Que d’émotion ce mercredi 3 avril 2019 au tribunal militaire de Ouagadougou ! Après la diffusion hier soir de quelques vidéos montrant toute la violence dont ont fait preuve certains éléments de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP) pendant les évènements du 16 septembre 2015, la partie civile qui représente les victimes dans ce procès et le parquet militaire n’ont pas manqué d’exprimer toute la douleur qui les anime face à une telle horreur. Pour eux, rien, absolument rien, ne peut justifier le déferlement d’une telle violence sur des manifestants sortis les mains nues pour montrer leur attachement à la démocratie et à la liberté. C’est en tout état de cause qu’ils se sont offusqués face au déni de certains accusés malgré la vue des images. Si pour la partie civile, ces images sont très parlantes sur la culpabilité des accusés, pour la défense, elles n’apportent rien de nouveau ou de particulier à la procédure et ne sauraient charger davantage les prévenus.
Le procès du putsch de septembre 2015 est toujours à la phase de la présentation des pièces à conviction. Hier, avant que l’audience ne soit levée, le parquet militaire a fait visionner des témoignages des victimes et manifestants contre le putsch, des éléments du RSP dans les rues et à l’hôtel Laïco de Ouagadougou en train de violenter les populations, et deux vidéos du fils du général Gilbert Diendéré dans leur domicile où toute la famille avec des caciques du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) jubilait de voir Golf prendre les rênes du pays après le coup d’Etat.
En analysant la vidéo faite par Diendéré fils à leur domicile le 19 septembre 2015, le parquet estime que l’ancien député Salifou Sawadogo, Michel Ouédraogo avec leur camarade politique Fatoumata Diendéré/ Diallo, par ailleurs épouse du général de brigade, étaient au domicile du président du Conseil national pour la démocratie (CND) pour lui faire allégeance. Cette image montre selon le ministère public qu’il y avait bel et bien des connexions entre les militaires et le Front républicain qui était pour lui, l’aile politique des putschistes. Mieux pour Alioun Zanré et ses pairs, « ces images nous amènent à conclure que la personne qui a planifié, c’est celle qui a pris la responsabilité du coup d’Etat. Nulle part, dans les vidéos, il n’y a une once de doute sur cette posture du général. C’est lui qui était à la manœuvre ».
Dans le témoignage du directeur de la radio « Laafi » de Zorgho saccagée et brûlée pendant les évènements, celui-ci affirmait qu’une dame accompagnait les militaires du RSP dans leur sale besogne. Pour le parquet, il ne souffre aucun doute que la dame en question est dame Minata Guelwaré, qui pourtant, à la barre avait affirmé n’avoir pas mis pied dans la localité qui abritait ladite radio, parce que s’étant arrêtée à Goundri. « Le monsieur a dit une dame. Il ne m’a pas indexée. Je veux dire au parquet que je ne suis pas la seule femme au Burkina », a réagi dame Guelwaré face aux observations du parquet l’accablant. Ce saccage de la radio « Laafi » de Zorgho et de la radio « Savane Fm », le bocage de l’internet et des messages téléphoniques sont très parlants pour le parquet. En effet, selon lui, ces faits montrent qu’il y avait une hostilité des putschistes pour la presse, car les informations que les hommes de médias diffusaient n’étaient pasPartant aussi du témoignage sur l’incendie du studio Abazon du rappeur Smockey, membre du balai citoyen, et de l’impact qui ressort dans les images, le ministère public estime qu’il est clair que c’est à la roquette que le sergent-chef Lahoko Mohamed Zerbo a donné l’ordre au soldat Seydou Soulama de mettre feu au « bijou » de l’artiste. Il en veut pour preuve le procès-verbal du sergent-chef Ali Sanou qui y était sur les lieux, même si à la barre celui-ci est revenu sur ses déclarations pendant l’instruction.
