Le théâtre joue un rôle prépondérant dans la Semaine nationale de la culture (SNC). Cependant, il avait été retiré de cette rencontre culturelle depuis quelques années. Dans une entrevue accordée à Radars Burkina, Martin Zongo, membre de l’académie nationale des sciences, des arts et des lettres du Burkina Faso, administrateur du Carrefour international de théâtre de Ouagadougou (CITO), membre du Conseil économique et social (CES) et professeur de français, a annoncé le retour du théâtre à la SNC à compter de cette 20e édition, mais dans sa version écrite.
Radars Burkina : Après deux reports successifs, la Semaine nationale de la culture (SNC) devrait finalement se tenir du 29 avril au 6 mai 2023. Comment avez-vous accueilli cette annonce du gouvernement ?
Martin Zongo : Nous avons accueilli l’annonce avec beaucoup de soulagement, parce que ça fait longtemps que nous courons derrière le retour du théâtre à cette grande rencontre des arts et de la culture que constitue la SNC. Depuis 2020 où la SNC devait se tenir, on avait déjà acté le retour du théâtre dans sa forme littéraire.
Radars Burkina : Justement cette 20e édition se tient dans un contexte assez difficile et même très préoccupant au regard de la situation sécuritaire du pays. À quoi peut-on alors s’attendre ? L’enjeu sécuritaire n’impactera-t-il pas négativement les expressions culturelles ?
Martin Zongo : Ça doit être une édition qui conforte la résilience de notre peuple. Le rôle de l’art en général et particulièrement du théâtre, c’est de raviver la conscience des citoyens, du public qui nous regarde pour dire que quand il y a des situations difficiles, il faut vous aussi adopter des attitudes conséquentes. Il faut qu’on ait des attitudes qui soient conformes à l’actualité du moment. Il faut inciter les gens à être solidaires, résilients, patriotes, compatissants. Tous les artistes doivent converger pour demander au peuple d’avoir ces qualités pour que nous puissions faire face au terrorisme.
Nous avons eu la chance d’être précédés par deux évènements internationaux (NDLR : Le SIAO et le FESPACO) qui ont même réussi plus que certaines éditions en temps de paix. La sécurité a joué son rôle et nous saluons tous ceux qui œuvrent jour et nuit pour que nous puissions avoir un minimum de paix, et nous comptons sur eux pour que la SNC puisse se dérouler dans des meilleures conditions et que les Burkinabè puissent partager leurs cultures. Nous n’avons pas peur.
Radars Burkina : La SNC et le théâtre, c’est l’histoire d’un mariage qui a duré plusieurs années, mais aussi celle d’un divorce. Tout d’abord, comment le théâtre a-t-il été intégré dans les programmes de la SNC et qu’est-ce qu’il a apporté aux différentes éditions ?
Martin Zongo : Le théâtre a toujours participé à la SNC. Il a été un point d’attraction de la SNC et à une certaine époque, il brillait de toute sa splendeur dans les compétitions de la SNC. C’est avec le temps, les difficultés financières, qu’on a trouvé que c’était difficile de gérer le théâtre. Sinon le théâtre avait sa place et a même produit des artistes exceptionnels.
Le théâtre joue un rôle de détente, de plaisir à travers le spectacle marqué par l’esthétique intellectuelle et spirituelle. Le théâtre a également un aspect didactique parce qu’à travers une pièce de théâtre, il y a des messages qu’on passe et qui touchent le cœur, l’esprit, l’âme, la conscience des spectateurs. Cela peut amener à des changements de comportement, de compréhension. Donc le théâtre contribue à former, à sensibiliser, à conscientiser et à créer des citoyens conscients et responsables qui participent au développement de leur pays, quel que soit le poste qu’ils occupent.
Radars Burkina : Quand et pourquoi le théâtre a-t-il été retiré des programmes de la SNC ?
Martin Zongo : Le Théâtre a été supprimé il y a près de 10 ans (entre 8 et 10 ans). À l’époque ce qu’on nous avait expliqué, c’est que notre discipline était un peu difficile à gérer, car il faut beaucoup de choses pour la réalisation d’un spectacle de qualité : un espace qui convienne, de la lumière, du son, de la scénographie, des répétitions, etc. Or tout ça ne peut pas se faire en un temps éclair.
Nous avons besoin, au minimum, d’une soirée pour répéter la veille, le lendemain pour jouer pour ensuite enlever nos scénographies, notre décor. Pourtant la programmation de la SNC fait que vous arrivez, vous prestez et vous continuez, tandis que d’autres montent de programme. Donc cela constitue des difficultés que la SNC n’arrivait pas à gérer comme il fallait.
En désespoir de cause, les responsables ont décidé de mettre de côté cette discipline, le temps de réfléchir sur la façon de mieux la gérer pour qu’elle revienne parce que le théâtre est une discipline suffisamment pratiquée dans notre pays avec beaucoup d’amateurs et de professionnels ; on ne peut donc pas le supprimer définitivement de la SNC.
Radars Burkina : Vous avez toujours plaidé pour une réintroduction du théâtre dans les programmes de la SNC. Alors, où en êtes-vous aujourd’hui ?
Martin Zongo : Nous, les acteurs du monde du théâtre, avons été marqués, déçus lorsqu’on a retiré cette discipline artistique des compétitions de la SNC. Depuis 2020, nous avions obtenu du ministre Abdoul Karim Sango que le théâtre revienne dans un premier temps dans sa forme littéraire, en attendant que les responsables réfléchissent à la façon dont on peut trouver des solutions aux complications techniques qui ont occasionné le retrait du théâtre joué de la SNC et j’étais désigné comme président du jury de la discipline théâtre de la SNC. Pour l’édition qui va enfin se tenir du 29 avril au 6 mai prochain, je demeure président du jury du théâtre et avec les membres de mon jury, nous avons fini le travail d’appréciation des œuvres littéraires qui ont été soumises et nous attendons la SNC pour faire la proclamation.
Nous allons rester debout jusqu’à ce qu’on ramène le théâtre joué parce qu’il est fait pour être représenté et non pour être lu dans des salons. Nous nous contentons de cette petite victoire de retour du théâtre littéraire, mais nous allons continuer les négociations, le plaidoyer jusqu’à ce que le théâtre représenté sur scène revienne et prenne sa place à la SNC.
Radars Burkina : Le 27 mars de chaque année est consacré Journée internationale du théâtre. Comment se porte le théâtre au Burkina ?
Martin Zongo : Le théâtre se porte comme tous les autres domaines d’activités du Burkina. Nous sommes quelque peu touchés par le terrorisme. Le théâtre n’est pas une activité rémunératrice, nous avons besoin de soutien pour pouvoir travailler. La situation économique est devenue assez difficile et comme ceux qui avaient l’habitude de nous aider se trouvent dans des difficultés, ils ne peuvent plus faire comme auparavant. Donc par ricochet nous en sommes victimes, ce qui ne nous permet pas de donner la mesure de nos compétences du point de vue de la mise en œuvre de nos activités. Le terrorisme a restreint nos champs d’activité. Le théâtre accuse le contrecoup de l’insécurité mais comme tout le monde, nous résistons et nous espérons que les choses iront mieux. Nous restons résilients et optimistes.
Flora Sanou