jeudi 21 novembre 2024

Procès du putsch de septembre 2015 : Les accusés opposés aux preuves en images et en son

video uneLa présentation des pièces à conviction se poursuit au tribunal militaire de Ouagadougou. Après les éléments sonores, le parquet a commencé à diffuser les éléments audiovisuels à sa disposition. Opposés à leurs images, certains accusés ont fini par reconnaître que durant les évènements, ils ont mené des missions hors du camp Naaba Koom II. Toutefois, d’autres ne se reconnaissaient toujours pas dans le lot de vidéos diffusées, même si certains de leurs frères d’armes qui étaient également sur les lieux les ont cités. Avant la diffusion de ces images qui a ramené le public quatre années en arrière, le parquet est revenu sur des conversations avec Dame Fatoumata Thérèse Diawara et le caporal Saboué Massa en langue dioula. Avec l’appui d’un interprète, à la demande de la partie civile, ces conversations ont été décryptées et pour le parquet et les avocats des victimes, elles viennent une fois de plus montrer le rôle important joué par l’ex-belle fille du président du Conseil national pour la démocratie (CND) dans la consommation et la résistance du putsch de septembre 2015.

A l’audience du lundi 1er avril 2019, Me Kientaremboumbou, avocat de l’accusé Minata Guelwaré, rejetait l’élément sonore apporté par radio Oméga et contenu dans le dossier qui incrimine sa cliente. Dans l’élément en question, il s’agit d’un communiqué fait par Dame Guelwaré sur les ondes de la radio Oméga et qui appelait les populations à sortir massivement soutenir le putsch qui venait d'être perpétré. Mais pour l’homme à la robe noire, cet élément tel que diffusé par le parquet est un acharnement sur sa cliente, car c’est un faux et un montage de deux communiqués. Mais pour le parquet, l’accusé elle-même lorsqu’elle est passée à la barre n’a pas mis en cause l’authenticité de l’élément sonore puisqu’elle n’a pas eu à faire d'observations. « Dame Guelwaré à la barre a dit n’avoir pas d’observation. C’est son conseil qui ne fait que l’assister qui dit que c’est un faux. Qu’il nous donne alors la preuve de la fausseté en envoyant l’élément original ou en nous montrant ce qui a été touché. Il se cantonne à de simples allégations. C’est la partie civile, radio Oméga, qui a versé ce communiqué au dossier. Quand quelqu’un n’a pas d’arguments au niveau de la défense, il dit que c’est du faux », ont fait remarquer Alioun Zanré et ses pairs et Me Kientaremboumbou de répliquer : « Très franchement, je ne comprends pas le comportement du parquet. Que ce soit à la chambre de contrôle ou à la barre, Dame Guelwaré n’a jamais reconnu cet audio. C’est un faux et nous sommes fermes là-dessus. C’est en son nom et pour son compte que je parle. L’audio est saccadé et on ne peut pas à partir de cet élément asseoir la responsabilité de ma cliente. Ce n’est pas un élément sincère ».

Dame Diawara, la chargée de communication des putschistes

 Avant de continuer la diffusion des vidéos en sa possession, le parquet a tenu à revenir sur des conversations en langue dioula de dame Fatoumata Thérèse Diawara, ex-fiancée du fils du général Gilbert Diendéré, présumé cerveau du coup d’Etat de septembre 2015 et de Saboué Massa, un des fidèles du général. A l’audience précédente, ces écoutes au nombre de trois avaient été diffusées, mais faute d’interprète, les dioulaphones n’étaient pas en mesure de cerner ces conversations de bout en bout. Accédant à la requête de la partie civile, des diligences ont été faites et un interprète a été trouvé pour vider cette question.

Après la diffusion et la traduction de ces trois éléments sonores par le journaliste à la retraite Karambiri, le parquet estime qu’il n’y a plus de doute  sur le rôle et la responsabilité de l’ex- belle-fille du président du CND et du caporal Massa. En effet, dans ces audio, Mademoiselle Diawara appelait le caporal Massa à mobiliser les hommes afin qu’ils sortent contre-attaquer, notamment la gendarmerie qui avait arrêté le général de gendarmerie Djibril Bassolé. «  (…) Sortez, sortez, tirez sur les chars », martelait-elle entre autres au caporal.

