dimanche 24 novembre 2024

Procès du putsch de septembre 2015 / Présentation des pièces à conviction : « Nous sommes à la deuxième heure de vérité et cette heure de vérité est fatale à certains accusés », dixit Me Farama de la partie civile

sounds uneAprès la présentation sommaire des pièces à conviction dans la soirée du mardi 19 mars 2019, l’heure était ce mercredi 20 mars 2019 à l’écoute des éléments sonores versés dans le dossier et qui incriminent certains accusés. Avec ces preuves, le ministère public est serein quant au fondement des accusations des personnes présentes dans le box des accusés. Mais pour certains avocats de la défense, ces pièces dont on ignore les origines violent le principe du débat contradictoire ainsi que le droit des accusés.

Un autre épisode du film du procès du putsch de septembre 2015 a effectivement débuté ce mercredi matin au tribunal militaire de Ouagadougou. Il s’agit de l’écoute des audio et de la projection des vidéos et images constituant les preuves du parquet et qui montrent, selon lui, que contrairement à certaines déclarations d’accusés à la barre, ces derniers ont effectivement pris fait et cause pour l’entreprise de déstabilisation du pays au cours des évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants.

La première pièce à être lue par le parquet est extirpée du sous-dossier « AKT », contenant quatre éléments sonores issus du dossier nommé « Détails » qui contient au total six sous-dossiers, retraçant les conversations de six personnalités. Il s’agit d’un appel téléphonique entre le colonel Abdoul Karim Traoré et un des responsables du Mouvement de libération de l’Azawad (MLNA) du nom de Djéri, selon Alioun Zanré et ses pairs. Dans cette conversation, le colonel Abdoul Karim Traoré déclare à son interlocuteur au bout du fil Djéri « (…) Il y a des éléments de la rébellion malienne que les populations sont en train de pourchasser (…) il faut tout faire que ça n’arrive pas… Tous les messages qu’on se communique, il faut les écraser (…) Il faut tout faire pour que vos éléments n’interviennent pas. Si vous intervenez maintenant, c’est pour tout gâter. On n'a plus le pouvoir actuellement donc une action pareille n'est pas bonne. Si les gens attaquent nos éléments, vous pouvez intervenir ».

Pour le parquet, cela montre aisément que les griefs faits à l’accusé dans le cadre de ce dossier du putsch de septembre 2015 ne proviennent pas du néant. Mais, pour les conseils du colonel, qui disent être opposés à cette pièce, cette façon de procéder du parquet est assimilable à un jeu de cache-cache qui viole les droits des accusés. « A aucun moment, moi, conseil du colonel Abdoul Karim Traoré, je n’ai été associé à l’écoute d’un tel élément. Pour moi, la procédure est totalement faussée », s’indigne Me Dieudonné Ouili. Et Me Thimotée Zongo d’ajouter : « J’avoue que je tombe des nues que ça soit maintenant que nous découvrions cet élément sonore. Il y a manifestement une violation des droits de la défense. Ce n’est pas un jeu de poker où on cache des éléments sous sa robe et qu’on fait sortir pour surprendre. Cette façon de faire ne nous permet pas de nous défendre sereinement ». Cette vision de la défense n’est pas partagée par le parquet militaire et la partie civile qui estiment que dans la mesure où toutes les parties avaient l’entièreté du dossier depuis le début de ce procès, personne ne peut dire n’avoir pas eu connaissance de cette pièce qui est une partie du dossier.

