dimanche 24 novembre 2024

Assassinat de Thomas SANKARA : 31 ans après, le mystère demeure toujours

e4f1cff 5487346 01 06Le 15 octobre 1987, Thomas SANKARA, le jeune révolutionnaire burkinabè était assassiné après quatre ans passés à la tête du Burkina Faso.  Durant ces quatre années, il a mené à marche forcée, et y compris en recourant à la répression de certains syndicats ou organisations politiques rivales, une politique d'émancipation nationale, de développement du pays, de lutte contre la corruption ou encore de libération des femmes.  Plus d’une trentaine d’années après sa disparition, son souvenir reste vivace aussi bien dans la jeunesse burkinabè que celle africaine, qui en a fait une icône, un « Che Guevara africain ».

Au sein du Conseil de l’entente,  sise à Ouagadougou, s’est joué, le 15 octobre 1987, le dernier acte que certains disent empreint de drame cornélien et d’autres de tragédie shakespearienne,  le meurtre d’un héros, l’histoire de la chute sanglante d’un personnage illustre, la fin d’une expérience révolutionnaire inachevée de quatre années, celle du capitaine Thomas Isidore Noël SANKARA.

Ce jour-là et ceux qui ont suivi, le temps a suspendu son vol, voilant du même coup les commanditaires de cet acte. La soif de justice du peuple burkinabè de savoir ce qui s’est passé et les responsables a été vaine jusqu’en 2015 où à la faveur de l’insurrection populaire d’octobre 2014, un grand coup de balai a été donné au dossier de l’affaire dite « ministère public et ayants-droit de feu Thomas Isidore Noël SANKARA et douze autres contre désormais : Blaise COMPAORE, Hyacinthe KAFANDO, Gilbert DIENDERE, Gabriel TAMINI et Alidou DIEBRE ».

Dans ce dossier, une quinzaine de personnes sont poursuivies pour différents chefs d’inculpation dont principalement les crimes d’attentat à la sûreté de l’Etat, d’assassinat, de faux en écriture publique, de recel de cadavres, etc. ou de complicité de ces infractions. Blaise COMPAORE est lui, poursuivi pour « complicité d’attentat, d’assassinat et complicité de recel de cadavre ». Le général Gilbert DIENDERE, l’ancien chef d’état-major particulier de Blaise COMPAORE et présumé auteur du coup d’Etat du 16 septembre 2015 est également mis en examen dans cette enquête historique.

La lumière de l’espoir a commencé à renaitre sous la transition après la chute du président Blaise COMPAORE, avec la décision du président de la Transition Michel KAFANDO de faire ressortir des tiroirs, les dossiers pendants en justice qui depuis des dizaines d’années sont empreints de dénie de justice. Ce qui a encouragé les avocats de la famille SANKARA à demander au nom des ayants-droit, la réouverture du dossier ainsi que l’identification du corps le 13 janvier 2015. Depuis lors, des avancées notables ont été données de voir dans l’instruction de ce dossier. La dernière en date est la déclassification partielle des archives sur Thomas SANKARA, par le président français Emmanuel MACRON.  Une levée de secret-défense qui permettra sans doute d’enlever un peu de poussière sur ce dossier, vieux de plus de trente ans.

Un devoir de vérité s’impose concernant l’assassinat de Thomas Sankara. Aujourd’hui avec cette déclassification, la France fait ses premiers pas pour ce devoir et marque ainsi sa bonne foi pour que la lumière jaillisse d’autant plus que  des présomptions de responsabilité sur elle existe. En effet, On a souvent évoqué, outre le rôle que la France aurait joué, celui du principal bénéficiaire du coup d’Etat d’octobre 1987, l’ami fidèle et le compagnon de route Blaise COMPAORE, et les liens étroits qu’il entretenait avec Félix Houphouët-Boigny suite à son mariage avec une proche de celui-ci. Il y a aussi les ramifications régionales du complot, qui restent obscures : la Libye de Kadhafi y a-t-elle trempé ? Quid de l’ancien dirigeant du Liberia Charles Taylor ?

13c5a1b 22060 h0o8cnLa levée du secret-défense permettra-t-elle de répondre à toutes ces questions ? La suite de l’instruction édifiera les uns et les autres.

Quoi qu’il en soit, trente ans après, la disparition brutale de l’homme qui incarnait la révolution burkinabè, les circonstances de son assassinat demeure un sujet extrêmement sensible au Burkina mais également sur tout le continent africain, et même en France. Cela, parce que non seulement les circonstances exactes de sa mort et de celle de la douzaine de collaborateurs qui se trouvaient à ses côtés au Conseil de l’entente, ce jour-là, restent mystérieuses, mais aussi parce que l’identité et les responsabilités des exécutants du massacre et de ses commanditaires n’ont jamais été entièrement éclaircies.

Pour les admirateurs de Sankara en Afrique, il s’agit là d’un crucial enjeu de mémoire. En effet, « Tomsank », continue de fasciner  une jeunesse africaine en mal de héros. La figure de SANKARA nourrit donc un culte relevant sans doute d’un romantisme révolutionnaire d’une période que beaucoup qui aspire au changement  n’ont connu qu’à travers les livres et le témoignage d’une certaine génération. Son aura n’a fait que se renforcer avec le temps, alors que ceux qui ont connu la révolution, n’ont pas oublié que, si le régime instauré par Sankara et ses compagnons a engagé et réussi un certain nombre de réformes salutaires en matière de santé, d’éducation, d’accès à l’eau, de lutte contre la corruption, il s’est aussi enfermé dans une logique autoritaire qui a détourné de lui une bonne partie de ses appuis sociaux initiaux.

Il y a donc incontestablement une part d’ombre dans le mythe SANKARA. Ce qui expliquerait en partie l’incapacité des partis et mouvements politiques burkinabè se revendiquant de son héritage à convertir en influence politique ce capital symbolique. Leurs résultats plus que modestes aux différentes élections depuis des années confirment amplement le constat.

sankara compaoreEn dépit de l’admiration et du respect que le voue la jeunesse burkinabè et africaine, le souvenir de SANKARA peine à mobiliser électoralement, d’autant que ses héritiers manquent cruellement de relais dans un certain nombre de réseaux sociaux (chefferie traditionnelle), économiques (milieux d’affaires) et religieux (église catholique, mouvements protestants d’obédience pentecôtiste ou évangélique) très agissants.

Actuellement, un mémorial dédié au père de la révolution burkinabè est en gestation.  Une manière pour le comité qui porte ce projet d’immortaliser ses œuvres, de lui rendre en partie justice en tant que « héros national » et de partager l’expérience de la révolution  avec tous la jeune génération.

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