Alpha Yago est membre du bureau exécutif du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), en charge des mouvements associatifs et des Organisations de la société civile (OSC). Il est également proche de l’ex-président Blaise Compaoré et de son frère François Compaoré. Dans cet entretien accordé à Radars Info Burkina, il donne son avis sur la situation nationale, la réconciliation et les antagonismes au sein de son parti. Il donne également des nouvelles des frères Compaoré, à qui il rendrait régulièrement visite.
RIB : Comment Alpha Yago apprécie-t-il la gestion actuelle du pays ?
Alpha Yago (AY) : La situation est critique, car tous les indicateurs sont au rouge. Au niveau politique, la division entre les acteurs politiques est profonde et plus que visible. Au niveau sécuritaire, les attaques terroristes, malgré le courage de nos Forces de défense et de sécurité (FDS), sont toujours d’actualité. Sur le plan économique, tout est au ralenti et les opérateurs économiques délocalisent leur activité dans des pays voisins.
RIB : Lors de son discours sur la situation nationale devant le Parlement, le Premier ministre a souligné qu’au-delà des attaques et de la contestation sociale, le pays se porte globalement bien. Quel commentaire faites-vous à ce propos ?
AA : Il est dans son rôle de Premier ministre qui exprime ses émotions, mais la réalité est que tous les indicateurs sont au rouge.
RIB : Quelles sont, selon vous, les causes de cette situation critique du pays que vous décrivez ?
AA : Elles sont nombreuses, mais le non-respect du fonctionnement constitutionnel au lendemain de la démission de Blaise Compaoré, l’exclusion de partis politiques et de certains candidats avec la loi Chériff peuvent en être les causes majeures.
RIB : Ce sont des individus et non des partis qui avaient été exclus. Pourquoi les résultats des élections n’ont-ils pas été contestés?
AA : C’est justement ça l’exclusion ; un parti politique est animé par des leaders et des militants, et empêcher ces leaders de participer aux élections, c’est exclure le parti. Ensuite, personne n’a contesté les résultats des élections parce que nous avions cru que les nouvelles autorités allaient travailler à unir le pays mais là c’est le contraire. Vous savez qu’aucun pays au monde ne peut se développer dans la division. Or, depuis 2014 on n’a pas travaillé à panser les plaies et aujourd’hui, cela a entraîné une gangrène qui se ressent dans la gestion globale du pays. C’est pourquoi la réconciliation nationale, que plusieurs voix réclament, est à mon avis incontournable et indispensable.
RIB : Justement, parlant de réconciliation et du retour des exilés, d’aucuns estiment que personne n’a chassé personne du Burkina. Ainsi, est-ce que demander leur retour, ce n’est pas faire preuve d’incohérence ?
AA : C’est une façon de botter en touche et la meilleure façon de le faire, c’est de prétendre que personne n’a été chassé du pays. Mais les circonstances dans lesquelles les exilés ont quitté le pays ne sont pas ordinaires. C’est eu égard à une situation complexe que ces exilés ont quitté le pays, et ce sont des exilés politiques et/ou économiques. Leur retour nécessite qu’un certain nombre de conditions soient réunies.
RIB : Récemment, l’ex-président Blaise Compaoré a adressé une lettre au président du Faso pour lui traduire sa disponibilité à aider le pays dans la lutte contre le terrorisme. Que pensez-vous des différentes réactions que cela a provoquées, notamment au niveau du pouvoir et du Balai citoyen ?
AA : Le pouvoir n’a pas donné de réponse, mais ils disent avoir pris acte, et l’opinion attend que toute la lettre soit publiée et une réponse appropriée également du pouvoir. Pourtant les réactions du pouvoir auraient pu être promptes car du haut de son expérience, cette main tendue du président Blaise Compaoré est une chance pour le pays au regard de son expérience d’homme de dialogue, de médiateur et facilitateur. Qu’on le veuille ou pas, il a dirigé ce pays pendant 27 ans ; c’est une sagesse dont notre pays ne peut pas se passer.
Quant au Balai citoyen, je suis surpris qu’il parle encore de ces questions. Pour moi, le rôle de veille citoyenne de ce mouvement avait pris fin depuis 2014. La plupart de ses membres ont été actifs dans les choix qui ont guidé la transition et conduit à l’arrivée du Mouvement du peuple pour le progrès. (MPP). Nous avions cru qu’ils étaient en période d’observation du pouvoir avant de monter au créneau mais finalement, on s’est rendu compte qu’ils sont devenus aphones, inaudibles alors que la situation est devenue pire que celle qu’ils dénonçaient.
