Madame la Ministre, je vous demande de me pardonner cette façon un peu cavalière de m’adresser à vous, mais c’est la seule façon que j’ai su imaginer pour vous dire mes remerciements et ceux de Français de Bobo-Dioulasso concernant la lettre que vous avez adressée le 21 juillet à M. Luc Hallade, Ambassadeur de France au Burkina Faso. Nul doute que de nombreux Français de Ouagadougou partagent la même gratitude. Votre lettre concerne les propos tenus par M. Hallade, audité par les sénateurs du Groupe d’Amitié France Afrique de l’Ouest.
On s’accordait généralement à reconnaître à la Diplomatie française une certaine grandeur. Elle avait plutôt bonne réputation. Depuis plusieurs gouvernements, elle devient médiocre, voire dérisoire.
Avant d’en venir au fond, de façon anecdotique, mais symptomatique, pour le dérisoire, voire l’humiliant, les réceptions organisées par l’Ambassade de France au Burkina pour la Fête Nationale des Français, deviennent des foires commerciales où des « sponsors » «offrent » les libations. Des entreprises installent des stands dans les jardins de la résidence à Ouaga. M. Hallade invite à les visiter. Les entreprises sont chaleureusement remerciées par le responsable du protocole dans les jardins de l’IF à Bobo. Cela ne semble pas déranger que ces entreprises pratiquent l’évitement fiscal, ou que leur patron s’installe en Suisse pour ne pas payer l’impôt en France, par exemple… Personne ne sera cité, pour ne pas encore rajouter à la pub, mais ces faits sont de notoriété publique ! De toute façon, les dépenses en boissons et victuailles passeront en frais généraux, ce qui réduira éventuellement les impôts à payer sur les bénéfices !
Si l’Ambassade est si pauvre, de nombreux Français du Burkina préfèreraient contribuer volontairement par une quotepart pour célébrer leur Fête Nationale, porteuse de symboles autrement plus glorieux que ces pratiques mercantiles. Que M. l’Ambassadeur transforme, s’il le souhaite, les jardins de la Résidence en parc d’exposition, mais qu’il choisisse une autre date que celle de la prise de la Bastille
Autre anecdote, à une autre occasion. On se sent humilié quand M. L’Ambassadeur de France se transforme en homme sandwich, en représentant de commerce, en s’affublant d’un gilet à la couleur d’une entreprise.
Mais venons-en à l’objet principal de cette lettre, l’aspect politique. Hélas, ce n’est pas plus réjouissant..
Dans votre courrier vous soulignez, avec courtoisie, des propos inexacts de M. Hallade. Ce sont de très grandes maladresses, des fautes. Il n’est pas admissible de tromper ainsi les élus de la Nation française.
- M. Hallade affirme : ce « conflit endogène » est en réalité une guerre civile, une partie de la population se rebelle contre l’état et cherche à le renverser.
- Sur le caractère endogène, au passage, cela permet d’occulter la terrible responsabilité historique de la France : Elle a été le fer de lance de l’Otan dans l’agression contre la Libye en 2011, suivi de son démantèlement. Ce fut l’élément déclencheur de la déstabilisation de la Sous-région et ce qui permit la libre circulation des armes. Toute la Sous-région, y compris la malheureuse Libye, continue d’en souffrir.
- M. l’Ambassadeur est-il si mal renseigné ? Ou pire, pour justifier son propos, feint-il d’ignorer que beaucoup d’attaques sont organisées à partir du Mali voisin par des groupes affiliés à l’Etat Islamique ou à Al Qu’Aïda, qui effectivement désignent les états comme leurs ennemis. Comme vous le soulignez, des chefs et des financeurs sont étrangers au Burkina. La France entretient les plus cordiales relations avec des pays soupçonnés de financer et d’armer les terroristes
- L’Ambassadeur dit également : « L’armée burkinabè n’est pas suffisamment professionnalisée, souffre de sous-effectifs et reste mal équipée ». Dans la lettre que vous lui envoyez, vous ne relevez pas ces propos, sans doute par courtoisie. Des sommes colossales sont dépensées pour Barkhane (trois millions d'euros, près de 2 milliards de F CFA, journellement !), pour des résultats médiocres. On peut penser qu'un retrait qui transfèrerait aux FDS, les moyens financiers et techniques considérables utilisés serait plus efficace. Cela permettrait de recruter et d’améliorer l’équipement ! Qu’en pense M. l’Ambassadeur ?
Dans les discours prononcés lors des réceptions du 14 juillet 2022, mais aussi celles de 2021, M. Hallade utilise l’expression « idiots utiles » au terrorisme, pour qualifier celles et ceux qui expriment des critiques vis à vis de la politique française au Sahel. A défaut d’arguments, cette expression semble lui convenir, puisqu’il ne se renouvelle pas…
Les officines des USA l’utilisaient régulièrement au temps de la guerre froide, dans les années 60, contre les opposant(e)s à la guerre au Viêt-Nam. On dit aussi que Staline ne s’en privait pas !
La diplomatie française ne se grandit pas par de tels procédés qui privilégient l’offense à l’argumentation. Ils ont l’avantage de permettre les amalgames et de disqualifier les critiques.
Il y a bien évidemment des excès, des fausses informations sur les réseaux sociaux, au Burkina Faso, comme partout dans le monde.
De qui M. Colin Powell était-il l’ « idiot utile », quand pour justifier l’invasion de l’Irak, il brandit à l’ONU des fioles supposées contenir des armes chimiques. Ce mensonge restera une des plus grandes arnaques de l’Histoire !
Il est possible, voire hélas probable, que ces propos de M. l’Ambassadeur ne soient pas que des faux pas. Il est à craindre que cela corresponde à des orientations, des éléments de langage du Gouvernement français.
Pour ne pas être trop long et pour conclure cette lettre, Madame la Ministre, sachez que beaucoup de Françaises et de Français, au Burkina comme ailleurs, souhaiteraient une autre politique étrangère de la France en Afrique.
A commencer par l’annulation de la dette !! Cela soulagerait les finances des Etats concernés. Qui est en dette vis-à-vis de qui ? Cette question est légitime. Dette esclavagiste, dette colonialiste, dette écologique…
Il serait nécessaire d’instituer une véritable aide française au développement à hauteur des besoins plutôt que l’assistanat et la distribution de sacs de riz à la Kouchner. Mettre en place une aide française qui réparerait les dégâts commis par les tristement célèbres Plans d’Ajustement Structurel, qui ont tant contribué aux difficultés actuelles de nombre de pays africains.
La pauvreté, le manque d'accès à l'éducation, à la santé, l’insuffisance d’infrastructures sont le terreau sur lequel prospèrent le terrorisme, les trafics en tout genre, le grand banditisme. La France n’en est pas la seule responsable, certes, mais son histoire récente en Afrique, comme plus ancienne, devrait l’inciter à moins se poser comme donneuse de leçons, à davantage de coopération d’égal à égal.
Je vous renouvelle mes excuses pour cette lettre ouverte et vous adresse mes plus respectueuses salutations.
Christian Darceaux
Officier de l’Ordre du Mérite
Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.
BP 4043 Bobo Dioulasso