jeudi 21 novembre 2024

Adoption de la charte des médias en ligne : professionnaliser le milieu pour gagner en crédibilité auprès du lectorat

mdia uneDans le but de rendre plus professionnelle la presse en ligne, et sur l’initiative de l’Association des éditeurs et professionnels des médias en ligne, une charte propre à ces médias a été rédigée et adoptée. Elle renferme un ensemble de principes, surtout moraux, qui visent à assainir le milieu et à rendre plus crédible le travail d’information abattu chaque jour par les professionnels. Pour mieux cerner les contours de cette charte, Radars Info Burkina (RIB) a rencontré le Dr Cyriaque Paré, président de l’Association des éditeurs et professionnels de médias en ligne (AEPML).

 

RIB : Qu’est-ce qui a motivé l’adoption de cette charte propre aux médias en ligne ?

Dr Paré : Il faut dire que c’est une préoccupation des professionnels des médias en ligne, notamment ceux réunis au sein de l’Association des éditeurs et professionnels des médias en ligne, qui avait prévu dans son programme d’activités d’élaborer une charte dans l’esprit de la mission principale que nous nous sommes donnée, à savoir aider à professionnaliser le secteur. Et nous avons jugé que cela passe par un certain nombre d’actions en plus des lois dont nous avons participé à la rédaction. Nous avons pensé qu’il était bien d’avoir une charte qui précise certains comportements, règles et principes qui nous engagent personnellement. Nous avons été accompagnés dans ce sens par le ministère de la Communication à travers la Direction générale des médias. L’idée de la charte est vraiment de fixer un certain nombre de principes plus moraux que juridiques comme le sont les textes, mais qui engagent les professionnels qui promettent de respecter lesdits principes qui vont les aider à professionnaliser leur métier et à assainir leur milieu. Aussi bien entre eux-mêmes, entre patrons et employés, entre médias qu’entre médias et consommateurs.

RIB : Quels sont les principes contenus dans cette charte ?

Dr Paré : La charte comprend un préambule qui fait référence aux lois qui existent déjà en matière d’encadrement juridique des médias de façon générale et des médias en ligne de façon spécifique. Ce préambule fait aussi référence aux lois qui concernent la gestion des données personnelles parce qu’en tant que médias, nous sommes amenés à manipuler des données personnelles ; il fait référence à la loi sur le règlement général des réseaux de communication électronique.

La charte elle-même comprend 12 articles qui rappellent ce qu’est une entreprise de presse en ligne, pour la distinguer de ce qui peut exister comme autres médias sociaux tels les blogs et animés par des non-professionnels. Nous avons ensuite inclus un certain nombre de principes qui devraient donner plus de crédit aux médias en ligne, notamment les mentions d’adresse pour que l’on sache qui est à la base de la création d’un site pour pouvoir facilement contacter la personne. Il y a aussi la nécessité de produire du contenu original parce qu’on note aujourd’hui qu’avec la facilité de reprise des contenus, il y a beaucoup de sites qui se nourrissent parfois à 80% de contenus qui viennent d’ailleurs. Il y a aussi le principe de la mention des sources, parce que quand vous exploitez les contenus de vos confrères, il faut les citer pour qu’on le sache. C’est une question d’honnêteté intellectuelle et de respect du droit d’auteur. Toujours sur le plan éditorial, préciser les contenus publicitaires que vous publiez, pour que le lecteur sache à quoi s’en tenir. A cela s’ajoute la nécessité de rectifier les informations quand on sait qu’il y a beaucoup d’erreurs qui se glissent dans les informations diffusées dans les médias en ligne, surtout en raison de la pression de l’instantanéité. Il faut aussi respecter la vie privée des usagers dans la collecte des données personnelles, notamment en se référant à la loi en la matière. Il y a plusieurs personnes qui, dans les forums, laissent des traces qui peuvent être identifiées et cette matière doit être gérée avec prudence pour préserver la vie privée des usagers. Toujours sur la question de l’intervention des personnes extérieures, notamment des internautes, il avait déjà été recommandé par le Conseil supérieur de la communication (CSC) que chaque média en ligne mette en place une charte d’utilisation de ses forums de discussion. Cela a été pris en compte dans la charte, en invitant les médias à mettre en place une charte pour les forums. Elle sert à préciser aux internautes comment se comporter : les excès dans les commentaires, les injures, la diffamation, qui sont des délits qui peuvent retomber sur le média en tant que premier auteur. Il faut en plus respecter la convention collective des journalistes et assimilés en ce sens qu’il faut essayer de mettre les travailleurs dans des conditions salariales acceptables.  mdiaC’est donc un certain nombre de principes qui, s’ils sont appliqués, vont aider les médias en ligne à être plus professionnels et crédibles, à se différencier de tous ceux qu’on considère aujourd’hui comme activistes, journalistes citoyens, et qui n’ont pas toujours été formés pour faire le travail, mais qui produisent beaucoup d’informations que les usagers confondent parfois à celles des journalistes professionnels. Je ne vous apprends rien en faisant un lieu avec la modification de la loi pénale par exemple qui, justement, vise les dérives sur les médias sociaux. On dira que ce ne sont pas les journalistes qui exercent de façon professionnelle qui sont concernés au premier chef, mais la loi est écrite de telle sorte que ça peut effectivement avoir des conséquences très répressibles sur les médias en ligne. D’où la nécessité pour nous, en attendant que cette loi soit révisée, d’exhorter nos confrères à plus de professionnalisme.

