Débuté le lundi 12 novembre 2018, l’interrogatoire du colonel-major Boureima KIERE, chef d’état-major particulier de la présidence du Faso au moment des faits, s’est poursuivi ce mardi 13 novembre 2018 devant le tribunal militaire de Ouagadougou. L’accusé ne se reconnaît pas dans les griefs faits par les putschistes à la Transition, qui sont notamment l’exclusion politique, la volonté de dissolution du RSP et la loi sur le statut du personnel de l’armée. Bien au contraire, il dit s’être battu dès les premières heures de l’arrestation des autorités de la Transition pour la libération des prisonniers, en l’occurrence celle du président Michel KAFANDO, et pour une sortie de crise apaisée.
Complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, de meurtre et coups et blessures volontaires sont les trois chefs d’inculpation contre le colonel-major Boureima KIERE, chef d’état-major particulier de la présidence du Faso au moment de l’arrestation des autorités de la Transition en septembre 2014. Celui-là qui était donc l’interface entre l’armée et la présidence du Faso ne reconnaît pas ces faits qui lui sont reprochés. Durant les évènements du 16 septembre 2015 et des jours suivants, il dit avoir travaillé à une sortie de crise apaisée et à la libération du président Michel KAFANDO. « Toutes les actions que j’ai eu à poser, c’était pour une sortie de crise. D’ailleurs si la hiérarchie militaire m’a choisi pour rencontrer le général Diendéré, c’est qu’elle a compris que j’étais dans cette dynamique », a-t-il expliqué en vue d’emporter la conviction du juge Seydou Ouédraogo et de ses pairs du Tribunal.
Si le coordonnateur des missions présidentielles en matière sécuritaire reconnaît avoir apposé sa signature sur le communiqué lu par le médecin-colonel Mamadou BAMBA à la télévision nationale qui faisait du général Gilbert DIENDERE le président du Conseil national de la démocratie (CND), organe des putschistes, donc le nouveau chef de l’Etat, il affirme tout de même l’avoir fait à son corps défendant car, se justifie-t-il, le rapport de force était à son désavantage. Mais pour Alioun ZANRE et ses pairs du parquet militaire, sa signature au bas de ce communiqué fait de lui un membre du CND et un adepte des putschistes. Une thèse que l’accusé réfute totalement. « Je ne suis pas du tout membre du CND et je n’ai à aucun moment soutenu le coup d’Etat », a-t-il vigoureusement répondu au parquet. De plus, il affirme ne s’être jamais miré dans le miroir que brandissaient les putschistes. Ainsi, il ne se reconnaît pas dans les griefs d’exclusion politique, de dissolution du RSP et n’avait pas d’appréhensions quant à la loi portant statut du personnel de l’armée. « Je n’avais pas de griefs contre la Transition. Je voulais seulement la survie du RSP. Je ne me reconnaissais pas dans les griefs avancés par les putschistes », a-t-il martelé avant d’expliquer qu’il a toujours voulu et rêvé d’une armée républicaine et apolitique. « Je n’ai jamais constaté qu’au RSP les gens avaient des ambitions de pouvoir. Pour moi, l’armée doit rester dans les casernes et en dehors des luttes politiciennes », a-t-il ajouté.
Dans son grand déballage de ce jour, cet officier supérieur qui a eu à commander le Régiment de sécurité présidentielle (RSP) de 2011 à 2014 a affirmé qu’il existait des clans au sein de ce Régiment. Lesdits clans n’étaient pas affichés, selon lui, avant la Transition, mais la fracture s’est exacerbée avec l’arrivée du général Yacouba Isaac ZIDA au sommet de l’Etat. Si l’on en croit ses propos, il y avait les alliés de ZIDA, ceux qui étaient favorables au général Gilbert DIENDERE et le clan résiduel des non-alliés. A la barre, le colonel-major KIERE a expliqué que le clan de ZIDA était alimenté par le jeu d’intérêts et la distribution d’argent. « La division au RSP s’est exacerbée quand ZIDA est venu au pouvoir. Il mettait les moyens pour recruter. Le Premier ministre alimentait des soldats qui, du coup, avaient un niveau de vie élevé. Après le faux complot contre lui, une enquête a révélé que des soldats et des caporaux avaient des comptes de 16 millions de francs CFA et des véhicules d’une valeur de plus de 15 millions de francs CFA. Ces militaires ont fait des aveux selon lesquels ils étaient alimentés par le Premier ministre Isaac ZIDA », a-t-il expliqué.
