Le Togo a fini par devenir lui aussi la cible d’attaques terroristes, qui étaient depuis plus de six ans le lot de son voisin le Burkina Faso. Dans la nuit du 14 au 15 juillet 2022, le pays a enregistré l’attaque terroriste la plus meurtrière de son histoire qui a aussi occasionné des déplacements massifs. Dans une interview qu’il a accordée à Radars Info Burkina le mardi 19 juillet 2022, le journaliste burkinabo-togolais Edouard Kambossoa Samboé revient sur l’historique des attaques au Togo ainsi que les inquiétudes qui l’animent.
Radarsburkina.net : Comment vivez-vous les récentes attaques dont le Togo est victime ?
Edouard Kambossoa Samboé : Il faut dire que lorsqu'on est issu de deux nations qui toutes deux sont en proie à de graves difficultés, on ne peut qu'être meurtri. Nos parents ici sont attaqués, ceux de l'autre côté le sont également, où allons-nous ? Donc c'est vraiment difficile dans la mesure où moi-même j'abrite chez moi des déplacés. Ma grande sœur, par exemple, est chez moi avec sa famille depuis qu’ils ont été chassés de Dori. Donc je comprends la douleur que peuvent ressentir mes autres parents qui sont au Togo et qui aujourd'hui se déplacent petit à petit. C'est aussi difficile quand on doit traverser les deux frontières, les deux zones d'insécurité pour aller leur rendre visite. Donc je vous assure que c'est difficile ; nous sommes meurtris et cela a trop d'incidences sur nous.
Est-ce que les voyages vers le Togo sont déjà impactés ?
Les gens se déplacent toujours de Ouagadougou jusqu'à Dapaong, puisque STAF (NDLR : Une compagnie burkinabè de transport par voie terrestre) s'arrête à Cinkansé et d'autres compagnies vous amènent à Dapaong et ainsi de suite. Mais la peur est là dans la mesure où dans la localité de Bittou il y a eu des incursions des groupes armés terroristes, une zone que STAF traverse, de Tenkodogo jusqu'à Bittou. Même du côté du Togo, de Cinkansé à Dapaong, c'est toujours inquiétant parce que du côté Est il y a eu des déplacements des groupes armés terroristes. Donc il y a une peur qui est là. Ça fait que quand on veut voyager, on se demande à quelle sauce on sera mangé.
Quelles sont les parties du Togo qui connaissent les attaques ?
Le Togo compte cinq régions. Et c'est la région septentrionale, donc le nord, qui fait frontière avec le Burkina, qu'on appelle la région des savanes, qui vit les attaques des groupes armés terroristes depuis 2021. Il y a aujourd’hui huit mois que le Togo a été victime de la première attaque terroriste. Au cours de ces huit mois il y a eu quatre incursions armées. La première attaque a été revendiquée par le GNIM (le Groupe de soutien à l'Islam et au musulmans) qui avait frappé un poste avancé de l'armée togolaise. Mais à l'époque les militaires togolais ont pu riposter et il n'y avait pas eu de mort. Puis il y a eu une seconde attaque qui a été dirigée contre les positions des militaires et elle a été une attaque de grande envergure où il y a eu jusqu'à huit militaires tués et des engins explosifs ont été posés sur la voie pour cibler des véhicules militaires. Ensuite il y a eu une troisième attaque à Gouloungoussi. C'est une zone que partagent le Togo, le Burkina et le Ghana, donc c'est un peu plus à l'ouest. Cette fois-ci les groupes armés terroristes se sont déplacés de l'est, c'est-à-dire à la frontière avec le Burkina, dans la Kompienga, pour aller à la frontière ghanéenne à l'ouest. Mais les militaires sont arrivés à repousser aussi cette attaque et il n'y a pas eu de mort. La dernière attaque, c’est-à-dire, la quatrième, a été la plus meurtrière. Des individus armés sont arrivés, dans la nuit 14 au 15 juillet, et vont de maison en maison pour égorger les gens. Cette attaque n'a pas encore été revendiquée par un groupe particulier, mais les survivants témoignent que les assaillants ont dit qu'ils reviendraient. Et que leurs bœufs et leurs moutons avaient été saisis par l'armées togolaises et tant que les choses ne seront pas restituées ils reviendront. Et c'est ça qui a entraîné un déplacement massif des populations qui ont quitté ces zones pour aller vers Dapaong et d'autres villes comme Mandjouri. Donc la situation est chaotique et le gouvernement tente d’appeler les populations à rester sur place et à ne pas se déplacer. Le maire de Kpendjal 1 avait même assuré que les militaires étaient sur place pour sécuriser les populations. Donc les déplacements qui continuent malgré cela, montrent combien la psychose est montée et que les gens ne croient plus que la sécurité est garantie.