Pour le parquet, les images qu’il a eu à diffuser sont totalement insoutenables : des pro-putschistes molestant des anti-putschistes, des militaires avec des cordelettes, assenant des coups inqualifiables à des manifestants sortis les mains nues, des personnes baignant dans leur sang après avoir été touchées par les balles assassines de militaires en tenue léopard sortis réprimés ceux qui manifestaient contre le coup d’Etat. « Même sur le front, il y a des conditions d’utilisation des armes, mais ici, c’est insoutenable », a soutenu le ministère public avant d’ajouter : « C’est l’argument de la force que les gens ont voulu utiliser pour faire taire la force de l’argument. Le vrai verdict est dans la conscience des uns et des autres. Quand on voit un micro calciné, on se dit que si les occupants y étaient, on allait avoir des corps calcinés ».
Le mea culpa du général espéré par la partie civile se fait toujours attendre
Appelés à la barre, certains accusés comme Abdoul Karim Baguian dit Lota, le sergent-chef Roger Koussoubé dit le Touareg et le sergent-chef Mohamed Bouda n’ont pas nié s’être retrouvés sur les lieux où les vidéos les montraient, même si pour eux, l’objet de leur présence n’est pas celui avancé par le parquet. Toutefois, dans le même temps, certains campent sur leur stratégie de défense qui est de ne pas se reconnaître dans les pièces à conviction du parquet. « Nulle part sur les vidéos, ma personne n’apparaît. Mieux, aucun témoignage ne cite mon nom. C’est le parquet qui me confond », a déclaré le sergent-chef Lahoko Mohamed Zerbo. Même posture pour le soldat Seydou Soulama, qui pour le parquet a tiré l’obus sur le studio Abazon : « Je n’ai vu aucune vidéo qui montre que j’étais devant le studio de Smockey.Je n’ai pas tiré de roquette, puisque je n’y étais pas ». A l’instar de ces coaccusés, le général Diendéré est lui aussi resté droit dans ses bottes.
Mais pour les avocats de la partie civile qui représentent les victimes des atrocités du putsch de septembre 2015, ces images viennent comme un couronnement de ce dossier qui incrimine des militaires qui n’assument pas leurs actes. « Les images en réalité se passent de tout commentaire. Au regard de tout ce que nous avons vu, il n’est pas tard de faire amende honorable. On ne va pas se foutre du deuil des populations, de la peine des victimes, des stigmates que des gens portent à vie et prétendre à un pardon ou à une indulgence ! Pour que le pardon puisse arriver, il faut la vérité. Le pardon se mérite et c’est encore le moment, car les débats ne sont pas clos », s’est exclamé Me Pierre Yanogo et Me Guy Hervé Kam d’exprimer son regret et sa faim de ne pas voir les accusés faire leur mea culpa face à ces horreurs diffusées. « Après avoir visionné ces éléments, nous pensons que l’humanité allait prendre le dessus et les images avoir un effet. Certains ont fait pire que ce qu’ils avaient fait. Ils ont contesté ce qu’ils avaient reconnu. Le général Diendéré, j’ai pensé secrètement que pour une fois, il allait exprimer son regret, craquer et dire que tout ça ce n’est que pour ça. Mais, selon eux tout ce que les Burkinabè ont filmé n’a pas existé. Aucun élément du RSP, malgré les morts, n’a tiré jusqu’à ce jour. Tous ces bruits de balles, ces témoignages sont dans nos rêves. Nous avons des accusés qui continuent dans le mépris. Comment le mépris peut amener le pardon ?», a-t-il regretté. Pour Me Prosper Farama, cette étape des vidéos est la plus difficile du procès, vu l’horreur qu’elles décrivent et montrent. « Pendant les 365 jours qu’on a passés ici au procès, hier, c’était le jour le plus sombre. Pour moi, c’est le film de l’horreur. Comment prétendre maintenir de l’ordre avec des cagoules ? Comment aller vers son peuple avec des cagoules, si ce n’est de la préméditation ? », s’est ému l’homme à la robe noire.