A la barre ce mardi matin, le chef d’état-major particulier de la présidence du Faso au moment des faits a aussi été confronté à ses messages. Contrairement à certains de ses coaccusés qui sont déjà passés à la casserole du juge Seydou OUEDRAOGO, l’officier supérieur a reconnu tous les messages téléphoniques auxquels il a été confronté. De ces messages téléphoniques, il ressort que des journalistes des journaux « Courrier Confidentiel » et « Le Reporter » ont contacté cet officier clé du RSP le 12 septembre 2015, soit quatre jours avant l’arrestation des autorités de la transition, pour lui faire cas de rumeurs et de volonté de coup d’Etat, venant notamment de militaires qui ont pris fait et cause pour le Premier ministre d’alors, Yacouba Isaac ZIDA, qui était par ailleurs une des têtes de proue du RSP, notamment au lendemain de l’insurrection populaire d’octobre 2014. Une information que le colonel-major KIERE a immédiatement transférée au général quatre étoiles afin que le dispositif de vérification et de contre-attaque puisse pleinement se déployer comme il est de coutume, selon lui, en la matière. Si le parquet voulait un lien entre cette information reçue par le colonel-major KIERE portant sur des suspicions d’atteinte à la sécurité présidentielle, l’accusé, s’est, lui, vite démarqué de cette thèse. « Je ne suis pas à l’origine des évènements du 16 septembre 2015, donc je ne peux pas savoir s’il y a un lien entre l’arrestation des autorités le 16 septembre 2015 et l’information du coup d’Etat que j’ai reçue », a-t-il souligné.
Alioun ZANRE et ses pairs, à la lecture des messages extirpés du téléphone portable de l’accusé et versés dans le dossier grâce au travail de l’expert, taisaient l’identité des chefs militaires ivoiriens qui ont contacté le colonel-major KIERE pour apporter leur soutien au général DIENDERE ; cela par souci de protection des bonnes relations politiques et diplomatiques entre les deux pays frères que sont le Burkina Faso et la Côte d’Ivoire. Mais cette façon de faire a été vigoureusement dénoncée par les avocats de la partie civile, notamment Me FARAMA et Me SOME. « La justice n’est pas ici pour la bonne marche des relations diplomatiques et politiques, mais pour faire éclater la vérité et la lumière et situer les responsabilités. Si des chefs militaires ivoiriens, généralissimes soient-ils, ont soutenu le coup d’Etat, ils doivent assumer leurs actes », ont martelé Mes FARAMA et SOME d’ajouter : « Ce que nous sommes en train de voir là nous inquiète beaucoup. Nous souhaitons qu’il n’y ait pas un jeu de cache-cache ici. Nous ne voulons pas d’un procès mouta-mouta ». La partie civile, dans cette dénonciation, a été soutenue par les conseils de l’accusé, qui estiment que le parquet ne s’est pas, outre mesure, inquiété des répercussions lorsqu’il citait certains journalistes et organes de la place, alors qu’il veut maintenant protéger certaines grandes figures de l’armée ivoirienne.
Après une pause de dix minutes pour statuer sur la question, le tribunal a estimé que le siège ne peut pas enjoindre au parquet sa manière de présenter ses éléments et que, par conséquent, celui-ci est libre de les présenter comme bon lui semble.
Quoi qu’il en soit, à la lumière des messages envoyés au colonel-major KIERE, il ressort que de grandes figures de l’armée ivoirienne comme le général Diomandé VAGONDO s’intéressaient fortement à l’évolution de la situation sécuritaire au pays des hommes intègres, née après l’arrestation des autorités de la Transition et la prise du pouvoir du CND. Dans un de ses messages, le général VAGONDO donnait des tactiques au colonel KIERE en vue de la consolidation du coup d’Etat. C’est au regard de la sensibilité de cet intérêt, qui pourrait s’apparenter à une injonction militaire étrangère, que le parquet se réserve de divulguer à ce procès certains éléments téléphoniques contenus dans le dossier.
Le colonel-major, pour sa part, affirme, la main sur le cœur, avoir travaillé à une sortie de crise apaisée. Selon lui, c’est facile de juger ou d’apprécier son comportement de l’extérieur du moment qu’on n’a pas toutes les informations. Et d’ajouter qu’il était impossible de s’opposer vigoureusement, au moment des faits, aux militaires putschistes, d’autant plus qu’ils disposaient d’un armement lourd. La meilleure solution était, selon lui, la négociation et la médiation, qu’il dit avoir du reste menées tout au long des évènements.
Candys Solange PILABRE/ YARO