samedi 23 novembre 2024

Extradition de François Compaoré : « C’est un avis favorable qui a été rendu, qui est d’ailleurs une confirmation d’un avis du parquet ; donc de mon point de vue, on doit pouvoir commencer la procédure d’extradition », Wilfried Zoundi, juriste-consultant

extradition uneQuelques jours avant la 20e commémoration de l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et de ses trois compagnons, la chambre d’instruction de la Cour d’appel de Paris a rendu hier, mercredi  5 décembre 2018, un avis favorable à la demande d’extradition de François Compaoré, cité dans le cadre de l’instruction de ce dossier. Les avocats du « petit président », comme on le surnommait au temps du régime Compaoré, se sont immédiatement pourvus en cassation pour contester cette décision. Mais pour Wilfried Zoundi, juriste-consultant et enseignant de droit, malgré ce recours, la procédure d’extradition doit être entamée avec notamment un décret des autorités françaises. Interrogé par Radars info Burkina, il explique sa position et donne son appréciation générale de cette procédure judiciaire dont l’issue est beaucoup attendue par le peuple burkinabè.

Radars info Burkina : La Cour d’appel de Paris a émis un avis favorable sur l’extradition de François Compaoré, qui est cité dans le dossier Norbert Zongo. Pensez-vous véritablement, comme bon nombre de Burkinabè, que cela peut être considéré comme une victoire d’étape ?

Wilfried Zoundi : Au-delà même d’une victoire d’étape, il faut dire que c’est une grande victoire, parce que cela fait maintenant 20 ans que la lumière n’est pas faite sur cette affaire. C’est donc une victoire à apprécier à sa juste valeur, de mon point de vue.

RIB : Immédiatement, les avocats de François Compaoré se sont pourvus en cassation. Quelle est l’incidence de ce recours sur la décision de la Cour d’appel ?

WZ : Ils se sont pourvus en cassation, tout naturellement, pour gagner du temps. La loi leur permet de le faire s’ils estiment que la décision leur fait grief. Mais ce qu’il faut dire dans ce cas d’espèce, c’est que s’ils voulaient gagner du temps, la loi leur permet même de joindre à leur pourvoi une requête tendant à faire déclarer le pourvoi immédiatement recevable. Cela allait obliger le juge à statuer rapidement. Mais à ma connaissance, ils n’ont pas joint à leur pourvoi cette requête. Naturellement donc, c’est pour encore gagner du temps et dans ce cas si la décision est confirmée, les autorités françaises seront obligées de prendre un décret pour entériner l’extradition de François Compaoré. Ledit décret peut également faire l’objet d’un recours pour excès de pouvoir devant le Conseil d’Etat français. J’ai lu  certaines analyses selon lesquelles le pourvoi qui a été fait suspend la décision d’extradition. Pourtant, de mon point de vue, ce n’est pas vrai parce que l’avis qui a été rendu oblige les autorités françaises à prendre un décret pour entériner la procédure d’extradition. Si c’était par exemple une procédure pénale ordinaire, on pouvait dire que le pourvoi suspend la décision. Or, ce n’est pas le cas. Ici, c’est un avis favorable qui a été rendu, qui est d’ailleurs une confirmation d’un avis du parquet, donc de mon point de vue, on doit pouvoir commencer la procédure d’extradition. D’aucuns disent également que François Compaoré est maintenant libre de ses mouvements, mais il faut noter qu’ils sont restreints sur le territoire français. Il ne peut pas par exemple quitter la France sans l’autorisation expresse de la chambre d’instruction.

extradition 2RIB : Vous l’avez dit, les avocats de M. Compaoré ont encore plus d’un tour dans leur sac pour empêcher ou retarder cette extradition. Alors, dans quel délai au maximum peut-on espérer le voir devant la justice burkinabè pour répondre de ses actes, d’autant plus que ses avocats parlent de 2020 et plus encore ?

WZ : En matière de justice, on ne peut jamais fixer de délai, mais cela ne peut pas traîner comme essaie de le faire croire son avocat. J’ai vu que Me Olivier Sur parle des élections de 2020, faisant naturellement allusion à ce qu’un parti qui leur est favorable soit au pouvoir pour encore empêcher ce dossier d’aboutir. C’est le peuple qui demande la lumière dans cette affaire, donc la justice est rendue au nom du peuple. Aucun parti politique ne peut prendre en otage cette affaire, sous peine de se faire hara-kiri. Quoi qu’il en soit, de mon point de vue, dans la pratique judiciaire, souvent les choses traînent quelques mois ou quelques années. Mais je reste optimiste, car  en droit  le délai raisonnable est un principe du procès équitable. Cela signifie que la justice doit être rendue dans les meilleurs délais possible.  Quand on parle de délais raisonnables, on tient compte aussi de la diligence des parties, de la complexité de l’affaire pour pouvoir rendre la décision le plus rapidement possible et respecter les droits des victimes. C’est même une recommandation du comité des droits de l’Homme de l’ONU. Cela étant, le plus tôt serait conforme à une justice équitable.

RIB : D’aucuns pensent que cette décision est une manipulation politico-diplomatique pour embellir surtout les relations entre les deux pays. Etes-vous de cet avis ?

WZ : Je ne suis pas du tout de cet avis. En droit, on parle de décision politique lorsque, par exemple, on commet une infraction dans le but de changer un régime en place. Ce qui n’est nullement le cas. On pouvait également penser à une poursuite politique si par exemple cette procédure visait à empêcher François Compaoré d’être candidat à l’élection présidentielle. Ce qui n’est pas non plus le cas. C’est un crime de droit commun qui a été commis et ce qu’il est important de souligner, c’est que M. Compaoré est un citoyen burkinabè qui ne devrait pas avoir peur de la justice de son pays. Il doit pouvoir venir se défendre et s’il est blanchi, il n’y aura plus de poursuites ; mais à l’inverse s’il est reconnu coupable, il devra subir la rigueur de la loi. Mais je pense qu’il faut éviter des motifs à salir les autorités judiciaires burkinabè et nous devons faire confiance à notre justice, car elle est dite au nom du peuple burkinabè. Et le peuple veut connaître la vérité et la justice dans cette affaire. On ne lui dit pas de venir se faire condamner, mais de venir s’expliquer simplement.

RIB : D’aucuns estiment également que le dossier est mal conduit. Vous, en tant que juriste aguerri, partagez-vous cette opinion ?

extradition 3WZ : Ah non ! Même si au départ j’étais sceptique lorsque le parquet avait demandé des éléments d’information complémentaires, j’étais de ceux qui pensaient que toute la diligence n’avait pas été faite dans le cadre de cette demande d’extradition. Heureusement que l’Etat burkinabè s’est rattrapé en fournissant les éléments nécessaires dont les résultats sont cet avis favorable du parquet, qui a été confirmé par les juges au siège ; ce qui est quand même cohérent du point de vue judiciaire. Cela veut dire qu’il n’y a pas eu de divergence de compréhension entre le parquet et le siège. Ils sont unanimes sur le caractère solide du dossier et sa conformité  aux lois de la République française.

 

Propos recueillis par Candys Solange Pilabré/Yaro, Armelle Ouédraogo

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