En outre, de ce sous-dossier « AKT », le parquet a fait écouter une conversation téléphonique qu’il attribue à l’accusé Sidi Lamine Oumar qui serait en interaction avec le nommé Djéri. Une conversation qui pour le ministère public se fait tantôt en langue tamashek, tantôt en langue française. Mais l’accusé ne reconnaît pas cette conversation téléphonique que veut lui coller le parquet militaire. « Je suis vraiment surpris de cette histoire. Ce n’est pas ma langue. Ce n’est pas une langue que je parle. Ce n’est pas ma voix », a-t-il clamé et son avocate Me Zaliatou Awoba d’ajouter : « J’ai eu à interroger mon client pendant la pause et il affirme que la langue parlée dans l’audio n’est pas du tamachek, mais du sonraï et il ne se reconnaît pas dans cette conversation ». Partant plus loin, Me Awoba signifie que tout comme pour ses confrères de la défense du colonel Abdoul Karim Traoré, cette pièce est opposée à son client et à elle pour la première fois seulement à cette phase de présentation des preuves. « Nous tombons des nues que ce soit aujourd’hui que des éléments soient opposés pour la première fois à des accusés. Le procès pénal n’est pas un jeu de cache-cache. Je vous prie, Monsieur le président, de ne faire aucune amende favorable à ces pièces produites en dessous de la table », a-t-elle déclaré.

Des conversations téléphoniques du général de gendarmerie Djibril Bassolé avec « des hommes aux oreilles blanches » qui devaient intervenir projetées

Après les écoutes de la conversation du colonel Abdoul Karim Traoré, c’est le deuxième sous-dossier intitulé « Bassolé » qui contient les audio des conversations téléphoniques du général de gendarmerie Djibril Bassolé avec certaines personnes dont un Malien, Dame Fatoumata Thérèse Diawara, ex-femme d’Ismaël Diendéré, fils du général Gilbert Diendéré, présumé cerveau du coup d’Etat du 16 septembre 2015, et une certaine Rébecca qui a été écouté au tribunal militaire de Ouagadougou dans la matinée de ce mercredi 20 mars 2019.

Dans une des conversations téléphoniques diffusées, le général Bassolé déclare entre autres au Malien : « (…) Donc ce sont les Salif là qui dirigent le pays là (…)Ils sont convaincus que les élections auront lieu (…)Ils ne perdent rien pour attendre (…) Le feu qu’on va mettre sur leur tête là, même les Salif là vont fuir le pays (…) Le mois qui reste là sera leur enfer (…) ». Pour le parquet militaire, cette conversation montre que le général Bassolé était en contact avec « des hommes aux oreilles blanches » qui devaient intervenir à un moment donné au Burkina Faso à la faveur de cette situation confuse née de l’arrestation des autorités de la transition et de l’opposition de la population.

Dans la communication avec la nommée Rébecca, le général Bassolé avec la dame Rébecca déclare entres autres : « (…) Le RSP n’a pas désarmé, il prépare une contre-offensive (…)  Les gens n’ont pas la situation en main (…) Ils font du cinéma (…) Les choses vont de mal en pis (…) Même les Roch là, personne ne circule librement (…) On tient le bon bout (…) Si jamais il y a une compétition sans exclusion, nous sommes à Kosyam (…) Le CDP aujourd’hui est complètement décapité (…) La situation est politique, mais aussi militaire (…)  J’ai les atouts qu’il faut (…) Le dispositif qui était là était celui des Gilbert, les Eddie là, mais ils sont affaiblis (…) Leur option, c’est de se regrouper autour de moi et c’est ce qui est en train de se faire (…) ». Pour le parquet, cette dernière communication montre à suffisance qu’au cours des évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants, « il y avait un coup d’Etat dans un coup d’Etat ». «  Dans la posture de Bassolé, il incitait le RSP à ne pas désarmer, car la situation lui était profitable. Selon son analyse, la situation étant politique et militaire, qui mieux que lui pour la gérer. Il est à la fois général et homme politique », conclut le ministère public.

Avant ces deux communications, c’est l’appel avec Dame Fatoumata Thérèse Diawara qui a été écouté. Si pendant son interrogatoire à la barre Dame Diawara a martelé avoir contacté son « tonton » dans le seul but d’aider financièrement les éléments du RSP qui étaient en manque de ressources financières à la veille de la Tabaski du fait que les banques étaient fermées au regard de la situation, le parquet militaire, à la lumière de la conversation écoutée, est persuadé que « ce qui a été présenté comme une demande d’aide sociale au RSP, n’en était pas une, mais était plutôt une incitation au RSP à ne pas désarmer ». Une situation, qui pour Alioun Zanré et ses pairs, permettait à ses rêves politiques de devenir une réalité à travers cette situation confuse.

