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Crises sociopolitiques : « Quand on dit journaliste, il est perçu comme un acteur à part entière de ces crises » (Geoffroy Vaha, directeur de rédaction de WAT FM et 3TV)

geoffroyvaha« Avec les réseaux sociaux, le journaliste qui était le personnage central dans la diffusion de l’information devient par moments une personne qui se fait dépasser par d’autres acteurs. Et lorsque vous commencez à entrer dans une course folle, alors que vous n’avez pas les mêmes obligations, vous risquez de vous retrouver piégés », a indiqué le journaliste Geoffroy Vaha, directeur de rédaction de WAT FM et 3TV, dans cette interview sur le rôle de la presse en temps de crise qu’il a accordée à Radars Info Burkina.

Radars Info Burkina : Comment peut-on qualifier la crise sociopolitique que nous vivons au Burkina ?

Geoffroy VAHA : On est au moins dans une double crise. D’abord une guerre contre un terrorisme avec une expansion qui empêche le contrôle d’une bonne partie du territoire national. Il y a aussi la crise d’un coup d’Etat dans un coup d’Etat. Le contexte, il est celui de l’incertitude. Le MPSR qui est dans une sorte de recadrage, avec ce qu’il a qualifié de déviation avec Damiba, nous replonge dans des assises nationales qui devraient déboucher sur une charte nouvelle et la désignation d’un président. Donc la situation sécuritaire reste préoccupante mais même une crise peut constituer une opportunité pour peu qu’on prenne de bonnes décisions.

Radars Info Burkina : Est-ce que la presse Burkinabè a une part de responsabilité dans la survenue de cette crise que nous vivons ?

Geoffroy VAHA : Avant d’y arriver, parlons de la presse de façon générale. Notre rôle en tant que média ou journaliste a évolué dans le temps. A un moment donné de notre époque, on était de simples témoins des conflits. Maintenant quand on dit un journaliste, il est perçu comme un acteur à part entière de ces crises. Parce que nous sommes des témoins de l’histoire, nous racontons notre époque, nous réagissons aux évènements et nous reflétons les divers courants de l’opinion publique. Aujourd’hui les médias exercent une influence sur l’opinion publique, sur la vie politique, sociale, culturelle et économique. Pour ce qui est du cas burkinabè, il faut dire qu’on a une presse assez responsable et qui, dans l’ensemble, fait un travail assez remarquable. Une presse qui a permis aux populations de savoir les décisions prises par les autorités pour elles, de décrypter l’impact ou les enjeux possibles et aussi permettre aux dirigeants, pour peu qu’ils aient été un peu attentifs, d’entendre la perception de la masse pour ce qui est des différents choix qu’ils font. Cela a été un rôle que les médias burkinabè ont bien assumé. Mais pour parler de responsabilité, dans la crise, moi je parlerai plutôt du rôle des médias parce que c’est un acteur.

Radars Info Burkina : Pourtant certains disent que ce sont nos démissions passées qui nous rattrapent. Vue sous ce contexte, est-ce que la presse burkinabè n’a pas, par le passé, démissionné sur certains aspects de la vie politique au Burkina ?

Geoffroy VAHA : Non je pense que la presse burkinabè a été à tous les rendez-vous. Beaucoup de choses ont changé après Norbert Zongo, qui est un journaliste dont on connaît l’engagement. Aujourd’hui on pourrait citer des journalistes qui continuent de porter ce flambeau. Et on a une presse qui est assez diversifiée et cette pluralité d’offre aux téléspectateurs, aux lecteurs et aux auditeurs leur donne un bon panel de choix pour se faire une idée d’un certain nombre d’éléments. Néanmoins, c’est clair que rien n’est parfait, donc il y a des éléments qu’on doit parfaire. Mais quand on regarde bien on a une presse aujourd’hui où on a beaucoup de jeunes qui sont venus, mais pour peu que vous ayez cinq ans ou dix années d’expérience au Burkina Faso, vous avez déjà connu des éléments assez sensibles et ça, ça aguerrit notre presse.  

Radars Info Burkina : Sur la distribution de la parole, est-ce que la presse au Burkina ne pèche pas très souvent ?

Geoffroy VAHA : Il y a peut-être la nécessité de poser la question de la qualité des personnes qui interviennent sur les plateaux ou auxquelles on donne souvent la parole. Mais je crois qu’il y a là aussi un devoir de vérité qu’il faut avoir. C’est que la nature a horreur du vide. Je suis d’accord que par moments, on trouve sur certains plateaux des experts, des personnes qui sont montrées ainsi. Mais la réalité aussi pour moi, c’est symptomatique de ce que nous avons comme offre. Il y a aussi souvent la pluralité des médias que nous avons, qui se battent sur le même vivier d’experts ou de personnes-ressources que nous avons, c’est vraiment une bataille pour les avoir sur des plateaux. Et dans cela, il y a aussi la difficulté à convaincre par moments les uns et les autres de venir parce que certains sont craintifs ou assez réticents. Et comme je le dis, la nature souvent a horreur du vide, mais pour moi ce n’est pas une excuse pour qu’on aille prendre tout le monde ou n’importe qui et qu’on le brandisse comme un expert ou une personne-ressource. Ça fait que quelquefois on finit par fabriquer des personnes qui au fond, quand on regarde, ne sont pas à la hauteur. Et quelquefois ça biaise le débat. Mais quand c’est comme ça aussi il y a le retour du bâton, parce que la vocation d’un média, c’est d’être lu, d’être écouté, d’être vu. Et quand vous suivez des gens sur des plateaux et qu’à la fin on s’aperçoit qu’il n’y avait pas de substance, vous perdez forcément en audience et ça vous déconstruit. Donc c’est une obligation pour chacun d’être sélectif. Je ne dirai pas ne pas donner la parole à tout le monde, parce que c’est aussi biaiser l’approche, mais donner la parole aux personnes qui sont vraiment liées au sujet. Mais il faut aussi inviter les personnes qui ont la capacité, l’intelligence et la profondeur pour aborder ces sujets d’être ouvertes aux médias.

