Le jeudi 24 mai 2018, le Burkina Faso a procédé à la rupture officielle de ses relations diplomatiques avec Taïwan. Après vingt-quatre ans d’amour, le divorce est bel bien consommé avec les deux entités, car les représentants officiels Taïwanais sur le sol burkinabè, ont un mois pour plier bagages. Mais quels sont les enjeux de ce divorce pour le pays des hommes intègres ? Radars Info Burkina pour appréhender les enjeux de cette rupture avec la « petite Chine » a rencontré monsieur Oumarou Paul KOALAGA, diplomate de formation et spécialiste des Relations internationales, géopolitique et stratégie. Il est aussi le fondateur du Cabinet Sésame Relations Internationales (SRI). Dans l’entretien qu’il nous a accordé, il revient sur la pertinence d’une telle décision pour le Burkina Faso et sur ce qu’elle implique sur la scène internationale.
Radars Info Burkina : Concrètement, qu’implique la rupture des relations entre le Burkina Faso et Taïwan ?
Oumarou Paul KOALAGA : Avant l’implication, j’allais dire que c’est une décision d’un Etat souverain, qui en toute responsabilité et après avoir évalué certainement le bilan de sa relation diplomatique avec Taïwan a décidé si l’on s’en tient au communiqué officiel du gouvernement de réorienter sa diplomatie vers d’autres horizons en mettant un relief particulier sur son partenariat avec d’autres Etats qui se veut beaucoup plus dynamique et beaucoup plus ambitieux.
Maintenant, qu’est ce que cette rupture implique ? Il faut savoir que dans toute relation diplomatique, la survenance d’une rupture peut et doit normalement être suivi d’effet. Premièrement au niveau juridique, le fait d’entretenir la relation diplomatique avec Taïwan, qui du reste, sur le continent africain, le Burkina Faso avec le Swaziland était les seuls pays qui avaient cette relation diplomatique avec Taïwan, indue en fait une reconnaissance de la souveraineté internationale de Taïwan qui est un acte unilatéral. Aussi, le fait de rompre cette relation diplomatique a systématiquement au plan juridique une conséquence, une incidence sur cette reconnaissance. Cela veut dire en terme clair que le Burkina Faso fait parti désormais des pays qui ne reconnaissent pas Taïwan comme un Etat souverain, amenuisant les chances de Taïwan d’être reconnu sur la scène internationale comme étant un Etat souverain.
RIB : Peut-on alors parler d’un divorce de raisons ?
OPK : Divorce de raison, cela dépend de l’angle d’analyse. Si on tient compte du communiqué du ministre des affaires étrangères et de la coopération, qui parle de mutation géopolitique, des ambitions du Burkina Faso, de l’avancée de la Chine sur le continent et de son poids politique (la chine est membre du Conseil de sécurité de l’ONU avec un droit de véto), économique (c’est une puissance économique, qui même avec les Etats développés commencent à entretenir de plus en plus des relations privilégiés). Si l’on prend tous ces éléments en compte et de façon réaliste, on peut dire le Burkina Faso devait faire un arbitrage entre un mariage d’amour et un mariage de raisons. Et c’est le second qui a prévalu. Comme tout Etat, l’objectif principal quand on est sur la scène internationale, c’est de défendre ses intérêts et d’évaluer les rapports de force sur le terrain. Ces deux éléments mis donc ensemble, on voit bien qu’aujourd’hui, le rapport de force n’est pas en faveur de Taïwan. Ce serait ridicule que le Burkina Faso attende que pratiquement tout le monde ne reconnaisse plus Taïwan pour aviser.
Oumarou Paul KOALAGA, diplomate de formation et spécialiste des Relations internationales, géopolitique et stratégie et fondateur du Cabinet Sésame Relations Internationales (SRI)
RIB : Mais est-ce que l’hypothèse d’entretenir des relations avec les deux entités n’est-elle pas envisageable pour le Burkina Faso, si l’on sait que d’autres pays le font ?
OPK : Dans d’autres circonstances oui, mais Pékin refuse.