Au-delà de ces deux accusés, le parquet trouve que les interactions téléphoniques que dame Diawara a eues pendant les évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants ont pu aider à  pêcher « un gros poisson », le général Djibril Bassolé qui de façon implicite tirait les ficelles et menait la résistance. « Ces trois éléments que nous avons écoutés nous amènent à dire merci à dame Diawara. Merci, car grâce à elle, un pan du voile a été levé concernant la participation du général Bassolé à travers ses communications. Elle l’a fait sans le savoir. Les connexions sont bel et bien là. Même un génie ne pourrait pas inventer ces éléments. Après avoir écouté la stratégie de dame Diawara à convaincre les éléments de prendre les armes, on se pose des questions. Cette chargée de communication a utilisé tous les moyens pour convaincre ce carré de fidèles du général. Elle était à la solde des deux généraux », a commenté le ministère publicDans la même veine que le parquet militaire, la partie civile estime que cette dame a joué un rôle très important durant les évènements du 16 septembre 2015 et jours suivants. « Ces éléments sonores nous renseignent sur le rôle que dame Diawara a joué dans cette affaire. Le premier rôle, c’est la collecte de fonds pour les galvaniser. Son deuxième rôle, c’est sur le plan opérationnel. Dans ce rôle, elle donnait des instructions à des militaires et les suppliait presque. Elle leur montrait la voie à suivre pour pouvoir réduire l’ennemi à néant. C’est ce qui conforte notre position que dame Diawara a joué un rôle important. Si c’est à classer, elle peut occuper la 3e place, car son rôle était très important : collecter l’argent et inciter les hommes à se battre pour parvenir à son idéal, celui d’être au pouvoir », conclut Me Séraphin Somé. Mais pour le conseil de « la chargée de communication des putschistes », aucune pièce dans ce dossier ne permet de rattacher ces audio à sa cliente. « La voix qui est sur les audio est rattachée d’autorité à notre cliente. Sur quelle base vous arrivez à distinguer la voix de Diawara de celle des millions de jeunes filles ? Ce n’est pas de la prestidigitation. Un procès pénal se gagne par des preuves et non par des allégations », réplique Me Abdoul Latif Dabo.

Des éléments vidéo diffusés

Ces conversations en langue dioula de dame Diawara et du caporal Massa furent les derniers éléments sonores à être diffusées par le parquet militaire.  video 2Le public, les accusés et le tribunal après cette étape des écoutes avaient maintenant les yeux rivés sur les trois grands écrans plasma disposés dans la salle d’audience. Le premier dossier à être visionné est dénommé « communiqué CND et armé », composé de neuf éléments.         Dans ce dossier, il s’agit essentiellement  du lieutenant-colonel Mamadou Bamba qui lisait les différents communiqués du Conseil national pour la démocratie (CND), organe dirigeant des putschistes. Le premier communiqué lu par le lieutenant-colonel portait le général Gilbert Diendéré  à la tête du CND. Le deuxième communiqué instaurait le couvre-feu sur toute l’étendue du territoire national de 19h à 6h du matin. Le troisième, lui, faisait cas de la fermeture des frontières terrestres et aériennes. Le quatrième permettait aux secrétaires généraux des ministères d’expédier les affaires courantes. Le cinquième communiqué lu par le médecin disait que le programme de départ du hadj 2015 ne connaîtraît pas de perturbation à cause du couvre-feu. Le sixième faisait le compte rendu de la rencontre avec une délégation de la communauté internationale. Suite à cela, le président du CND a annoncé la libération des ministres et de l'ancien président de la Transition. Le communiqué numéro 7 faisait cas de la réouverture des frontières terrestres et aériennes à compter du 18 septembre 2015. Egalement un communiqué de l’Etat-major général des armées a été diffusé. Il faisait cas de la condamnation  des actes de violences qui étaient en cours et réaffirmait l’engagement des autorités militaires au respect des valeurs républicaines et à la protection des personnes et des biens. Un communiqué mettant fin au régime déviant de la transition a été le dernier fichier lu dans ce dossier. Pour le parquet, ces communiqués battent en brèche les déclarations du général Diendéré qui tendent à dire qu’il a été porté au pouvoir par la hiérarchie militaire, car dit-il, aucun élément dans les communiqués ne le dit.

