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Détournement des médicaments subventionnés : La face hideuse de la gratuité des soins au Burkina Faso

détournément uneLe gouvernement du Burkina Faso a adopté, le 2 avril 2016, la politique de gratuité des soins de santé des enfants de moins de cinq ans et des femmes enceintes. Des moyens financiers, des produits pharmaceutiques et du carburant accompagnent la mesure, qui a coûté en 2017 à l’Etat 30 milliards 184 millions 380 mille 129 F CFA. Malgré ces moyens injectés pour réussir cette politique et soulager les populations, les bénéficiaires supposés sont souvent rackettés par les agents de santé. Ainsi, dans son rapport 2018 sur les présomptions de corruption et pratiques assimilées dans le système et les services de santé au Burkina Faso, le Réseau national de lutte anticorruption (REN-LAC) mentionne que des médicaments qui devaient être prescrits gratuitement aux femmes éligibles à la mesure de gratuité leur sont vendus.

25% de la population est concernée par le système de gratuité de soins de santé : il s’agit des enfants de moins de 5 ans, des femmes enceintes, des femmes en per, post-partum, des femmes vivant avec une fistule obstétricale, des femmes âgées de 25 à 55 ans. Ces personnes bénéficient des accouchements et interventions obstétricales, des soins préventifs et curatifs pendant la grossesse, des soins curatifs de l’enfant de 0 à 5 ans et des dépistages et traitements in situ des lésions précancéreuses du col de l’utérus.

Si la subvention des frais d’accouchement a induit des changements dans la position des femmes au sein de la cellule familiale et que l’impact de la mesure s’est fait ressentir jusqu’aux indicateurs des services de santé, qui se sont améliorés, des insuffisances sont tout de même à signaler dans sa mise en œuvre. Dans son étude 2018 sur les présomptions de corruption et pratiques assimilées dans le système et les services de santé au Burkina Faso, le REN-LAC met le doigt où la blessure est toujours ouverte : la mesure de gratuité des soins est souvent mise à mal par le comportement indélicat de certains agents de santé qui, tels des sangsues, pressurent sans vergogne les populations pour améliorer leur revenu. En effet, de cette enquête il ressort que des médicaments qui auraient dû être prescrits gratuitement aux femmes éligibles à la mesure de gratuité leur sont en réalité vendus. « Un jour, j’ai pris une sage-femme en flagrant délit. On m’avait appelé en urgence pour une femme. Quand je suis arrivé, j’ai surpris la sage-femme en train de discuter avec l’accompagnante de la femme. Cette dernière dénouait son pagne pour lui remettre de l’argent. Elle voulait acheter une sonde à aiguille que la sage-femme enlevait de son armoire, alors que ça, c’est l’Etat qui l’a donné pour qu’on le mette à la disposition des malades gratuitement… Elle avait une armoire métallique avec beaucoup de produits qu’elle écoulait. Donc, j’ai appelé un serrurier qui est venu casser la serrure de l’armoire. Le montant total des produits pharmaceutiques a été évalué à plus de 1 500 000 FCFA », a déclaré un gynécologue pendant l’enquête. Tout comme les déclarations de cet agent de santé, d’autres faits mentionnés dans le rapport de l’enquête montrent à suffisance cette face hideuse de la gratuité des soins. En effet, des détournements des médicaments destinés à la mesure de gratuité ont aussi été constatés par le REN-LAC pendant son étude : un Préparateur d’Etat en pharmacie (PEP) d’un district sanitaire a détourné dans le dépôt pharmaceutique de ladite formation sanitaire un important lot de médicaments destinés à la gratuité des soins qu’il a envoyés via les transporteurs à Bobo Dioulasso. Un infirmier de l’hôpital Souro-Sanou les a récupérés sur place, et au moment du convoyage au moyen d’un tricycle vers une destination de stockage probable, des agents du Service régional de la police judiciaire (SRPJ) en patrouille ont mis le grappin sur lui. La quantité de médicaments est évaluée à 13 000 000 FCFA. Le PEP et l’infirmier  ont été envoyés devant le procureur depuis et une information judiciaire est ouverte contre eux. Le groupe a plaidé coupable. Pour le PEP, il s’agit de médicaments pour « dépanner » son ami d’un autre district qui en avait besoin. Les investigations du réseau ont permis de savoir que ni son supérieur immédiat, en l’occurrence le pharmacien de district, ni le pharmacien régional des Hauts-Bassins n'étaient au courant de cette affaire de dépannage. De l’avis du directeur régional de la Santé des Hauts-Bassins, « ça ne se gère pas entre opérationnels. S’il y a pénurie dans un district, il n’appartient pas à un PEP de la régler ».

