Sous la transition démocratique de 2015 au Burkina Faso, le Conseil national de la transition a voté 108 lois et rédigé la Constitution de la Ve République. L’application desdites lois tarde à être une réalité. Plusieurs parlementaires sous le CNT se sont donc réunis en comité de veille pour suivre ce que sont devenues leurs œuvres de réflexion. Radars info Burkina a pu rencontrer le président de ce comité, David Moyenga, pour avoir sa lecture de la situation.
Radars info Burkina (RIB) : Qu’est-ce que le comité de veille parlementaire ?
David Moyenga (DM) : Le comité de veille parlementaire du Conseil national de la transition (CNT) est un regroupement de parlementaires de la législature de la transition qui vise à implémenter, à vulgariser et à faire connaître les nombreuses lois qui ont été adoptées sous la Transition, c’est-à-dire au minimum 108 lois et pas des moindres comme la loi sur le Code minier, la Constitution qui a été élaborée sous la transition et bien d’autres lois comme celle sur la lutte contre la corruption celle des grands statuts au niveau du monde du travail, sur la presse, etc.
L’objectif principal de ce comité, c’est de voir dans un premier temps comment implémenter toutes ces lois, dans un second comment assurer la sécurité intellectuelle et politique du CNT, voire de la transition, par ce que faisant l’objet d’attaques de toutes parts, on est obligé de rétablir à un moment donné la vérité et dans un troisième temps, ce comité sert de cadre d’étude qui permet de collaborer avec le monde du travail, de la recherche et celui de la science afin de faire sortir la singularité de cette période transitoire, y compris de celle de cette législature brève mais très riche.
RIB : Quelle est la périodicité de travail du comité de veille de la transition ?
DM : Ce comité se réunit régulièrement suivant les activités, notamment quand elle doit donner sa position sur la situation nationale et quand elle établit son programme d’activité. Par exemple nous sommes actuellement sur un programme d’activité qui doit s’étaler jusqu’en fin 2019. Donc, chaque occasion constitue une rencontre du comité de veille pour la planification des activités et leur mise en œuvre. Nous avons eu des tables rondes et des conférences de presse pour éclairer l’opinion publique sur un certain nombre de choses qui peuvent être mal vues ou interprétées. Des éléments comme le délit d’apparence et la Constitution, les gens veulent comprendre quel en est le contenu, ce qui a motivé la mise en place d’un certain nombre de dispositions… Nous apportons régulièrement notre contribution au débat, pour édifier et surtout éclairer l’opinion sur toutes ces questions.
Par exemple, je vous cite l’enquête parlementaire sur les fraudes fiscales, le reste à recouvrer, les chèques impayés à l’époque qui avaient fait couler beaucoup de salive et d’encre. Nous avons apporté notre éclairage, car cela participe non seulement à la bonne gouvernance mais aussi à garder l’esprit dans lequel a travaillé ce Parlement de la transition, qui s’est constitué à une période postinsurrection avec les attentes des insurgés, au nombre desquelles l’on peut citer les vertus de bonne gouvernance et bien d’autres qui sont incluses dans les objectifs de ce comité de veille. Si l’on n’apporte pas d’éclairage de temps à autre, tout cela pourrait tomber à l’eau.
RIB : D’aucuns traitent les parlementaires du CNT de parvenus et leur reprochent d'avoir manqué de vision politique en votant des lois sans aucune prospective. Que leur répondez-vous ?
DM : Plusieurs personnes se sont trompées sur la composition de ce Parlement historique ; un Parlement, sa légitimité et sa portée historique ne dépendent pas des urnes, ou des gens qui sont venus à l’issue d’élections qui quelquefois sont truqués ou parfois sont des élections de cantiniers, c’est-à-dire que ce sont ceux qui ont beaucoup d’argent qui y vont. Ce n’est pas forcément ceux qui ont les moyens qui peuvent participer mieux à la vie politique. L’une des forces de ce Parlement était qu’il était très représentatif de notre société, du fait que toutes les sensibilités y étaient représentées. Autant la société civile et dans ses différentes composantes que ceux qui étaient venus du monde paysan, de celui de la gouvernance, du civisme de la démocratie, des droits humains, de la presse, bref c’était une vraie représentation, il y avait même les forces de défense et de sécurité (FDS) qui ne sont pas des citoyens subalternes, c’étaient des cadres il y avait aussi beaucoup d’anciens professeurs d’université. Il y avait parmi eux des FDS de grade allant de capitaine à colonel major et il y en avait 4 ou 5. C’était l’un des Parlements les plus intellectuels de l’histoire de notre pays après une étude que nous avons déjà menée. Vu sa composition, ce Parlement était inédit. Je crois plutôt que les gens devraient travailler à voir ce que l’on peut tirer de ce tournant historique où un parlement assez inhabituel a pu travailler avec autant de résultats. Cela devrait nous aider à projeter notre modèle de transition, et ce, de la composition parlementaire et institutionnelle à la démocratie. Parce que ce sont les crises qui alimentent le mieux les modèles institutionnels, de fonctionnement. Pour vous en convaincre, il y a eu des études commanditées depuis le Canada où des universitaires de grandes universités cherchent à étudier cette phase de transition et comment les gens ont pu fonctionner durant cette période. Des universités comme Oxford, aux Etats-Unis, sont venues nous interroger parce qu’ils mènent déjà des études pour voir ce qu’on peut tirer de celle-ci, surtout dans un contexte où le monde vie une panne de fonctionnement du système démocratique. Que les détracteurs de ce Parlement sachent que les efforts que ce Parlement a fournis en matière d’adoption de lois, précisément 108 en une année, sont probants. En moyenne, les Parlements prennent cinq ans pour adopter une cinquantaine de lois.
