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Sanctions de la CEDEAO contre les pays en transition : « L’objectif principal, c’est d’amener ces États à repartir très rapidement dans l’ordre constitutionnel » (Oumarou Paul Koalaga, expert consultant en relations internationales)

sactnLa Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a allongé la liste des sanctions prises contre le Burkina Faso, le Mali et la Guinée. Le 19 février 2023, elle a décidé de maintenir les sanctions déjà prises et d’interdire aux membres du gouvernement de ces 3 pays de voyager dans l’espace CEDEAO. Cette décision n’est-elle pas de trop pour des pays déjà frappés par l’insécurité et dont les dirigeants sont en quête permanente de solutions pour sortir de la crise ? Est-ce une manière d’asphyxier le projet de fédération entre le Burkina la Guinée et le Mali ? Une équipe de Radarsburkina.net s’est entretenue avec Oumarou Paul Koalaga, diplomate de formation et directeur exécutif de l’Institut de stratégie et de relations internationales (ISRI), sur cette nouvelle décision de l’institution ouest-africaine.

Radarsburkina.net : Est-ce que les textes de la CEDEAO permettent d’empêcher un chef d’Etat, un membre de gouvernement ou un haut fonctionnaire d'un pays de voyager ?

Oumarou Paul Koalaga : Il faut préciser que les sanctions font partie du protocole principal et du protocole additionnel de la CEDEAO qui régissent cette organisation internationale d’intégration. On peut penser évidemment que ces sanctions sont assez dures et qu’elles ne sont pas justifiées. Mais elles sont connues d’avance par les Etats qui sont allés souverainement à ces organisations.

Les sanctions de la CEDEAO se font de façon graduelle. Si vous ne respectez pas les engagements que vous avez pris avec l’organisation internationale et que vous faites des blocages sur le processus de retour à l’ordre constitutionnel, il peut y avoir des sanctions beaucoup plus lourdes. Il y a des sanctions qui peuvent cibler les autorités dont on pense qu’elles font obstacle à l’avancée du processus. Là, je pense évidemment au Premier ministre du Burkina, celui du Mali et de la Guinée. On peut penser également aux ministres des Affaires étrangères de ces trois États qui, récemment, ont entretenu de bonnes relations entre eux, mais qui, dans leurs propos, peuvent avoir montré une certaine défiance vis-à-vis de la CEDEAO. Mais l’objectif principal, c’est d’amener ces États à repartir très rapidement dans l’ordre constitutionnel en montrant des signes d’une volonté réelle de respecter les agendas.

Radarsburkina.net : Cette décision n’est-elle pas de trop pour des pays frappés par l’insécurité et dont les dirigeants sont en quête permanente de solutions pour sortir de la crise ?

OPK : À priori, on peut penser que ces sanctions sont assez dures pour des États dans une situation d’insécurité. Mais l’insécurité du pays ne dissout pas le fait que nous soyons dans une situation dans laquelle la remise en cause de l’ordre constitutionnel constitue pour la CEDEAO, qui est l’organisation régissant ses rapports avec ses États et qui, dans son mandat, fait la promotion de la démocratie et de la bonne gouvernance.

Si on doit tenir compte du fait que la situation d’insécurité peut justifier le fait qu’on reste ou qu’on ne montre pas une bonne volonté de repartir, ça va être assez compliqué. Là, c’est une façon de mettre la pression sur ces États afin qu’ils respectent leurs engagements, surtout qu’il y a eu de façon consensuelle un calendrier qui a été défini avec des délais assez précis mais que la CEDEAO constate que ces dirigeants montrent ces derniers temps des signes de ne pas vouloir respecter ces agendas.

Radarsburkina.net : N’y a-t-il pas une sorte d’hypocrisie d’autant plus que le président en exercice de la CEDEAO, Umaro Sissoco EMBALO, lors de sa visite le 11 janvier 2023 au Burkina, déclarait que l’esprit de la CEDEAO n’est pas de sanctionner ni d'imposer mais d’accompagner tous les pays qui sont en transition ?

OPK : Je ne pense pas qu’il y ait une sorte d’hypocrisie. Bien au contraire, je pense que dans l’opinion, on a toujours l’impression que la CEDEAO a pour objectif de sanctionner lorsque notamment des coups d’État interviennent. Loin de là ! On sait bien que les sanctions surviennent lorsqu’il y a des entraves au processus où qu’il y a un manque de volonté des autorités de retourner à l’ordre constitutionnel. Mais lorsqu’il y a une situation de rupture de l’ordre constitutionnel, la CEDEAO fait des démarches auprès des États, essaie d’écouter les justifications et voir comment les accompagner à revenir dans l’ordre constitutionnel s’ils sont disponibles. Mais si elle constate qu’il y a manifestement des agendas cachés, évidemment les sanctions sont brandies pour mettre la pression d’abord sur les dirigeants, éventuellement si les choses perdures à brandir des sanctions plus robustes, par exemple, les fermetures de frontières avec les États membres, les sanctions économiques et financières qui, quelque part, font plus de tort aux populations qu’aux dirigeants.

Radarsburkina.net : Est-ce que cette interdiction n’est pas une manière d’asphyxier le projet de fédération entre le Burkina, la Guinée et le Mali ?

OPK : Je ne sais pas s’il y a un rapport direct entre le fait que ces trois États veuillent aller dans une sorte de fédéralisme ou avoir une meilleure organisation entre eux et les sanctions qui ont été prises. Je pense qu’effectivement, lorsqu’ils se sont rencontrés, on a senti une volonté quelque part de remettre en cause un certain nombre de dispositions sur les demandes par rapport à leur situation. C’est légitime. Le fait que ces pays développent ensemble des initiatives ou des projets pour aller dans le sens d’une meilleure collaboration peut ne pas gêner la CEDEAO. Mais lorsque cela donne l’impression que c’est pour défier l’organisation, évidemment ces sanctions vont conduire à armaturer le projet, à réfléchir plus d’une fois, à se demander si ce projet idéal soit-il légitime, est-ce le moment dans ce contexte actuel de mettre cet agenda en même temps que les objectifs immédiats et priorités qui sont les leurs dans cette période de transition.

Radarsburkina.net : Que peuvent faire les peuples des trois pays qui certainement payeront un lourd tribut à cette situation ?

OPK : Lorsqu’il y a des sanctions, ce sont les populations qui paient un lourd tribut comme la fermeture des frontières, le gel des comptes au niveau de la banque centrale. Cela peut avoir des effets sur la vie socio-économique des populations. Mais le plus important, c’est de comprendre au niveau des épreuves que nous sommes dans une situation de transition suite à des coups d’Etat.

Il faut que les populations comprennent que les sanctions sont des décisions qui surviennent lorsqu’un pays se retrouve dans des situations de blocage parce que aujourd’hui dans l’opinion, on voit une CEDEAO un peu différente, comme si elle était un anti-acte des États alors que ce sont des États souverains qui l’ont créée avec des mandats et des objectifs très précis.

Flora Sanou