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Dialogue avec les terroristes : > Mahamoudou SAVADOGO, spécialiste en questions sécuritaires

aasawdgLe ministre de la Cohésion sociale et de la Réconciliation nationale  avait appelé au dialogue avec les terroristes pour venir à bout de l’hydre terroriste. Cependant, le 12 août 2022, lors d’un point de presse du gouvernement, il disait :<< Nous ne sommes pas en train de négocier pour dire voilà ce que nous donnons, voilà ce que nous recevons, voilà ce que nous cédons. Il n’y a pas à déposer quelque chose sur la table>>. Face à ce paradoxe, Mahamoudou SAVADOGO, spécialiste en questions sécuritaires, a accordé une interview à Radars Info Burkina. L’interview est axée sur un probable dialogue avec les terroristes pour qu’ils déposent les armes. Est-ce possible ? L’État ne montre-t-il pas son incapacité à en finir avec le terrorisme ? Quelle attitude doit-il adopter s’il veut parvenir à mettre fin au terrorisme ?  Les réponses à ces questions, dans l’interview.

 

Radars Info Burkina : En tant que spécialiste des questions sécuritaires, est-ce possible de dialoguer avec les terroristes ?

Mahamoudou SAVADOGO : Oui il est possible de dialoguer avec les terroristes mais cela dépend du niveau où l’on veut dialoguer avec ces derniers. Est-ce les bras armés des terroristes qu’on vise ou ce sont leurs chefs c’est-à-dire les leaders ?

S’il s’agit des bras armés, le dialogue est possible parce que plusieurs personnes se sont engagées dans des groupes armés terroristes par contrainte ou par désespoir parce que non seulement l’État a été absent, il n’a pas  joué son rôle, parce que l’État a pris des mesures qui ont contraint ces personnes à rejoindre les terroristes.

Ces mesures sont par exemple la fermeture des marchés, l’interdiction  de circuler avec les motos de type Aloba et l’interdiction d’exploiter les ressources minières.

Il y a aussi, le fait que les groupes armés terroristes ont occupé certaines zones et ont contraint les populations à collaborer avec eux. Ce qui fait qu’aujourd’hui, il y a des gens qui ont rejoint les terroristes non pas par conviction, mais par contrainte.

Donc on peut essayer de ramener ces personnes. Mais il y a ceux là aussi qui ont rejoint les terroristes pour des questions d’injustices, parce qu’ils en veulent à l’État. On parle ici de destruction armée locale.

Si l’État revoit sa manière d’administrer les zones rurales, on peut récupérer une grande partie des gens qui ont basculé dans les groupes armés terroristes.

Si c’est au niveau macro c’est-à-dire décisionnel, ce serait compliqué parce que ces groupes sont une coalition de groupes armés. Ils ont des intérêts différents. Donc, ce n’est pas  évident que l’État puisse satisfaire à eux tous leurs intérêts.

C’est comme l’ensemble des pays du G5 Sahel, pour signer un accord il faut que les cinq pays participent. C’est la même chose pour les groupes armés qu’on appelle l’EGNI.

Au niveau international c’est l’EIGS, un groupe armé terroriste dans le grand Sahara qu’on appelle l’État Islamique au Grand Sahara qui a une vision différente, une vision qui d’ailleurs ne pourra jamais recevoir l’aval des autorités parce qu’elle prône un califat sur le territoire burkinabè et sur le territoire sahélien. Ainsi, au niveau macro ce serait difficile. Mais au niveau méso, c’est-à-dire au niveau des petits acteurs notamment ceux qui sont armés, c’est possible.

Radars Info Burkina : La télévision nationale a fait un reportage  où nous avons vu des personnes qui disent avoir déposé les armes et se retirer du camp des ennemis. Elles se sont exprimées sur les modes opératoires des terroristes avec tout le corollaire qui entre en jeu. Etait-ce le moment propice pour faire cette communication ( le reportage sur les terroristes convertis) ? Cela ne va-t-il pas inciter à la révolte ceux qui sont toujours du côté de l’ennemi vu que leurs secrets vont être dévoilés ?

MS : L’objectif du gouvernement, c’est de faire  appel à ces groupes armés terroristes pour que ceux qui  n'ont pas encore confiance, puisse être convaincus de la bonne foi du gouvernement afin de déposer les armes.

Ce sont des jeux de phare, de clignotant que le gouvernement lance en disant à ceux qui sont toujours dans le rang des groupes armés et qui voudraient déposer les armes, qu’il y a une structure, une fenêtre d’opportunités qu’ils doivent saisir pour rejoindre la mère patrie.

Dans ce sens, je pense que c’est une bonne stratégie pour rapatrier ceux qui veulent vraiment rejoindre parce qu’on leur a ouvert une porte pour qu’ils puissent revenir.

Paradoxalement, ils peuvent continuer à tuer ceux qui hésitent. Ce qui veut dire qu’en leur sein, il y aura des dissensions, des doutes, des représailles et cela arrangerait le gouvernement parce que les groupes locaux seront déstructurés.