Radars Info Burkina : Parfois une Nation et l’extérieur peuvent être en guéguerre (l’exemple du Mali). Dans ces conditions, quelle doit être la position de la presse ?

Geoffroy Vaha : Sur ça il faut dire que c’est aussi une question de ligne éditoriale de chaque média. Ce qu’on voit souvent avec les médias occidentaux lorsqu’ils sont dans des genres de bagarres rangées avec d’autres pays, je ne sais pas s’il faut appeler ça de la com ou pas, mais on est dans une sorte de pensée unique où il y a le camp qu’ils ont choisi. Donc l’autre est diabolisé. Mais en même temps, vous verrez des presses indépendantes qui, elles, diront : attention, il faut dire un certain nombre de vérités, notre politique n’est pas forcément la bonne, donc ils relativisent. Et je crois que chacun se positionne selon la ligne qui est la sienne. Mais est-ce qu’il faut s’imbriquer dans une sorte de pensée unique qui est ce que la presse soutient ? Je ne crois pas que ce soit ce qui serve le plus les intérêts de ceux qui sont nos auditeurs, de ceux qui sont nos lecteurs tous les jours. Ils ont besoin d’avoir la vraie information, la bonne grille de lecture des décisions qui sont prises. Est-ce que mentir parce qu’on veut servir une certaine cause, c’est servir à la fin ? Je pense que c’est la question qu’il faut se poser. Notre rôle, c’est d’informer et cela va aussi avec une certaine sincérité. Mais en même temps on peut dire parce que nous sommes dans une situation de crise, qu’est-ce qu’on peut faire ? Le journaliste aussi a un rôle qui est celui de savoir apaiser. Et ça c’est des éléments qui sont possibles. Et quand je dis apaiser, vous pouvez avoir une approche qui est dans le ton de celui soit qui minimise ou qui amplifie. Et cela a servi dans plusieurs démocraties.

Maintenant pour revenir aux guerres entre pays, on a un exemple simple. Quand vous regardez la crise qu’il y a entre la Côte d’Ivoire et le Mali aujourd’hui, si les médias commencent à amplifier les choses, vous verrez que ce sont des lecteurs, qui sont des populations, qui commenceront à être remontés. Et ça peut être dangereux pour les Maliens qui vivent en Côte d’Ivoire ou pour les Ivoiriens qui vivent au Mali. Donc il y a quelquefois l’approche de l’apaisement qui peut continuer à se faire sur la véracité des sujets.

Radars Info Burkina : Avec les réseaux sociaux, l’information est difficile à recadrer. Quelles sont les difficultés auxquelles fait face la presse burkinabè dans ce cas ?

Geoffroy VAHA : Parlant des réseaux sociaux, je ne dirai pas qu’il s’agit d’un désavantage, mais plutôt d’un avantage à maîtriser et à savoir exploiter pour servir la typologie de média dans lequel vous êtes. Aujourd’hui toutes les presses ont leur prolongement sur les réseaux sociaux. Maintenant le journaliste, qui était le personnage central, devient par moments une personne qui se fait dépasser par d’autres acteurs. Et lorsque vous commencez à entrer dans une course folle, alors que vous n’avez pas les mêmes obligations, celle de recouper l’information, d’en avoir le clair mot et l’exactitude, contrairement à quelqu’un qui va lancer des alertes et qui trois fois dira des mensonges et pour une fois dira vrai, vous, journaliste, vous ne pouvez pas vous permettre cela. Si vous faites la guerre de la célérité avec les autres, vous risquez de vous retrouver piégé. Et c’est l’erreur souvent que commettent beaucoup de presses aujourd’hui. La solution dans ce contexte est que le média devait se positionner comme l’outil de vérification de l’information qui est donnée. On dira : j’ai vu ça sur la toile mais est-ce que tel média l’a relayé ? S’il ne l’a pas encore dit, il faut faire attention.

Radars Info Burkina : Autres difficultés de la presse burkinabè ?

Geoffroy VAHA : Nous avons les 20 millions de Burkinabè qu’on souhaite voir nous regarder ou nous écouter. Et le problème est qu’on se partage ceux qui sont les annonceurs parce que le modèle économique, c’est d’avoir un programme qui est intéressant et vendre quelques plages de programmes parce que vous êtes assez suivi. Mais il y a un marché qui est tellement fragmenté avec beaucoup de journaux qui sont créés qu’il est difficile dans ce modèle économique que beaucoup s’en sortent. Et dans ce cas de figure si le journaliste n’est pas bien traité, si le technicien n’est pas bien traité, ça va se ressentir sur son travail. Donc ça devient une limite objective dans ce qu’ils produisent chaque jour en termes de qualité.

Propos recueillis par Etienne Lankoandé