RIB : Mais le Balai citoyen a réagi récemment et a même attribué un « blâme » au pouvoir. N’est-ce pas un acte interpellateur ?
AA : Oui, mais tellement rare que ça se remarque et bon nombre de gens s’étonnent qu’ils existent encore sous forme d’Organisation de la société civile (OSC) parce qu’il ne joue plus le rôle de veille citoyenne et d’interpellation de manière spontanée et régulière et avec autant de véhémence que sous la gouvernance du président Blaise Compaoré. Pourtant, on avait cru que leur rôle était de militer pour une gouvernance plus vertueuse. Or depuis 2014, notre pays ne fait que reculer. Je ne savais pas que le Balai citoyen était toujours une OSC.
RIB : A présent parlons de votre parti, le CDP, qui s’apprête à désigner son candidat mais est miné par des dissensions internes. Dites-nous ce qui se passe dans votre parti.
AA : C’est une situation propre à tous les grands partis qui ont perdu le pouvoir ; la réorganisation est difficile, surtout avec l’absence de certains ténors, notamment le fondateur, ce qui fait que le leadership actuel est fortement contesté. Il n’existe plus de leader naturel. Surtout actuellement où nous sommes à la phase de désignation du candidat à la présidentielle, ce qui aiguise les appétits des uns et des autres. En pareille circonstance, il aurait fallu une gestion collégiale qui tienne compte de toutes les sensibilités au sein du parti. Cela aurait permis de limiter les mésententes qui parviennent jusqu’à la presse qui en fait l’écho.
RIB : Vous êtes dans le bureau exécutif présidé par Eddie Komboïgo et en même proche de Kadré Ouédraogo. Quand on sait le conflit de positionnement qui existe entre ces acteurs, comment vous arrivez à y faire face ?
AA : L’un est président du parti et on lui prête des intentions de briguer la candidature et l’autre est un cadre du parti qui s’est déjà déclaré candidat. Pour l’instant je n’ai pas de souci majeur. Etant donné que les textes du parti n’ont pas prévu le mécanisme de désignation du candidat à la candidature, comment empêcher quelqu’un qui veut exprimer sa volonté d’apporter sa touche au niveau de l’Etat à un moment où le pays est en difficulté ?
RIB : Parlant de Kadré Désiré Ouédraogo, qui a été Premier ministre, président de la commission de la CEDEAO, vous ne trouvez pas que son attitude constitue une violation des textes et règles du jeu ?
AA : Je vous renvoie la question. Il y a un vide juridique au niveau du parti, les textes du CDP n’ont pas prévu de dispositif qui encadre les cadres qui veulent être candidats à la candidature, donc sur quelle base on peut empêcher une personne d’être candidate ?
RIB : Certains cadres du parti comptaient sur le président d’honneur du parti, Blaise Compaoré, afin de trancher mais on vient de voir un communiqué qui lui est attribué et dans lequel il renvoie les prétendants dos à dos en demandant au parti de trouver la solution à l’interne. N’est-ce pas une attitude qui exacerbe la crise au sein du parti ?
AA : Comment trancher si les candidats ne sont pas encore déclarés ? Il faut d’abord savoir quels sont ceux qui sont en lice. Et pour cela, il faut savoir ce que les textes disent, et pour l’instant le point de discorde au niveau du parti, c’est au niveau du BPN qui n’est même pas conforme à notre parti. En plus de cela, il y a des problèmes de gouvernance qui sont décriés dans le parti. Après cela, le président Compaoré pourrait intervenir en cas de discorde parce que les textes lui donnent ce droit.
Par ailleurs, il n’est pas à exclure qu’une frange importante des cadres et militants réclame la candidature du fondateur lui-même pour qu’il soit le candidat du parti, dans la mesure où il y a une pomme de discorde qui menace la vie du parti. Il est le leader naturel autour de qui il y aura un consensus.
RIB : Vous êtes en train de dire qu’il n’est pas exclu que l’ex-président Blaise Compaoré soit candidat à l’élection présidentielle de 2020 ?
AA : C’est une hypothèse qui n’est plus secrète et qui revient dans les débats aujourd’hui. Au regard de la guéguerre qu’il y a au niveau du parti, plusieurs cadres et militants dont je fais partie pensent qu’on pourrait faire appel au fondateur du parti, Blaise Compaoré, pour qu’il soit le candidat autour de qui il aura un consensus.
RIB : Parlons maintenant de Blaise et de François Compaoré ; vous qui leur rendez régulièrement visite, comment se portent-ils ?