RIB : En votre qualité de professionnel des médias, quel est votre regard sur la crédibilité des médias en ligne de nos jours ?

Dr Paré : Elle va croissant et il y a des statistiques qui illustrent cela. Lorsque l’on considère la dernière étude qui a été réalisée à la demande du fonds d’appui à la presse privée sur l’audience des médias au Burkina, on se rend compte que les médias en ligne sont passés devant la presse écrite en tant que source d’information à laquelle ont recours les internautes. Si l’on considère aussi les habitudes de consommation d’Internet des Burkinabè, le produit information fait partie des premiers contenus que les Burkinabè recherchent sur Internet à travers notamment les médias en ligne. Les 20 premiers sites les plus consultés sur Internet, le 1/3 est représenté par des médias en ligne. Ce qui signifie que ceux-ci apparaissent de plus en plus comme des sources crédibles d’information. Sans oublier qu’au quotidien, nous sommes interpellés par des internautes qui, parce qu’ils ont vu une information sur les réseaux sociaux, viennent vers les médias pour s’assurer de sa véracité. Donc les usagers ont commencé à prendre conscience que les médias en ligne sont différents des réseaux sociaux de façon générale, que ce sont des structures où des animateurs travaillent selon les règles du métier de journaliste, qui demande de recouper, vérifier l’information, donc de la traiter avant de la diffuser. Le fait aussi que nous ayons plusieurs dizaines de médias (les statistiques parlent d’environ 60 entreprises de presse à vocation professionnelle), est aussi une chose encourageante et qui donne du crédit au secteur.

RIB : A la dernière édition des prix Galian, aucun média en ligne n’a été primé. Qu’est-ce qui pourrait expliquer cela ?

Dr Paré : C’est regrettable. Notre association a fait comprendre à la Direction générale des médias, qui organise les prix Galian, notre position sur la question. Nous avons demandé à la suite de cet épisode malheureux que l’on relise les textes sur la base desquels travaille le jury et qu’on revoie même sa composition. Parce qu’il s’y trouve des personnes qui ne sont pas forcément des professionnels des médias en ligne, avec des conceptions parfois dépassées ou inadaptées aux médias en ligne, et qui ne comprennent pas toujours la problématique de ces médias. Je crois que ceux qui lisent les médias en ligne et qui prennent le temps de faire des analyses du contenu publié savent qu’ils ne sont pas pires que les autres médias. Il y a aussi des critères qui ne sont pas adaptés. C’est un incident malheureux qui, nous l’espérons, ne va pas se reproduire mais qui en réalité n’est pas du tout fidèle à ce qu’est aujourd’hui le niveau de professionnalisme des médias en ligne au Burkina. Je suis d’accord qu’il y a des lacunes parce que c’est un milieu qui, comme les autres, demande à être davantage professionnalisé. La preuve en est que même les médias professionnels qui ont plusieurs décennies d’existence et qui participent aux Galian depuis la première édition, chaque année ce sont les mêmes reproches qui leur sont faits (confusion des genres, inadaptation des catégories, qualité, etc.), mais ce n’est pas pour autant que l’on refuse de les primer. Donc pour un secteur qui est encore naissant et dont les règles ne sont pas encore coulées dans le marbre, on doit être flexible par rapport aux contenus qui sont produits et avoir une vraie compréhension. Les règles d’écriture web par exemple, ne sont pas définitives en tant que telles. J’ai entendu parler de la portabilité des articles, mais c’est un aspect qui intéresse le site mais pas l’article en question. Il y a aussi la longueur des articles. Beaucoup de gens sont convaincus qu’un article de presse en ligne doit être court, ce qui est faux. Aujourd’hui, vous avez des formats longs qui se développent et qui sont bien adoptés par le public. Il ne sert à rien d’écrire un article de deux ou trois paragraphes où il n’y a aucune information parce que l’on a voulu être bref, ça n’a pas de sens. Ce qu’on demande, tout comme dans les autres médias d’ailleurs, c’est d’écrire un article documenté, intéressant, avec des informations vérifiées. Ce sont des règles communes à tout média, particulièrement à la presse écrite et à la presse en ligne, d’autant plus qu’on sait qu’à l’étape actuelle, la presse en ligne est une héritière directe de la presse écrite.

Propos recueillis par Armelle Ouédraogo

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