Alors que le mois du carême musulman entame sa première semaine, nous sommes allés à la rencontre de l’imam Halidou Ilboudo de l’association des élèves et étudiants musulmans du Burkina (AEEMB) pour nous imprégner de la particularité de ce mois pour les musulmans ainsi que des attitudes à privililègier pour un jeûne réussi.
Radars Info Burkina : Quelle est l’importance que revêt le mois de ramadan pour les musulmans ?
Halidou Ilboudo : Le mois de ramadan est très important en islam parce que c’est au cours de ce mois que le Coran a été révélé au Prophète Muhammad (pssl).Il est aussi important parce qu’à l’anniversaire de cette révélation, Dieu y a prescrit le jeûne qui est le troisième pilier de l’islam après la profession de foi (shahada), et la prière. Le jeune a une position centrale dans l’éducation spirituelle du musulman.
RIB : Quelles sont les attitudes à observer pendant ce mois ?
HI : Il est d’abord recommandé le jeûne qui est un acte d’adoration central et qui consiste à s’abstenir de boire de manger et d’avoir des relations intimes de l’aube jusqu’au coucher du soleil. Voilà pour ce qui est de l’abstention matérielle. Ā noter qu’il y a aussi un jeûne spirituel qui accompagne l’abstention matérielle. Il consiste à discipliner le langage, le regard bref tous les faits et gestes que les membres peuvent poser de sorte à ce que le jeûne soit le plus intégral possible. Il y a aussi le fait qu’il faut lire abondamment le Coran et faire beaucoup d’invocations et de prières. Sans oublier qu’il faut faire de la charité. Tous ces actes accompagnent le jeûne mois de ramadan.
RIB : Dans quelles conditions est-on dispenser de jeûner ?
HI : Le jeûne est recommandé aux enfants mais ne leur est pas imposé. Quant aux adultes ils ont le devoir de jeûner tant qu’ils ne sont pas en voyage et qu’ils sont en bonne santé. Toujours est-il que dans l’un où l’autre cas, le sujet se doit de rembourser le jeûne une fois rétabli ou de retour de voyage. Il en est de femmes enceintes ou allaitantes. A coté de ceux là, il y a des personnes qui de façon définitive en sont dispensées : ce sont essentiellement les personnes de grand âge qui objectivement ne peuvent plus supporter la privation car pour chaque jour de jeune. L’exemption vaut aussi pour les malades définitifs.
RIB : Quels sont les actes anodins susceptibles d’annuler la validité du carême et qu’il vous parait utile de rappeler ?
HI : Sur le plan physique, il y a une abstention de manger, de boire, d’avoir des relations intimes, etc. Celui qui contrevient à cela, son jeûne est rompu et il y a lieu qu’il le remplace. Il y a aussi que le jeûne peut perdre sa valeur sur d’autres plans mais il ne convient pas à l’imam où au Docteur en sciences islamiques de décréter qu’un jeûne est invalide. Ce pouvoir de décision revient à Dieu Lui Seul. Mais le prophète a recommandé au jeûneur de s’abstenir de dire de mauvaises paroles, d’insulter, de discuter et d’éviter les malentendus même lorsqu’il est provoqué. Toujours selon le prophète, le jeûne est un bouclier tant qu’il n’est pas percé. Ce bouclier est percé par les mensonges, la médisance donc le fait de critiquer, de médire, de rapporter des calomnies, des rumeurs sont des éléments qui ne sont pas physiques mais qui, sur le plan spirituel, entament la validité du jeûne.
Imam Halidou Ilboudo de l’association des élèves et étudiants musulmans du Burkina (AEEMB)
RIB : Les jeuneurs ont souvent tendance à consommer plus que d’habitude pendant ce mois, es ce que cela ne vas pas à l’encontre de l’esprit du jeûne ?
HI : La surconsommation pendant ce mois est effectivement une dérive que les musulmans trainent depuis des années. Il y a donc lieu que nous faisions des efforts pour nous en départir. Jeûner c’est sauter le repas de la mi-journée non pas pour l’investir comme un plus dans le repas du soir mais pour l’offrir en partage aux démunis. Donc en principe lorsqu’on jeûne, on doit voir ses dépenses diminuer .Ce qui est loin d’être le cas dans beaucoup de ménages parce que le soir, on a une variété de mets qu’on ne consomme d’ailleurs pas et on remplit les poubelles. Ça devient du gaspillage alors que le Coran dit que les gaspilleurs sont les frères du diable.
