Après 7 ans à la tête du Mali, Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) a été contraint à la démission ainsi qu’à la dissolution de l’Assemblée nationale et du gouvernement le mardi 18 août 2020. Les militaires mutins, qui ont annoncé la création du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) ce jour, mercredi 19 août, promettent d’assurer la continuité de l’Etat et d’organiser des élections « dans un délai raisonnable ». Pour une analyse de cette nouvelle page de l’histoire du pays de Soundiata Keïta, Radars Info a pris langue tour à tour avec Siaka Coulibaly, analyste politique, Me Apollinaire Kyelem de Tambela, avocat et directeur du Centre de recherches internationales et stratégiques (CRIS), et Michael Shurkin, analyste politique senior à la Corporation RAND, qui travaille particulièrement sur la sécurité en Afrique de l'Ouest, précisément dans le Sahel.
Selon Siaka Coulibaly et Me Kyelem, ce qui arrive au Mali était prévisible. «Le pays sombrait dans le chaos. Les militaires, qui sont le rempart de la sécurité, ne pouvaient continuer de soutenir un pouvoir qui n'avait plus d'emprise ni sur le pays, ni sur la population. Ils auraient manqué à leur mission », a réagi l’homme de droit.
« J’avais aussi annoncé ce dénouement lors d’une émission sur les ondes de la radio nationale le 2 août 2020. Le M5-RFP et les jeunes manifestants étaient déterminés à aller jusqu’au bout. Après la manifestation du 18 juillet qui a vu la mort de onze manifestants, selon l’ex-Premier ministre Boubou Cissé, l’opinion malienne profonde avait basculé en défaveur d’IBK.
Ce n’était donc, dès lors, qu’une question de jours pour qu’il quitte le pouvoir. Il ne faut surtout pas considérer l’issue malienne comme une prise de pouvoir des militaires sur le modèle des années 80 (coups d’Etat secs). La partie consciente de l’armée s’est sentie responsable d’une situation nationale en sérieux péril », a soutenu pour sa part Siaka Coulibaly.
S’agissant de l’évolution de la situation, Me Kyelem a affirmé que le pays connaîtrait un nouveau départ. « Les nouveaux dirigeants maliens sauront éviter les erreurs que la transition burkinabè a commises. La transition ne devrait pas devenir un régime politique influencé par un groupe d’intérêt partisan particulier qui tirerait profit de la situation pour régler des comptes à ses adversaires ou se tailler la part du lion. Cette fois-ci, l’émergence d’une jeunesse de plus en plus consciente est une garantie de sauvegarde de l’indépendance malienne en matière de politique intérieure », a avancé Siaka Coulibaly.
« Une nouvelle histoire commence pour le Mali. Mais elle peut trop ressembler à l'ancienne, surtout si elle donne naissance encore une fois à un régime inefficace, mené par des dirigeants qui cherchent à se maintenir au pouvoir et à s'enrichir », a affirmé Michael Shurkin.
La Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) a pris hier mardi des sanctions contre le Mali. « Les militaires n'ont fait que répondre aux aspirations de la population. Les prétendues sanctions de la CEDEAO ne peuvent donc se justifier. Il revient aux peuples de prendre leur destin en main et à la CEDEAO de s'adapter aux aspirations des peuples si elle veut conserver sa crédibilité », a critiqué Me Apollinaire Kyelem.
M. Coulibaly abonde dans le même sens et estime que les dirigeants ouest-africains doivent savoir raison garder et que la sagesse prédomine dans leurs décisions envers le Mali
«La CEDEAO devrait prendre le temps de bien étudier la situation au Mali avant de prendre quelque décision que ce soit. Dès lors qu’une démission formelle du président en exercice est disponible, juridiquement, la situation n’est plus à considérer comme un coup d’Etat classique. C’est la jurisprudence Burkina Faso octobre 2014, et elle devrait s’appliquer au Mali présentement. Des sanctions contre le Mali ne vont-elles pas favoriser les terroristes ? Sans compter la dimension économique », s’est-il interrogé.
Le Mali, à l’instar de ses voisins du Sahel, traverse une situation d’insécurité sans précédent et selon Michael Shurkin, les impacts de ces éléments sur la stabilité du pays peuvent être graves. « Le coup diminue la légitimité de l'Etat et pour l'instant, l'Etat n'a pas de direction. Il est essentiel que la junte et les autres dirigeants se mettent en accord vite pour rebâtir le gouvernement. Mais cela va être difficile. La junte parle d’organiser des élections, mais même organiser des élections dans un pays avec tant d'insécurité est un grand défi », a-t-il expliqué.
Aly Tinto