Ça peut être une bonne stratégie mais à la longue, il va falloir qu’on mette en place une structure solide avec des gens compétents, qui sont expérimentés, sans parti pris, sans politique et aussi avec des gens sages qui sont disponibles à écouter.

Il faut impliquer les érudits, c’est-à-dire  les grands sages, les imams, les prêtres, etc.) tous ceux qui peuvent contribuer à déradicaliser  ces jeunes.

A ce sujet, le ministre de la Réconciliation nationale, Yéro Boly,   informait le 12 août 2022,  que <<des dizaines de comités de dialogue ont été installés à travers le pays et des anciens combattants terroristes ont été déradicalisés>>.

Radars Info Burkina : Ces reconvertis ont-ils du poids pour impacter la baisse du phénomène ?

MS : Je ne pense pas que ces reconvertis ont le poids pour convaincre les autres qui sont toujours du côté des groupes armés.

Il faut encore de la patience pour que cela puisse avoir lieu. C’est une lutte de longue haleine, donc il faut prendre tout le temps nécessaire pour que cela ait un impact sur les autres.

Radars Info Burkina : Peut-on croire en la sincérité de ces soi-disant reconvertis ? Ne peuvent-ils pas entrainer des infiltrés avec eux ?

MS : C’est le temps qui permettra de juger s’ils sont de bonne foi ou pas. C’est le temps qui va permettre de dire est-ce qu’ils ont vraiment voulu se reconvertir ou ce sont des gens qui veulent s’infiltrer pour mieux comprendre les dispositifs qui ont été mis en place.

C’est pour cette raison qu’il faut la participation des érudits car dans le message passé on a dit que c’était une question de religion, de fuite, de manque de ressources économiques.

Ainsi, au niveau des religions, il faut que les prêtres, les imams discutent avec eux pour les reconvertir complètement. S’ils ne sont pas convaincus, ils vont être plus enclins à rejoindre ces groupes armés terroristes.

 Il ne faut pas seulement les mettre dans un local et s’occuper d’eux. Il faut aussi leur trouver de quoi faire mais aussi travailler avec eux psychologiquement afin qu’on puisse trouver des résultats à long terme et qu’on puisse effacer tout ce qu’ils ont accumulé pendant toutes ces années au sein des groupes armés terroristes car on ne quitte pas ces groupes du jour au lendemain. On a toujours tendance à revenir.

Radars Info Burkina : L’Etat ne montre-t-il pas son incapacité à en finir avec le terrorisme ?

MS : L’État fait profil bas et adopte une stratégie qui est un peu étonnante en ce sens que nous ne sommes pas en position de force.

Lorsque qu’on n’est pas en position de force et qu’on tente de négocier, on donne l’impression à l’adversaire qu’effectivement, on n’est pas en situation de force. Cela peut amener l’adversaire à être retissant et ça peut ouvrir des failles. Il va falloir que nous continuions à accentuer les luttes, les frappes et aussi à récupérer les zones perdues.

Ainsi, c’est une preuve que nous sommes à égalité ou supérieurs et donc on peut combattre avec ces terroristes et qu’on peut même les vaincre.

Mais pour l’heure, la situation est à leur avantage car c’est eux qui imposent leur rythme et nous ne faisons que suivre ce rythme.

Radars Info Burkina : Quelle attitude l’Etat doit adopter s’il veut réellement mettre fin à ce fléau?

MS : Si l’État veut mettre fin à ce fléau, il faut qu’il ait une attitude de vérité, d’humilité vis-à-vis des populations rurales qui souffrent. Tant que nous n’allons pas communiquer de façon claire, véridique avec les populations qui souffrent, on n’aura pas leur accord, leur assentiment.

Il faut que les populations qui sont impliquées, qui souffrent de cette situation aient la compassion de l’État. Cette compassion réside dans le fait que l’État doit reconnaître que ces populations souffrent et qu’il ne fait pas assez pour qu’elles puissent vivre en quiétude.

L’État doit arrêter de divulguer des propagandes. Il  doit faire un diagnostic clair, froid  de ce qui se passe dans ces zones et dire la vérité afin que ces populations puissent elles-mêmes prendre  des mesures pour l’aider à atteindre ses objectifs.

 Mais si l’État continue de dire que l’armée monte en puissance, que les autorités interviennent, qu’elles mènent des actions, et que la situation est améliorée alors qu’elle n'est pas claire cela fait qu’il y a une crise de confiance entre ses populations et lui.

Cela va faire basculer ces populations du côté des groupes armés terroristes.

Par conséquent, il faut un langage de vérité, l’implication de toutes les franges de la société. Il faut restaurer ces facteurs de résilience endogènes qui ont été complètement détruits ou dissous par les groupes armés terroristes, c’est-à-dire restaurer cette chefferie qui était impartiale, restaurer des leaders communautaires et religieux qui arrivaient à déconstruire le discours de ces terroristes.

 Il est très important que tout cela soit reconstruit  et cela prendra des années, donc il faut être patient. Mais pour le moment, il faut intensifier les attaques, intensifier l’équipement des forces de défense et de sécurité. Il faut également un langage de vérité. Il faut arrêter de mentir, de  verser dans la propagande, car cela dessert l’État.

Flora Sanou