Me Dieudonné Bonkoungou, conseil du général Bassolé, ayant décidé de quitter la salle peu avant le début de la projection des audio du fait que le tribunal n’a pas accédé à sa énième requête de voir ces pièces fondant l’accusation de son client être écartées de la procédure, il n’a pu opiner sur les trois conversations téléphoniques diffusées. Il faut noter que ces écoutes ont aussi été écoutées en l’absence de l’accusé évacué en Tunisie depuis quelques semaines pour y recevoir des soins appropriés.

sounds 2Me Dieudonné Bonkoungou demande pour la énième fois que les écoutes téléphoniques soient écartées du dossier.

Il faut noter que dès l’entame du procès, après que le parquet a exprimé sa volonté de passer outre les écoutes téléphoniques relatives à la vie privée des accusés et de ne faire écouter que celles qui sont en lien avec les évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants, le conseil de l’ex-patron de la gendarmerie burkinabè a souhaité pour la énième fois que d’emblée, ces interceptions téléphoniques soient écartées du dossier. « Je formule la demande que ces éléments sonores soient écartés, parce qu’on ne sait pas à ce jour d’où elles viennent. Il est inacceptable que dans un procès on vienne imposer des éléments qui viennent de nulle part. Ces audio n’ont ni père, ni mère. Pourtant, le principe du contradictoire commence par là. Nous savons qu’en droit, la forme tient le fond en l’état. Le principe du contradictoire est violé, notamment l’article 427 du Code de procédure pénale. Pour ce faire, je vous demande de les écarter, Monsieur le président », a déclaré Me Dieudonné Bonkoungou avant de souligner que « pour avoir eu ces éléments depuis quatre ans, pour les avoir exploités et élagués, il n’y a pas de raison qu’on vienne tâtonner ce matin… Les discussions sur la vie privée montrent même l’illégalité de la pièce. Lorsque des audio sont obtenus dans les règles de l’art, le juge d’instruction doit les prendre et faire le tri afin d’écarter les éléments relatifs à la vie privée. Ces éléments sont une pure violation des droits de mes clients et si votre décision est d’écouter ces éléments sonores, je vais demander à me retirer de la salle ». Cela, pour prendre le contre-pied du parquet suite à la présentation de sa méthode de lecture des éléments sonores. Et la partie accusatrice de répliquer : « Qu’est-ce qui fait trembler Me Bonkoungou ? Le tout se trouve dans un CD. Nous ne pouvons pas entrer dedans et extraire ce que nous voulons. Il ne nous appartient pas de supprimer ou d’enlever les éléments privés. Si l’on faisait cela, c’est le même Me Bonkoungou qui allait encore dire qu’on a tripatouillé les scellés. Egalement, ce n’est pas à cette étape que l’on doit formuler cette demande. Cela est derrière nous. Nous pensons véritablement qu’il faut nous laisser avancer dans ce dossier. Il y a des gens qui, au lieu de respecter les règles de la procédure, veulent nous renvoyer en arrière. Dès le début de ce procès, ils ont soulevé ces exceptions et vous avez tranché M. le président. Nous pensons que cette façon de faire peut s’assimiler à de l’abus de droit », avant de supplier le conseil du général Bassolé de ne vider la salle et de rester pour confronter le parquet après la lecture des audio pour lui dire ce qui est faux, fabriqué et ce qui est réel. Mais pour Me Farama de la partie civile, cette stratégie de la défense de vider la salle quand elle se sent coincée ne l’étonne guère. « Là, je suis inquiet, mais pas étonné. Nous sommes à la deuxième heure de vérité et cette heure de vérité est fatale à certains accusés. Quand ces éléments vont passer, je vous assure que certains vont vouloir entrer sous le tapis », fait-il observer.

Après avoir écouté toutes les parties opiner sur la question, le président du tribunal a décidé de faire écouter ces pièces, en attendant son jugement qui sera rendu à la fin des débats de ce procès marathon.

Candys Solange Pilabré/ Yaro

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