Dans une circulaire signée par le Premier ministre Me Apollinaire Kyélem de Tambéla et datant du 7 mars 2023, il est dit qu’il faut désormais l’autorisation du PM avant l'attribution des marchés publics et délégations de services publics. Objectif : renforcer le mécanisme de contrôle des résultats des appels à concurrence parce qu’il a été constaté des insuffisances majeures qui entravent la célérité, l'efficacité et la transparence du système de la commande publique au Burkina Faso. Dans cet entretien qu’il a bien voulu accorder à Radars Info Burkina, Youssouf Ouattara, administrateur civil et directeur exécutif du Centre d’information, de formation et d’études sur le budget (CIFOEB), dit ce qu’il pense de cette nouvelle mesure.
Radarsburkina.net : Quelle est votre appréciation de la décision du Premier ministre Me Apollinaire Kyélem sur les passations de marchés publics ?
Youssouf Ouattara : Quand on regarde le contenu de la note, on se demande si le Premier ministre s'est entouré des compétences nécessaires, car quand on est un dirigeant, on doit s’entourer de l’expertise nécessaire pour que les décisions qu’on prend soient éclairées et conformes à la norme. Quand on lit cette note, on se rend compte qu’elle a été prise par des gens qui ne connaissent ni les procédures ni la réglementation en matière de marchés publics et qui ignorent les implications d’une telle mesure.
Radarsburkina.net : Quel est le processus de gestion des marchés publics au Burkina ?
Youssouf Ouattara : D’abord en 2008, il y avait déjà le décret 176 qui réglementait les marchés publics. En 2016, il y a eu une loi sur la commande publique, opérationnalisée par un décret. Les insuffisances qui avaient été constatées à travers le décret 176 étaient prises en compte dans la nouvelle loi en 2016. En quoi consiste le processus ? Chaque ministère ou société passe ses marchés. Il faut savoir qu’il existe plusieurs types de marchés : les marchés à cotation, les marchés à demande de prix, les marchés à appel d’offres, les marchés de gré à gré. Dans la chaîne de passation des marchés, il y a ceux qui sont chargés d’élaborer et de publier les dossiers d’appels d’offres mais aussi de procéder au dépouillement et à l’analyse desdites offres, faits à travers la commission d’attribution des marchés. Après l’analyse, la commission élabore son rapport et il y a une autorité contractante qui valide ce résultat. Le premier responsable, selon l’institution, est chargé de valider ce résultat et de procéder à la signature du contrat.
Radarsburina.net : Quel sera désormais le rôle de l’Autorité de régulation de la commande publique avec cette circulaire de la primature ?
Youssouf Ouattara : Avec cette circulaire, c’est comme si le Premier ministre mettait entre parenthèses certaines prérogatives de l’Autorité de régulation de la commande publique (ARCOP). Car lorsqu’une autorité contractante valide un marché, si le prestataire se sent lésé, s’il n’est pas satisfait de la procédure parce qu’il estime qu’il y a eu de la tricherie ou du favoritisme, il y a un organe de règlement de litige auprès duquel il peut porter plainte. Cet organe prévu par la loi va trancher pour dire qui a raison entre l’autorité et le prestataire. Cet organe peut demander à l’autorité contractante de reprendre la procédure, mais à la fin c’est l’autorité contractante qui va décider d’attribuer le marché.
Radarsburkina.net : Quelle incidence cette nouvelle mesure pourrait-elle avoir sur la gestion des marchés publics ?
Youssouf Ouattara : Le fait que la circulaire soit déjà prise pose problème parce que les acteurs du secteur des marchés publics ne vont pas la respecter. Or, c’est un problème qu’une autorité prenne une décision et que celle-ci ne soit pas respectée. Mais lorsque l’ordre est manifestement illégal, on ne l’applique pas.
Auparavant, on gagnait en nombre de jours mais avec la mesure du PM, un autre échelon de vérification a été ajouté et cela va assurément allonger les délais. Cette mesure va retarder les délais d’exécution des marchés.
Sur la question de la transparence, rien n’est clarifié dans la circulaire, sur quoi il se base, quelle sera la procédure… donc ça ne résout pas le problème de la transparence. On peut douter de la profondeur de la réflexion sur la question parce que les marchés qui font l’objet de beaucoup de difficultés, ce sont ceux passés de gré à gré, pourtant dans la circulaire le PM exclut les marchés qui sont passés de « gré à gré », sur demande de cotation alors que c’est là qu’il y a beaucoup plus d’irrégularités.
Radarsburkina.net : Comment promouvoir une bonne gestion des marchés publics ?
Youssouf Ouattara : Pour plus de célérité, de transparence et d’efficacité, il faut poursuivre la digitalisation du processus de passation des marchés publics. Il y a un projet qui est là, accompagné par des partenaires, pour que le système de passation des marchés publics soit informatisé.
Quand les acteurs vont comprendre que tout le monde surveille à travers ces plateformes, il y aura beaucoup de transparence car, c’est parce que ça est dans les tiroirs que les gens font de la surfacturation et entre eux, ils valident les papiers et les achats sont finalement fait à des coûts élevés.
Si toutes les informations sont sur une plateforme, le Premier ministère peut mettre sur pied un service qui va suivre, contrôler, vérifier, s’intéresser à un service particulier ou à une autorité contractante spécifique ! Je pense que c’est dans cette direction qu’il faut aller en lieu et place de la mesure qui a été récemment prise. Il faut donc réduire le pouvoir discrétionnaire des agents impliqués dans la passation des marchés à travers un mécanisme électronique.
Flora Sanou