Le président de la commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA), Abdoulaye Diop, a rendu compte au chef de l’Etat burkinabè, le capitaine Ibrahim Traoré, de l’initiative de l’institution de mettre en place un projet d’interconnexion et d’informatisation des postes de police frontaliers de l’UEMOA, le 13 mars 2023. Ce projet, selon la commission, vise à renforcer les initiatives pour mieux sécuriser les territoires de l’UEMOA en proie au terrorisme. Est-il réalisable ? La gestion sécurisée des frontières peut-elle véritablement contribuer à la lutte efficace contre le terrorisme ? Radars Burkina a recueilli quelques avis auprès de citoyens. Pour certains, ce projet n’est pas réalisable. D’autres estiment qu’il ne peut rien apporter à la lutte contre le terrorisme. Par ailleurs, d’aucuns trouvent que la réalisation du projet impactera positivement la lutte contre le terrorisme.
Dieudonné Tankoano, sociologue et écrivain, pense que le projet n’est pas réalisable parce que les institutions africaines « ont pris l’habitude de contourner les projets à fort impact sur les Africains pour s’agripper aux faits divers », sinon l’harmonisation des frontières est un vieux projet.
La preuve est que depuis un certain temps, « les pays africains victimes de terrorisme se débattent et se battent presque seuls dans leur mal. Quelle est la contribution de nos institutions africaines si ce n'est du verbiage et des colloques sans apport ? L'histoire de l'UEMOA et de l'Union africaine a plus servi à diviser l'Afrique qu'à l'unir. Ces institutions ne sont pas présentes quand on a besoin d'elles. Toutes les institutions africaines naissent sous des bons projets mais meurent de leur belle mort parce que l'Afrique semble le continent le plus désuni ». Aussi, il pense que les innovations ne se font pas au hasard, car « il faut avant tout réunir les capitaux, valider la phase technique et avoir l'aval de tous les pays membres pour une quelconque harmonisation ».
Cependant, sa conviction, c’est que ce projet devrait normalement servir à renforcer la sécurité dans l'espace UEMOA si l’initiative est de mettre en place un logiciel de traitement unique qui réunit tous les pays membres en vue du partage d'informations et de renseignements.
« Dans ce sens le projet initié devrait impacter positivement la lutte contre le terrorisme et la criminalité à travers les renseignements stricts et le partage d'informations à tous les pays membres sur l'identité des trafiquants d'armes, de drogues et bien d'autres », a-t-il déclaré.
Pour lui, « la bonne gestion sécurisée des frontières peut contribuer considérablement à la lutte contre le terrorisme. Si les frontières sont bien sécurisées nous gagnons en partie la lutte. Si le projet voyait efficacement le jour, il allait être d'un grand apport à la lutte contre le terrorisme ». Mais sceptique, il pense que l’Afrique n’est pas capable de réaliser efficacement ce projet. Pourtant aucun pays ne sera à l'abri de ces narco-trafiquants et autres bandits s'il ne maîtrise pas ses frontières, a-t-il prévenu.
Sur la question d’une réorientation des ressources mobilisées pour le projet vers l'achat du matériel pour lutter contre le terrorisme, Dieudonné Tankoano défend que ce n’est pas la meilleure option, parce que la lutte contre le terrorisme n'est pas seulement matérielle, elle est plus sociale.
« La contribution de l'UEMOA n'est pas forcément la distribution des armes aux pays touchés par le terrorisme, bien au-delà. Elle doit se rendre plus indépendante dans la prise de ses décisions afin d'être maîtresse de ses actions, faciliter le trafic et rester rigoureuse quant à la sécurisation de ses frontières, organiser tous ses pays membres à interagir et à s'entraider dans les différentes crises », a-t-il avancé.
Pour ce citoyen anonyme, l’interconnexion des frontières ne peut pas lutter contre le terrorisme. « C’est un prétexte qui ne tient pas route parce que rien ne prouve qu’une personne qui s’enregistre à un poste de police est un terroriste », a-t-il notifié.
Selon lui, même si on arrive à interconnecter les postes de police entre les pays de l’UEMOA, « le terrorisme va toujours exister parce que, ce n’est pas un Etat qui attaque un autre État. C’est un problème interne puisque le terroriste ne reste pas dehors pour attaquer ».
Par ailleurs, un autre citoyen qui a aussi gardé l’anonymat, estime que le projet peut avoir un avantage dans la lutte contre le terrorisme en ce sens qu’elle permettra de partager instantanément des informations sur ceux qui traversent les postes frontières, faciliter les avis de recherche car avec la situation actuelle, une personne peut être recherchée mais par manque de collaboration, elle peut facilement traverser une frontière pour rentrer dans un autre pays en toute quiétude.
De plus avec l’interconnexion, il y aura une base de données suffisamment fournie qui permettra aux différents pays d’échanger des informations assez importantes et urgentes sur la sécurité et sur des personnes susceptibles de nuire à la sécurité. « C’est une solution car les grandes nations le font. Elle permettra évidemment aux différents services, postes frontières dans la mesure du possible de partager leurs expériences de formation, de les mettre en commun afin de pouvoir identifier, suivre et intervenir pour lutter contre l’insécurité sous toutes ses formes », foi de ce dernier.
Cependant, pour lui, elle doit être franche. « Il ne faudrait pas que cela se limite à un lancement, il faudrait un vrai suivi, un respect mutuel et une collaboration franche sinon ce serait un projet vain ».
Également, à son avis, le budget qui sera alloué à ce projet n’est pas de l’argent jeté par la fenêtre parce dans une guerre, l’information est cruciale et elle a un coût. Il ne sert à rien d’avoir des armes, l’expérience de plusieurs années, tant qu’on n’a pas l’information requise, une connaissance du terrain, les préalables pour une mission.
Flora Sanou