La construction à Ouagadougou, plus précisément sur le site du Conseil de l’entente d’un mémorial dédié au père de la révolution burkinabè, Thomas Sankara, fait actuellement des gorges chaudes. La famille du regretté, demande la délocalisation du monument, Maître Frédéric Titinga PACERE, Avocat, homme de lettres et de culture, chef traditionnel burkinabè souhaite que ce mémorial soit transformé en un panthéon des héros. Dans l’entretien qu’il a accordé à Radars Info Burkina, il se justifie.
Radars Info Burkina (RIB) : La famille de Thomas SANKARA a dans un communiqué, marqué son désaccord total quant au choix du site du mémorial. Comment appréciez-vous ce refus catégorique des proches du leader de la révolution burkinabè ?
Frédéric Titinga PACERE (FTP) : Le projet du baptême de la rue Thomas Sankara, m’a emmené a rencontré le père du capitaine Thomas SANKARA. Celui-ci m’a confié que par principe, il était d’accord avec la construction du mémorial, mais que cela devait se faire sur un terrain neutre. « Je ne veux pas que le mémorial soit érigé sur un terrain qui appartienne déjà à quelqu’un et à ce que je sache, le Conseil de l’entente est une propriété privée », m’a-t-il dit. Ce qui fait que je suis également contre l’érection de ce monument au Conseil de l’entente.
RIB : Vous qui êtes un homme avisé, que proposez-vous au comité international de construction de ce mémorial ?
FTP : Depuis la Transition, j’avais donné mon avis sur le sujet. En ce qui me concerne, isoler Thomas SANKARA, n’est pas la meilleure façon de lui rendre hommage et ce que je dis n’engage que moi. Le laisser seul quelque part ne fera pas que des heureux, et cela ne sera pas non plus en son honneur et dans son intérêt. Rappelez-vous que la révolution a aussi fait des victimes, des veuves et des orphelins comme le stipule la lettre ouverte adressée à Mariam Sankara intitulé : « Mme Sankara, votre mari a aussi fait des veuves ». C’est pourquoi, selon moi, la construction d’un panthéon des héros du Burkina Faso serait plus judicieuse que celle d’un mémorial dédié uniquement à Thomas Sankara. Ce panthéon accueillerait des personnalités aussi bien scientifiques, littéraires, coutumières que politiques. D’ailleurs pendant la Transition, le président Michel KAFANDO a demandé à des experts de réfléchir sur la question. A l’occasion, j’avais émis l’idée de la construction du panthéon des héros car la réhabilitation du plus grand monument de Ouagadougou était très couteuse selon les architectes. J’avais suggéré que ce panthéon soit construit à Kunda, localité, située à une vingtaine de kilomètres de Ouagadougou. C’est à Kunda qu’en 1896, le Naaba wobgo a résisté à la pénétration française. Pour ce faire, Kunda est le symbole de la résistance et de la liberté par excellence. Thomas SANKARA allait ainsi être le premier héros burkinabè à entrer dans ce panthéon. En son temps, j’ai même réalisé la maquette du panthéon qui, aujourd’hui se trouve dans un des salons du palais de Kossyam. La construction d’un panthéon de tous les héros du Burkina Faso serait plus rentable au pays que l’érection d’un mausolée destiné à une seule personne.
RIB : Le capitaine Thomas SANKARA a une renommée internationale et nombreux sont les africains qui veulent davantage connaître l’homme et ses œuvres. Est-ce que l’érection du panthéon des héros en lieu et place du monument pour le héros Thom Sank, ne va pas susciter moins d’engouement ?
FTP : Sur la question chacun a son avis. Mais savez-vous que l’inauguration de l’avenue Thomas Sankara n’a pas drainé grand monde ? Pour la petite histoire, l’inauguration des rues des anciens présidents s’est déroulée le même jour. Celle de Maurice YAMEOGO et de Jean Baptiste OUEDRAOGO a mobilisé des milliers de Burkinabè, mais celle de Thomas Sankara n’a pas vu grand monde.
RIB : Comment interprétez-vous cela ? Est-ce une désapprobation des Burkinabè ?
FTP : Vous savez, chaque chose a son temps. Il y a des moments où on a le vent en poupe. Il y a aussi des moments où il faut faire preuve de prudence pour ne pas se casser les dents. A un moment donné de ma vie, j’ai eu la chance d’aller voir le corps de Lénine à Moscow. Mais aujourd’hui, il est difficile de dire avec exactitude où se trouve son corps. Cela mérite réflexion. Je dis et je le répète, on peut faire le mémorial de Thomas Sankara, mais je doute fort qu’il magnifie l’homme. On risque d’avoir l’effet contraire. Je respecte et je loue l’idée de rendre hommage à Thomas SANKARA, mais je reste sur ma position.
RIB : Pour vous, il faut un panthéon des héros du Burkina qui va rendre hommage à toutes ces personnalités qui auront marqué leur temps. De par vos œuvres, vous êtes aussi un héro et par ailleurs, chef coutumier. Alors, si un jour vous quittez ce monde, comment vont se passer les choses ? Votre corps sera t-il admis au panthéon où restera t-il une propriété de la famille ?
FTP : J’avoue que je n’y avais jamais pensé, car la mort ne fait pas parti de mes préoccupations. Mais sachez qu’à ma mort, c’est ma famille qui décidera de ce que seront mes sépultures. Je suis chef de manega et à ce titre, ma tombe est déjà définie. Je serai enterré à coté de mes aïeux.
RIB : Vous proposez un panthéon qui ne verra pas votre corps. Vous pourrez donc comprendre que certaines personnalités pour une raison ou une autre n’y soient pas enterrées ?
FTP : (Rires). Mon cas est délicat. Depuis la création de Manega, à trois (3) siècles de cela, tous les chefs étaient enterrés dans un lieu appelé Sabnoutenga. Depuis ces trois (3) siècles jusqu’à nos jours, tous les chefs sont enterrés dans un même lieu. Vous voyez donc qu’en tant que chef, Me Titenga PACERE est très lié aux us et coutumes de Manega. C’est pourquoi, il est souhaitable qu’il se repose là-bas. (Rires). Il ne sera pas toujours évident que ce panthéon accueille tous les héros car il faut avant tout l’autorisation des familles.
Propos recueillis par Richard TIENE/ retranscrits par Candys Solange PILABRE/ YARO