantie fiable de sa sécurité, de son avenir, bref de sa future vie. Donc j'invite le gouvernement à concocter un projet fiable avec des acteurs et des indicateurs fiables pour créer une certaine motivation à se repentir.
L'autre enjeu est d'ordre pratique. Faut-il réinsérer un ancien manipulateur d’AK47, pour qui les armes n'ont plus de secrets comme un menuisier, un mécanicien, un jardinier ?
Comme proposition, il faut créer une réinsertion centrée sur les proximités, la psychologie et le choix des repentis afin d'être sûr de réussir la réinsertion. Le dernier enjeu que j'évoque est d'ordre juridique. Malgré la volonté de désarmer les terroristes, je pense qu'il faut juger ces repentis, non pas pour les condamner mais pour qu'ils reconnaissent leur tort avant de leur faire grâce dans les domaines d'activités et de métier de la vie.
Radars Burkina : Comment ces personnes peuvent-elles être récupérées ?
Dieudonné Tankoano : Si nous voulons réussir ce projet, je pense qu'il faut ouvrir la réinsertion des ex-terroristes à tous les niveaux de la société. En effet, ce sont des hommes comme nous. Ils deviennent normaux après s’être repentis. Donc, ils ont droit à tout ce à quoi nous aussi avons droit. Ils peuvent s'insérer à tous les niveaux de la société.
Radars Burkina : À quel niveau la réinsertion peut être faite pour éviter que ces ex-terroristes retournent d'où ils sont venus (en termes d'activités puisqu'il s'agit de personnes qui manipulaient des armes) ?
Dieudonné Tankoano : La réinsertion peut être faite dans des activités comme le maraîchage, l'élevage, la pisciculture, la manutention, l'art, la santé, le renseignement pour traquer les autres bandits, dans la mécanique et même dans l'armée pour certains pour combattre (nombreux parmi ces terroristes sont des radiés de l'armée, selon des informations dont nous disposons, à savoir l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) et les soldats radiés à la suite de la mutinerie de 2011. Ceux-là ne seront intégrés conséquemment que si on les utilise dans l'armée.
Le plus beau cadeau que l'on puisse offrir à un ex-terroriste devenu un repenti, c'est de garantir sa sécurité et de lui permettre d'avoir un travail qui l'éloignera de la nostalgie du terrorisme. Beaucoup ont intégré les rangs des forces du mal par manque d'emploi. Ceux-ci n'attendent qu'une promesse d'emploi de leur État pour se déradicaliser.
Propos recueillis par Flora Sanou