« Tous ces morts, tous ces blessés, tous ces impacts de balles, rien que pour ça ? »
Dans sa vidéo faite dans le domicile familial le 19 septembre 2015, Ismaël Diendéré, fils du général Diendéré, montrait sa joie de voir son « vieux » au pouvoir en ces termes : « C’est historique, il faut que je le filme, mon papa président du Faso ». Pour Me Farama, ce film montre que le général Diendéré n’avait que pour seul objectif le pouvoir. Pour lui, même les exactions et les morts qui se comptaient déjà à cette période n’ont pas pu entacher sa joie et celle de ses proches de le voir à la tête du pays. « Tous ces morts, tous ces blessés, tous ces impacts de balles, rien que pour ça ? Rien que pour que ses proches soient dans une famille présidentielle ? Qu’adviendra-t-il à un homme s’il n’est pas président un jour ? Qu’adviendra-t-il à un fils si son père n’est pas président un jour ? Qu’adviendra-t-il à une femme si son mari n’est pas président un jour ? Qu’adviendra-t-il à un papa qui perd son enfant ? Il m’est revenu que le général est un croyant, qu’il fréquente l’Eglise. J’espère qu’au jour du jugement, au-delà de ce tribunal, il tiendra la tête haute pour répondre à son Dieu », a-t-il déclaré, laissant la salle dans l’émotion totale. Mais pour Me Olivier Yelkouni, avocat du général de brigade, cette vidéo tout en n'apportant rien à la procédure, viole la vie privée et familiale de son client. « Le parquet a toujours dit qu’il n’entend pas donner de coups en dessous de la ceinture, mais là, c’est sous la culotte que le coup a été porté. Tout est mis en œuvre pour le dépouiller de toute son humanité », s’est-il offusqué. Aussi, pour certains avocats de la défense, ce discours est digne d’une mosquée ou d’une Eglise, mais pas d’un procès pénal. « Les vidéos n’apportent rien d’exceptionnel ou de nouveau à ce qui est dans le dossier. Il n’y a pas à émouvoir le public dans des déclarations dignes d’une mosquée ou d’une Eglise. Jusque-là, les vidéos ne disent pas que telle ou telle victime est l’apanage de tel ou tel accusé », a opiné Me Alexandre Sandwidi, avocat de Roger Koussobé dit le Touareg.
Mais pour les avocats des accusés, leurs confrères de la partie civile se jouent de l’émotion pour accabler leurs clients, pourtant les vidéos ne sont pas si expressives et démonstratrices comme ils veulent le faire croire. « Les vidéos que nous avons vues, en réalité, qu’est-ce qu’elles nous démontrent ? des brutalités, ça fait mal, même en tant qu’avocats de la défense, car nous sommes aussi des hommes et des citoyens. Mais, il faut qu’on cherche à savoir qui en sont les auteurs. L’autre question qu’on doit se poser aussi, c’est quels en sont les véritables responsables. Nous, on ne commande pas, on nous commande, ont martélé certains accusés à la barre. Si on s’en tient à la première interrogation, on n’aura pas rendu justice », a fait observer Me Mahamadi Sawadogo, conseil du soldat Seydou Soulama. Si certains avocats de la défense ont embouché la même trompette que Me Sawadogo, d’autres par contre ont tenté de justifier le comportement des militaires qui commettaient les exactions dans la ville pendant les évènements. « L’enfer, c’est toujours les autres. Si l’on veut tirer profit du fait qu’il y ait eu violence, et porter le chapeau au RSP, on tomberait dans un jugement de valeur. Dans ces vidéos, il y avait des manifestants qui tenaient des barres de fer. D’autres avaient un discours violent. Est-ce qu’ils se sont posé la question de savoir si leurs actes étaient justes. Est-ce que la violence était seulement dans un camp ? Il ne faut donc pas conclure que ce sont les membres du RSP qui sont à l’origine des violences. Qu’on ne s’offusque donc pas si l’absence de preuves puisse acquitter un accusé », a déclaré Me Régis Bonkoungou, conseil de Sergent Ali Sanou. Mais pour les avocats des victimes et le parquet militaire, absolument rien, ne saurait justifier de telles violences à l’endroit de citoyens qu’on a le devoir et l’obligation de protéger et de défendre en vertu et contre tous.
Candys Solange Pilabré/ Yaro