Jour 2 de l’audition du général Gilbert Diendéré ce mercredi 10 novembre 2021 au Tribunal militaire de Ouagadougou, délocalisé à la salle des banquets de Ouaga 2000. Il a fait face aux questions des avocats de la partie civile. Une fois de plus, la tension est montée et sur les faits du 15 octobre 1987, la vérité du général n’est pas celle qu’attendait la partie civile.
« Vous avez le droit de répondre ou de garder le silence. Mais si vous répondez, allez au bout de vos réponses. C’est le droit des avocats de vous poser des questions et de faire des observations pour éclairer le tribunal. Il n’y a pas de questions bêtes ou idiotes », a rappelé Me Urbain Méda à l’accusé Gilbert Diendéré. Ce dernier est principalement accusé d’avoir contribué à asseoir le Front populaire après les évènements du 15 octobre. Et justement, une question a été posée par la partie civile aux général Diendéré sur la légalité du CNR. « En quoi le CNR était légal ? Il n’y avait pas d’ordre légal à cette époque-là. Le CNR est venu aussi par un coup de force en 1983. Quand vous dites que le CNR était le régime légal, c’est que le Front populaire aussi était légal. Car ils sont venus de la même manière », a répondu ce dernier.
Cette question était relative à l’ETIR (l’Escadon de transport et d’intervention rapide) et à la FIMATS (la Force d’intervention du ministère de l’Administration territoriale et de la Sécurité). Et selon Gilbert Diendéré, il se disait que ces deux camps avaient pour objectif d’attaquer le CNEC (le Centre national d’entraînement commando) afin de pouvoir atteindre le capitaine Blaise Compaoré. « Il se disait aussi que ces camps ont été créés pour contrer le CNEC, car on dit que le CNEC est acquis à la cause de Blaise », ajoute-t-il.
Plusieurs avocats de la partie civile ont fait remarquer que le général Diendéré n’a vu et ne s’est adressé le jour des faits qu’à des témoins qui sont morts. « Arzouma Ouédraogo dit Otis est mort sur la route de Gaoua. Il a tenté de s’enfuir. Il a donc été abattu sur la route par les soldats qui l’escortaient pour la prison. Nabié Nsoni, Hamadou, Pathé Maïga et Karim Tapsoba (Ndlr; celui qui est venu enlever les corps de Thomas Sankara et de ses compagnons pour aller les enterrer) sont morts de maladie, Gaspard Somé est mort accidentellement sur la route de Djibo. Jean-Baptiste Lingani est mort suite aux événements de 1989 où il avait tenté de perpétrer un coup d’État contre Blaise », a expliqué celui-là même que l’on considère comme la « boîte noire » des événements du 15 octobre 1987. Et selon lui, ce n’est pas de sa faute s’ils sont morts. « Diéndéré n’est pas Dieu pour décider qui va mourir. S’il y a des morts, ce n’est pas le fait du général Diendéré », appuie Me Paul Kéré de la défense.
« Je m'attendais à un général-président qui s'assume, qui nous dit clairement les choses. Mais non, ce n'est pas le cas », fait remarquer Me Ferdinand Nzepa. « Maître, vous êtes venu avec une idée arrêtée. Si vous vous attendiez à ce que Gilbert Diendéré assume ce qu'il n'a pas fait, c'est non. Même si ce sont mes hommes qui ont commis cet acte d'indiscipline, je ne vais pas l'assumer parce que je suis général. Ils n'ont reçu l'ordre de personne », répond le général Gilbert Diendéré. Il poursuit : « Si vous vous attendiez à ce que je dise que c'est Blaise Compaoré qui m'a donné l'ordre de faire ça ou ça, je dis non non et non, deux points à la ligne ». Selon Me Prosper Farama, le général Diendéré a toujours eu la même ligne de défense. « Votre ligne de défense semble me dire : ‘’Je n’y suis pour rien’’. C’est pour dire ‘’ça s’est passé au Conseil et ce sont mes éléments qui ont fait mais je n’en sais rien’’. David Ouédraogo a été tué au Conseil par vos éléments mais vous n’y êtes pour rien. Dabo Boukary a été torturé à mort au Conseil par vos éléments. Encore vous n’y êtes pour rien. Vos éléments ont fait le coup d’Etat le 16 septembre 2015, là aussi vous n’y êtes pour rien. Est-ce que vous ne pensez pas que cette ligne de défense est usée, mon général ? » questionne Me Farama. « Non elle ne l’est pas si c’est la réalité », répond Gilbert Diendéré. Mais entre-temps, la tension est montée d’un cran entre les deux hommes. Tout est parti de la restitution des faits. Selon Me Prosper Farama, le récit fait par l'accusé Gilbert Diendéré après qu'il a entendu les coups de feu depuis l'ENAM et qu’il a rebroussé chemin sur le Conseil de l'entente est ambigu.
« Vous m'en voyez désolé mais si avec les explications vous ne comprenez pas, cela me donne à dire que vous êtes borné », lance le général Diendéré.
« Avec tout le respect que je vous dois, quelqu’un qui vous écoute toute une année ne vous comprendra pas (...) si je suis borné, c'est que vous, vous êtes taré », réplique Me Prosper Farama, avocat de la partie civile, avant que le président du tribunal, Urbain Méda, ne recadre les deux hommes en les invitant à des propos courtois. Pour Me Guy Hervé Kam, « Golf » n’a rien fait pour empêcher la survenue des événements du 15 octobre 1987.
Mais le général dit avoir fait ce qui était en son pouvoir. Il évoque des informations qui mettent en cause des unités qui supportaient le camp Sankara. « Je pense que la goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est peut-être parce que les éléments de Blaise Compaoré ont appris que pendant que nous étions en réunion, Vincent Sigué de la FIMATS est allé acquérir de l’armements au camp de l’ETIR à Kamboinsin. Et moi-même j’ai vu ce matériel militaire au niveau du camp de la FIMATS après les évènements. Je me suis dit que c’est un élément de l’ETIR qui a donné ces informations aux éléments du Conseil », a souligné le général Diendéré. C’est, selon lui, ce qui a amené les éléments de Blaise à prendre les devants. En ce qui concerne le « complot » de 20h contre le camp de Blaise Compaoré, le général dit ne pas en avoir eu vent.
Questionné par Me Séraphin Somé sur les explications à donner aux familles en tant que chef de la sécurité des lieux où les 13 personnes ont été assassinées. Le général répond : « J’ai fait le nécessaire. J’ai fait tout mon possible. Je vous assure qu’aucun ennemi venant de l’extérieur ne pouvait attaquer l’intérieur du Conseil. Mais l’attaque est venue de l’intérieur et ça, personne ne pouvait contrecarrer cela ». Me Paul Kéré soutient que « Gilbert Diendéré a agi en bon soldat ».
L’interrogatoire de Gilbert Diendéré se poursuit le jeudi 11 novembre avec l’intervention de la défense.
Sié Mathias Kam