Cette production pourrait s’expliquer par la participation de la jeunesse qui était engagée avec des convictions. Etant des combattants depuis longtemps, ils ont voulu que cela transparaisse dans le Parlement de la transition. C’est le cas de la loi sur le délit d’apparence qui a été refoulée N fois et finalement adoptée dans le cadre de la transition de même que celle de la lutte contre la corruption. Cette transition sous d’autres cieux est comparable à celle de la Révolution française, qui a instauré les institutions de la république, république dont tout le monde s’inspire aujourd’hui. Le Parlement issu de la révolution s’appelait la convention en France et celle-ci était composée des jeunes de 22 à 29 ans. Ce sont eux qui ont créé jusqu’à nos jours les institutions les plus stables que le monde n’a jamais révolutionnées. Donc, je pense qu’il faut être perméable et transformer toutes ces intelligences qui ont pu être libérées durant toute cette période afin de transformer ça véritablement en un processus de progrès de nos institutions et de notre manière de vivre. Au demeurant, nous pensons que c’est l’un des meilleurs Parlements que ce pays ait connu et on peut le démontrer par A plus B.
RIB : De nos jours, quelle appréciation faites-vous de la mise en œuvre des lois votées par le CNT ?
DM : D’un point de vue des lois votées, nous pouvons dire que ce sont des lois très audacieuses qui demandaient qu’un régime regarde dans la même direction de l’aspiration de l’insurrection populaire pour pouvoir les adopter. Par exemple, la déclaration des biens de toutes les autorités et des chefs d’institutions, le rôle de l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la pauvreté (ASCE/LC) dans la lutte contre la grande corruption, les détournements de même que la dépénalisation du délit de presse.
Réellement, nous constatons que primo ; le travail n’a pas été poursuivi dans ce sens, il y a eu plutôt un ralentissement et un freinage durant cette période. Secundo, plusieurs lois ont été plus ou moins reléguées aux oubliettes, parce qu’il restait pour la plupart des décrets d’application ; c’est le cas du fonds de développement local contenu dans le Code minier qui pourrait aider les populations locales à profiter des retombées de l’activité minière. Cela servirait non seulement au développement des infrastructures de ces localités, mais aussi à résoudre les conflits entre communautés locales et sociétés minières. Sur le bail locatif, il en est de même jusque-là, il n’y a pas une structure de contrôle qui pourrait faire entrer des devises importantes à l’Etat. Mais nous constatons avec regret que plus de trois années après, aucun décret n’a été pris, pire encore les autorités actuelles ne sont plus dans le même esprit que celles de la transition. Le simple délit d’apparence n’a jamais été appliqué, la déclaration des biens y a combien de gens qui ont déclaré leurs biens nous savons qu’il y a des autorités qui ne l’ont pas fait, nous savons qu’il y a des chefs d’institutions qui n’ont pas déclaré leurs biens, tels que le directeur général des douanes, les DG de la police, des impôts et plusieurs autres ne l’ont pas fait non plus. Or, la loi dit qu’ils doivent déclarer leurs biens. C’est pour la transparence dans la gestion des affaires publiques.
J’ai entendu dire que le Conseil des ministres a mis en place un comité de réflexion sur la réduction du train de vie de l’Etat, mais ça, c’est de la poudre aux yeux car sous la transition, cela avait été fait. Ce qui reste, c’est la mise en œuvre à travers la prise de décrets. Les voies et moyens, les propositions sont déjà là. Enfin, il y a l’exemple de la Constitution de la Ve République : la Transition a fait le travail de celle-ci avec surtout le CNT qui s’est déployé dans toutes les 13 régions du pays et fait des conférences régionales. Et celles-ci se sont transformées en de mini-référendums au point qu’on estimait qu’aujourd’hui elle serait déjà adoptée. Mais depuis le mois de mars 2016 qu’ils sont arrivés à nos jours, elle n’est pas encore adoptée. Ils se promènent encore avec cette Constitution de maison en maison, de case en case comme un bébé, de personne en personne au risque d’en dénaturer le contenu. Pire encore, il y a des éléments qui ont été effacés notamment la limitation du nombre de ministres qui était plafonné à 25, ce qui est raisonnable pour un pays sous-développé comme le nôtre.
Propos recueillis par Saâhar-Iyaon Christian Somé Békuoné