Des accusés ne se reconnaissent pas dans les vidéos projetées

Le deuxième dossier visionné est dénommé « images Bf1 et divers ». Il contient neuf fichiers audiovisuels. Ce sont des images prises essentiellement du hall de la télévision Bf1 dans la soirée du 16 septembre 2015 qui se trouve à quelques pas de la présidence et du camp Naaba Koom II, fief de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP), quelques heures après l’arrestation des autorités de la Transition par la garde prétorienne.  Dans ces éléments, on aperçoit allègrement des militaires vêtus de la tenue léopard typique au RSP, positionnés au carrefour de la télévision privée et munis d’une kalachnikov A47.

Le caporal Sami Da, un des militaires qui s’y trouvaient avaient lors de ses premières auditions identifiées certains de ses frères d’armes qui étaient avec lui aux alentours de la télévision dans la soirée du 16 septembre 2015. Il s’agit de l’adjudant Jean Florent Nion, du sergent-chef Lahoko Mohamed Zerbo, du sergent Ollo Poda,  du sergent Mahamadi Zallé, de Zoubélé Maartial Ouédraogo, du caporal Madi Ouédraogo, du soldat Zakaria Ouédraogo et de Issaka Ouédraogo. Appelés à la barre, le sergent-chef Lahoko Mohamed Zerbo  et le sergent Mahamadi Zallé ne se reconnaissent pas dans les éléments diffusés. « La vidéo que moi j’ai vue, de ma situation, je ne me suis pas reconnu et identifié dedans », a déclaré le sergent-chef Zerbo et le sergent Zallé d’affirmer : « les vidéos qui viennent de défiler, je ne me suis pas vu dedans ». Pendant que ces accusés ont cette posture de ne pas se reconnaître, d’autres par contre ont avoué s’être rendus en ces lieux à la date indiquée, mais pas pour repousser les manifestations. « J’y étais, mais pas pour disperser les gens. Dans la vidéo, c’est moi qui étais à moto, mais je n’étais pas un élément hostile, la preuve, il y a un élément qui y faisait le sport », s’est défendu Zoubélé Jean Martial Ouédraogo. Et le sergent Issaka Ouédraogo de reconnaître : « j’ai vu ma vidéo, c’était le 16 septembre aux environs de 16h 30. J’’étais de garde à Dassasgho d'où je revenais. C’est en rentrant au camp que j’ai été filmé. Je me renseignais sur ce qui se passait ». Mais le parquet, c’est un rétropédalage que le sergent Issaka Ouédraogo fait, car avant d’être confronté à ces images, il a toujours affirmé qu’il n’est jamais sorti au cours des évènements. « La parole est comme un tigre. Quand vous la prononcez mal, elle se retourne contre vous », a déclaré le ministère public.

Cependant, aucun des éléments qui se sont reconnus dans les vidéos n’a voulu identifier ses frères d’armes qui étaient avec eux. Le caporal Sami Da, qui dès le début avait eu le courage de les dénoncer, n’a pas manqué d’exprimer son regret avant de rejoindre la barre vu qu’il n’a jusque-là bénéficié de la largesse du parquet militaire, notamment pour ses multiples demandes de mise en liberté provisoire, malgré le fait qu’il a été sincère dans sa déposition en voulant participer à la manifestation de la vérité.

Quoi qu’il en soit, ces éléments audiovisuels viennent conforter le ministère public et la partie civile dans leur position que dès le 16 septembre 2015, les éléments du RSP avaient commencé la répression des manifestants anti-putsch.

Candys Solange Pilabré/ Yaro

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