RIB : Je crois que des pays comme les Etats-Unis entretiennent des relations avec les deux entités
OPK : On parle là de relations internationales. Ce ne sont pas les mêmes rapports de force. Les Etats-Unis peuvent se permettre certain nombre de choses que d’autres Etats ne peuvent pas. Le rapport de force joue ici dans la décision. Le Burkina Faso en la matière et en terme d’influence ne pèse pas beaucoup sur la scène internationale. De ce fait, on a un certain nombre de contraintes évidentes qui font que la Chine ne va pas le permettre. Au départ, notre pays voulait entretenir des relations avec les deux entités, mais les conditions de la Chine, c’était que les autorités burkinabè opèrent clairement un choix : soit c’est Pékin, soit c’est Taïpei.
RIB : Aujourd’hui, moins d’une vingtaine de pays reconnaissent la souveraineté de Taïwan. Alors, peut-on conclure dores et déjà que le sors de ce pays est scellé, qu’il est condamné à être une province chinoise ?
OPK : On ne peut pas encore dire que tout est fini pour Taïpei, parce qu’en relations internationales, tout est dynamiques, mais on analyse froidement, on va dire que son sors est plus ou moins entrain d’être scellé. Cela est dû aussi au travail diplomatique de Pékin qui a su isoler au fil du temps Taïpei, malgré la volonté de Taïwan de s’émanciper pour devenir un Etat. Mais face à la puissance de la machine économique et diplomatique, de la chine, Taïwan est obligée aujourd’hui de se confiner ou de renoncer à ses ambitions. Ce n’est pas encore le cas, mais cela ne saurait tarder en mon sens.
RIB : On avait cru apercevoir comme un pacte de non agression tacite en les deux sur le terrain diplomatique, car on sait qu’à un moment donné, les deux avaient décidé de ne plus courtiser les mêmes pays : que Pékin permette à Taïpei de conserver ses alliés et que Taïwan en fasse de même
OPK : Oui, mais après, les contextes changent. C’est cela aussi l’arène diplomatique. Elles ne vont pas le dire ouvertement que ce sont elles qui l’ont fait, mais il ya des rencontres et des proximités qui font que les choses peuvent changer à tout moment.
RIB : Quel enjeu Taïwan représente aujourd’hui pour la communauté internationale ? Si on remonte dans l’histoire, c’est quand même les Etats-Unis qui soutenaient les nationalistes conduits par Chiang Kai-Chek. Aujourd’hui, ils entretiennent des relations avec Taïwan, même s’ils ne le soutiennent pas pour l’obtention de son indépendance, car ils ne veulent pas mettre pour le moment leur poids dans la balance pour cela.
OPK : La reconnaissance internationale est unilatérale. On ne peut empêcher un pays de reconnaître un Etat, mais après la reconnaissance individuelle doit être concrétisée de façon fondamentale au sein de la scène internationale qui est les Nations Unis. Plus, vous aviez de la reconnaissance individuelle, plus vous êtes sûrs de vous faire accepter sur la scène internationale.
C’est vrai que les Etats-Unis ont cette capacité de peser lourd dans l’acceptation de Taïwan sur la scène internationale, mais ils tiennent compte de leurs alliés stratégiques sur un certain nombre de questions. Aussi, de façon raisonnable, ils regardent ce que Taïwan représente par rapport à la Chine qui est un allié au niveau du Conseil de sécurité et cela compte beaucoup. Ce n’est pas toujours évident que pour certaines résolutions la Chine s’abstienne, donc il ne faut pas aller jusqu’à l’emmener à se braquer. Je crois que ce sont tous ces leviers que les Etats-Unis prennent en compte. Je crois que Taïwan comptait beaucoup sur les Etats africains pour lui conférer cette reconnaissance, mais malheureusement, ce n’est pas le cas. C’est cela aussi le jeu des relations internationales qui est toute une dynamique qui évolue. C’est pourquoi les Etats travaillent à avoir beaucoup plus de gains que de pertes. Visiblement en ce qui concerne Taïpei, il y a beaucoup plus de pertes que de gains.
RI : Certains temps, ils ont fait des pieds et des mains pour monter à travers une grande communication, leurs réalisations au Burkina Faso.
OPK : C’est comme cela, quand vous êtes sur la scène internationale, vous faites tout pour avoir des gains, mais en même temps il y a d’autres qui font tout pour que vous perdiez ces gains. Malgré ce volontarisme de Taïwan à conserver sa coopération avec le Burkina Faso, les choses n’ont pas finies par marcher.
Propos recueillis par Soumana LOURA et retranscris par Candys Solange PILABRE/ YARO