Le procès des assassins présumés de Thomas Sankara et de ses douze compagnons a véritablement pris son envol. Débuté le 11 octobre dernier, il a été renvoyé au lundi 25 octobre, où il a repris avec la lecture de l’arrêt de renvoi et les demandes de liberté provisoire formulées par les avocats de la défense, entre autres. L’audience de ce 26 octobre a débuté par les échanges sur la demande d’annulation de citation à comparaître de l’accusé Tondé Ninda dit Pascal formulée par son avocat, la projection d’éléments audios et vidéos pour situer les faits ainsi que l’audition du premier accusé, Yamba Elysée Ilboudo.
Débutée peu après 9h, l’audience de ce mardi a été́ suspendue quelques minutes. La raison ? Me Larousse Ollo Hien, avocat de la défense, notamment de l’accusé Tondé Ninda dit Pascal, alias Manga-Naaba, a déposé un mémoire unique aux fins de nullité́ de citation. Me Hien estime que son client doit être relaxé au motif que celui-ci, qui était initialement poursuivi pour subornation de témoin, se retrouve aujourd’hui accusé de recel de cadavres. Selon l’avocat, le parquet a aggravé le cas de son client ; mieux, ce dernier ne sait plus s’il est accusé ou prévenu. « C’est une violation grave de la défense », a-t-il lâché. Mais la partie civile, notamment Me Séraphin Somé, demande le rejet de ce mémoire. « Nous demandons le rejet sans difficulté de la demande de l’avocat de la défense. Que son client se prépare car le combat doit avoir lieu », a lancé l’homme en robe noire. Le parquet, quant à lui, pense qu’il n’y a aucune entorse à la procédure. A sa suite, le tribunal a rejeté la requête de la défense.
Place ensuite à la projection d’éléments audios et vidéos., en l’occurrence 7 extraits audios et vidéos. Suivant la chronologie, ce sont des éléments de moins de deux semaines après le 15 octobre où on écoute à travers les audios et regarde grâce aux vidéos, tour à tour, des processus d’explication aux populations des événements du 15 octobre 1987. Selon le parquet, ces éléments ont été choisis pour faire comprendre l’évolution des évènements de ce jeudi soir du 15 octobre 1987 et ainsi planter le décor pour les auditions.
Le premier accusé à la barre reconnaît les faits qui lui sont reprochés. Yamba Elysée Ilboudo, 62 ans, soldat de première classe, militaire-chauffeur au moment des faits, est accusé d’avoir, le 15 octobre 1987, volontairement donné la mort à Thomas Sankara et à 12 autres de ses compagnons. Il est aussi accusé de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat courant août 1987. « Oui, je reconnais les faits », a-t-il affirmé à la barre. Et quand le président du tribunal lui demande d’être plus explicite, il déclare : « Un soldat a un chef. Il exécute les ordres de son chef. J’ai reçu l’ordre de mon chef Hyacinthe Kafando le 15 octobre. Il a hurlé mon nom avant de me dire : ‘’Elysée, on va au Conseil de l’entente (...)’’ Nous avons démarré du domicile de Blaise Compaoré », a narré l’accusé. A la suite de ses premières explications, l’accusé entre dans une « rétention ». A toutes les autres questions sur les faits qui se sont déroulés ce « jeudi noir » une fois qu’ils sont arrivés au Conseil de l’entente, il a répondu en clamant n’avoir aucunement pris part au forfait. Mieux, il soutient être resté tout le temps qu’a duré le coup d’Etat dans la voiture qu’il avait conduite et qui était endommagée après que son chef, Hyachinte Kafondo, l’a contraint à percuter la porte du secrétariat du Conseil de l’entente, car il avait, à ses dires, reçu l’ordre de ce dernier de ne pas descendre de voiture. « Je me suis tu et je regardais car si j’avais parlé, ils allaient me faire ce qu’ils ont fait au président Thomas Sankara ; donc j’étais dans la voiture et je regardais. Je ne savais pas qu’on partait faire un coup d’Etat, à plus forte raison ôter la vie à quelqu‘un», soutient l’accusé Yamba Elysée Ilboudo. Il précise néanmoins que les membres du commando étaient huit à bord de deux véhicules dont une que lui-même conduisait et l’autre au volant de laquelle était Hamidou Maïga. « J’ai vu le président Sankara sortir sans arme les mains en l’air et demander : ‘’Y’a quoi, qu’est-ce qui se passe ?’’ avant d’être atteint par une balle. Il est tombé sur les genoux puis sur le flanc gauche », confie-t-il. Avant Sankara, deux autres soldats avaient été froidement abattus. Il s’agit de Walilaye Ouédraogo et de Der Somda. Le dernier cité était le chauffeur de Thomas Sankara.
Reprenant la parole peu après 16h et demie à la fin des réquisitions de Me Ferdinand Nzepa de la partie civile, le président du tribunal a accepté d’accorder une liberté provisoire à 11 accusés. Seul Gilbert Diendéré reste en détention, parce que déjà condamné dans une autre affaire. Lundi dernier, tous les 11 accusés avaient introduit des demandes de libération, notamment pour des raisons de santé. Ils sont désormais libres de leurs mouvements, mais devront se présenter à l'audience tout au long du procès. Tous les 11 accusés, faut-il le rappeler, étaient en liberté jusqu’à 2 jours avant l’ouverture du procès, où ils ont été convoqués puis incarcérés à la Maison d’arrêt et de correction des armées (MACA). « Nous sommes déçus de cette décision du tribunal. Nous espérons que cela n’aura pas d’impact sur les auditions et qu’ils seront là pour toutes celles-ci », a clamé Me Nzepa. L’audition de Yamba Elysée Ilboudo reprend mercredi matin.
Sié Mathias Kam