RIB : La nuit du destin se trouve dans les dix derniers pendant lesquels, il est recommandé une plus grande ferveur dans l’adoration. Es à dire que ces dix(10) derniers jours sont encore plus importants que le reste du mois ?
HI : Tout le mois de ramadan est béni et chaque heure, chaque moment, est meilleur que les mois ordinaires. Mais Dieu a excepté la dernière dizaine (du mois de ramadan) de la même façon qu’Il a excepté ce mois par rapport aux autres mois parce que c’est dans les dix(10) derniers jours que le Coran a été révélé et que ce laps de temps contient une nuit qu’on peut traduire par la ‘’Nuit de la valeur’’ .Dans le Coran, il est dit que cette nuit à elle seule est plus valeureuse que mille(1000) mois d’adoration. C’est pourquoi, ces dix(10) derniers jours mobilisent notre attention pour que nous puissions nous investir en matière d’adoration, de charité et récolter tout le bien qui y est.
RIB : L’un des paradoxes observés pendant ce mois est la flambée des prix quand bien même nombre de commerçants sont aussi jeuneurs. Comment expliquez-vous cela ?
HI : C’est une logique purement économique que lorsqu’il y a surconsommation, cela affecte les prix. Dans ce cas, j’estime qu’on doit plus en vouloir aux musulmans qui ont tendance à consommer plus que de raison qu’aux commerçants. L’autre explication qui alimente aussi la flambée des prix est le fait de personnes et organisations caritatives qui achètent des denrées pour les distribuer aux démunis. L’augmentation des prix est donc un peu normale mais les uns et les autres doivent éviter de faire de la surenchère tout comme il n’est pas bon que les musulmans fassent de la retenue pour le vendre pendant le mois de ramadan. Il y a lieu que nous nous entraidions surtout en ces moments où le pays traverse une situation de disette.
RIB : Pour pallier quelque peu cette surenchère, le centre d’études de formation et de réflexion islamique(CERFI) a donc créé un marché spécial ramadan. A quand remonte cette initiative ?
HI : La mesure de création du marché spécial ramadan s’inscrit dans le souci de ‘’disponibiliser’’ les denrées au niveau de la mosquée d’autant que les fidèles s’y rassemblent souvent. Il s’agit donc d’épargner les uns et les autres de devoir se déplacer. L’idée est à sa troisième année.
RIB : Quelles sont les conditions pour exposer dans ces marchés ?
HI : Il y a une éthique de commerce à laquelle tous ceux qui voudraient exposer sont soumis.
RIB : L’initiative existe-t-elle ailleurs qu’à Ouagadougou ?
HI : J’ai lu dans la presse qu’une initiative similaire a été adoptée à Bobo-Dioulasso.
Les débuts et fins du mois de ramadan sont souvent l’objet de vives polémiques entre musulmans. Comment es ce la communauté peut travailler à y mettre fin ?
HI : Le prophète a recommandé de jeûner à la vue de la lune et de rompre lorsqu’elle apparait de nouveau. Maintenant, il peut se poser de problèmes de visions si le ciel est couvert. C’est pourquoi au niveau national, il y a une commission lune qui est décentralisée dans toutes les provinces. Elle s’occupe de l’observation de la lune et transmet les informations à la fédération [ la fédération des associations islamiques du Burkina, FAIB, ndlr] sur les jours à entamer où à mettre fin aux mois de carême. C’est déjà une initiative et nous espérons que dans les prochaines années, nous aurons une commission plus scientifique qui se baserait sur le calcul où sur des observatoires avec d’autres pays plus avancés en matière de technologie pourra nous aider à surpasser cette problématique.
RIB : Avez-vous un appel à lancer ?
HI : Je voudrais inviter les musulmans à considérer le ramadan comme un moment de renforcement de capacités spirituelles de la communauté. Un moment à travers lequel, par la prière et la lecture du Coran, nous reviendrons aux valeurs essentielles de la religion. Un moment pour véhiculer le vrai message de l’islam qui est l’amour, le vivre en ensemble, la paix, le partage parce que y a d’autres personnes notamment au nord qui véhiculent un message qui n’est pas celui que nous portons et nous devons profiter de ces moments d’affluence et de communications intenses pour produire ce contre-discours.
Propos recueillis par Soumana LOURA