Cette zone abrite des déplacés depuis quand ?
Il faut noter que depuis une des grandes attaques de Kompienga, il y a eu beaucoup de Gourmantché qui s'étaient déplacés de la Kompienbiga à Dapaong. Cela parce que non seulement c'est proche mais c'est leurs parents. C'est une zone où on parle gulmancéma et c'est plus facile pour les parents de se déplacer de part et d'autre. Maintenant à l’intérieur du Togo, l'attaque qui a eu lieu dans la commune de Koundjouari, dans la préfecture de Kpendjal, a entraîné beaucoup de Togolais qui étaient de ce côté, au nord-est à la frontière avec le Bénin et le Burkina, à se déplacer pour aller vers l'ouest, vers Dapaong. Donc ça montre à quel point la situation qui prévaut au Burkina n'est pas loin de se déporter au Togo et qu'il faut trouver des solutions communes.
Est-ce que le gouvernement togolais a pris des mesures dont vous avez connaissance ?
Oui, en effet. D'abord ils ont décrété que la région de Savane est une région d'insécurité en décrétant ce qu'on appelle l'état d'urgence sécuritaire. Deuxièmement, ils y ont déployé des contingents qui sont des forces spéciales, des forces d'élites pour lutter contre le terrorisme. Ils ont aussi mis en place un Fonds spécial qui permet de construire des infrastructures socio-économiques pour développer un peu la zone parce qu'ils ont aussi compris que la question sécuritaire peut aussi bien s'asseoir sur la question économique. Donc c'est un engrenage et il faut désamorcer la bombe en évitant qu’elle s’enracine.
Quelle est votre peur aujourd'hui ?
La peur, c'est surtout la question humanitaire. En effet, nos parents sont des agriculteurs et nous en période d'agriculture, c'est des moments où les gens ont déjà semé. Ce n'est pas des personnes qui ont travaillé dans des villes ils ne savent rien faire d'autre que l'agriculture et l'élevage. C'est des paysans, donc que d'un jour à l'autre on tue des gens et on dit de quitter et abandonner tout pour aller ailleurs, comment vont-ils survivre ? C'est cela la question. Deuxièmement, on peut prévoir tout mais on ne peut pas prévoir la situation terroriste. Quelle peut être l'envergure de la situation dans les prochains mois. Si au bout de six mois, c’est en l'espace seulement de 24 heures on a enregistré des déplacements massifs, quelle va être la situation future ? Et cette situation vient se greffer à une situation qui existe déjà, la situation d'insécurité alimentaire, ça montre à quel point les prochains jours seront tragiques pour les populations. C’est pourquoi on a longtemps décrié qu’il y a la nécessité d’apporter tout le soutien nécessaire aux pays comme le Burkina Faso dans la lutte contre le terrorisme. Ce sont des digues. Si elles cèdent, ça va gangrener tous les autres pays sans distinction. Mais s’il y a une chose qu'on peut saluer, c'est l'accord qui a été signé entre le Burkina, le Togo, le Niger et le Bénin qui dit que pour lutter contre le terrorisme, les gens peuvent aller au-delà des frontières, mais au-delà, pour qu'il y ait des échanges d'informations, de stratégies, etc. Nous, les populations, pensons que c'est ce qu'il faut renforcer.
Y a-t-il des rencontres entre ressortissants togolais au Burkina sur cette question ?
Déjà dans les groupes WhatsApp surtout, les gens commencent à se demander ce qu'il faut faire, ce qu'on peut faire ? Et personnellement, moi je pense qu'il est temps que nous nous organisions pour voir ce que l'on peut faire. Qu’on ne soit pas seulement des gens qui critiquent, même si cela est constructif, et aller au-delà de la veille citoyenne pour apporter notre touche sur le terrain, peut-être en renseignement et tout le reste.
Interview réalisée par Etienne Lankoandé