AA : Blaise Compaoré est en pleine forme, très alerte, très soucieux de son pays qui va de plus en plus mal et comme il l’a dit, il est disposé à l’aider.
RIB : Pourquoi depuis 2014 Blaise Compaoré est silencieux sans aucune interview dans la presse. Il aura fallu plusieurs accusations du président Roch Kaboré avant qu’il ne réagisse à travers une lettre confidentielle. Est-ce que ce silence ne confirme pas les faits qu’on lui impute ?
AA : Ceux qui connaissent le président Compaoré savent que c’est un homme réservé et pondéré. N’oubliez pas que c’est un militaire de formation doublé de la qualité de président, ce qui fait de lui un homme d’Etat. Il a donc un devoir de réserve sur les affaires d’Etat.
RIB : Parlons de François Compaoré : comment se porte-t-il psychologiquement, avec la justice française à ses trousses et contraint de porter un bracelet électronique, sans compter qu’il est réclamé à Ouagadougou ?
AA : Vous m’informez que François Compaoré porte un bracelet électronique. Moi, je le rencontre régulièrement mais je n’ai jamais vu de bracelet électronique qu’il porte. Le contrôle judiciaire n’a rien à voir avec un bracelet. Normalement c’est quelqu’un qui est aguerri au combat politique. De ce fait, son moral est très haut et il a confiance en la justice, surtout celle française. Lors de son audition, son avocat et lui ont défendu leur cause en argumentant, ce qui n’est pas le cas ici où les débats sont basés sur du vide. Du reste, nous attendons le délibéré de la Cour de cassation.
RIB : Pourquoi selon vous François Compaoré refuse-t-il d’être extradé au Burkina ? Est-ce par peur de la justice ou parce qu’il ne fait pas confiance à la justice de son pays ?
AA : Vous vous souviendrez qu’en 2014, les cadres du CDP ont été embastillés manu militari sans preuves ni procès parce qu’ils étaient simplement du CDP. Vous suivez le feuilleton sur l’évacuation sanitaire de Djibril Bassolet. Qu’est-ce que vous en dites ? Ce sont des faits qui démontrent qu’il y a un dysfonctionnement. Mais il avait quand même bénéficié d’une évacuation ? Mais il doit encore être évacué et entre-temps il avait été libéré par une décision de magistrat mais malgré cette libération de la justice, il a été placé en résidence surveillée et même que certaines OSC s’étaient soulevées contre cette libération. Et c’est cela le drame : depuis quand ce sont des OSC qui déterminent la façon dont la justice doit fonctionner. Ou nous sommes en démocratie, et on doit respecter la loi ou nous sommes dans la jungle et dans ce cas c’est la loi du plus fort.
Moi à la place de François, je me méfierais de venir répondre devant une justice qui est influencée par des OSC ou des mains politiques politiciennes.
RIB : Revenons sur la justice pour la réconciliation. Vous qui avez vu vos maisons et autres biens détruits, vous vous attendez à avoir droit à la justice ?
AA : Quand on essaie de résoudre la question des domiciles et des édifices publics, on la pose sous l’angle pécuniaire mais ce n’est pas le plus important. Il faut travailler à réconcilier vraiment les cœurs parce que dans ces maisons incendiées certains ont tout perdu en termes de matériel mais aussi en termes de souvenirs qui ont une valeur inestimable. Moi-même qui vous parle, ma maison à Bobo Dioulasso ainsi que mon bureau à Ouagadougou ont été pillés ; d’autres ont perdu plus que moi mais le plus important, c’est de réconcilier véritablement les gens et venir en aide à ceux qui ont tout perdu.
RIB : D’aucuns disent que si le CDP reprend le pouvoir, ce sera pour se venger. Que répondez-vous ?
AA : Pas du tout, car la plupart des gens qui ont subi Des dommages en octobre 2014 sont des hommes politiques et quelques économistes. Donc un homme politique doit avoir la capacité de surmonter certaines douleurs, surtout quand il s’agit de faire le choix entre l’intérêt général et l’intérêt individuel. La plupart de ces cadres le savent car ils étaient des cadres de premier plan, donc des gens qui ont une excellente culture politique, techniquement compétents et politiquement conscients. Ils savent qu’il faut, à un moment donné, aller de l’avant afin de tourner cette page sombre que le pouvoir actuel n’arrive pas à tourner, ce qui me fait penser que seul le CDP peut contribuer à la tourner, à mettre le Burkina sur le chemin du développement.
Propos recueillis par Pema Neya