détournement 2A noter que dans le cadre de cette politique de gratuité des soins, des médicaments comme l’Artésun 60mg injectable, dont l’acquéreur au niveau central est le ministère de la Santé à travers la Centrale d’achat de médicaments essentiels génériques (CAMEG), utilisé pour les malades de 0 à 5 ans, coûte 100 francs CFA. L’appât du gain a imposé à des receleurs de le revendre à 5 000 FCFA. Les agents indélicats appréhendés à Bobo se faisaient ainsi des millions par semaine sur le dos des malheureuses populations. Fort heureusement, selon Claude Wetta et ses pairs du REN-LAC, le traçage du médicament en jeu a permis de retrouver l’Artésun dans la dotation d’une pharmacie privée du Burkina. Ce médicament avait été prélevé par un agent de santé dans la dotation de la pharmacie dont il avait la gestion.

Un autre phénomène dans les dépôts publics détecté par le REN-LAC et qui fait entorse à la mesure de gratuité est la vente des médicaments destinés aux indigents. En effet, l’étude fait ressortir que des infirmiers chefs de poste (ICP) mettent les médicaments destinés à la gratuité dans le circuit de vente du dépôt MEG du centre de santé dont ils sont responsables, tout en notant dans leur rapport financier que ces médicaments ont été donnés gratuitement aux indigents. « L’autre problème que j’ai remarqué dans la gestion des dépôts publics concerne les dotations pour les indigents financés par le budget national. Ces dotations font l’objet de deals de la part des infirmiers et de leurs gérants. Parce qu’en réalité, ils placent ces produits dans le dépôt, ils les revendent et font des rapports de prise en charge gratuite des personnes », a expliqué un pharmacien enquêté.

Le REN-LAC révèle aussi des ordonnances fictives qui sont établies par certains agents de santé pour se faire servir des médicaments qui seront plus tard utilisés à d’autres fins. « Mieux, c’est la prescription de médicaments en excès sur des ordonnances qui est pratiquée pour récupérer plus tard le surplus », souligne le réseau de lutte contre la corruption, qui illustre cette réalité par ces déclarations : « Je pense que franchement la gratuité, c’est une bonne chose mais côté contrôle c’est nul. Tu vois, n’importe qui peut prendre la fiche et mettre un médicament et puis on sert, il n’y a aucun contrôle. Moi, je peux indiquer une césarienne et puis…, comme on travaille en équipe, tu vas voir un membre de l’équipe peut marquer par exemple dix lames de bistouri, vingt flacons de soluté. On n’a pas besoin d’autant de flacons de soluté. Evidemment, ils retirent le surplus plus tard. Donc en hospitalisation ici, les gens, quand ils ont besoin d’un médicament, peuvent prendre une fiche, la remplir et puis ils sont servis. Ça, ce sont des pratiques courantes », confie un gynécologue de la maternité d’un des CHU enquêtés. La même idée se retrouve dans cet entretien, quand l’interviewé dit : « D’autres agents font des surfacturations sur les ordonnances de la gratuité. Ils font des ordonnances qui dépassent et ils récupèrent le surplus de produits pour le revendre à d’autres personnes. Voilà, c’est surtout ça, ces aspects-là, l’augmentation de la taille de l’ordonnance pour récupérer le surplus après ».

Pour Claude Wetta et ses camarades, ces différentes astuces des agents de santé pour s’enrichir de façon illicite sont très fréquentes dans les centres de santé et connues des premiers responsables du système de santé. Ils en veulent pour preuve cette déclaration d’un des responsables de la mise en œuvre de la gratuité des soins en mars 2018 lors de la quatrième rencontre-bilan de mise en œuvre : « Dans certaines formations sanitaires, des bénéficiaires continuent de contribuer financièrement pour des soins qui devaient être faits  gratuitement. Les responsabilités sont situées à plusieurs niveaux de détournement 3la chaîne d’approvisionnement ». Pour le REN-LAC, c’est un aveu qui montre qu’au plus haut niveau, les autorités sont bien imprégnées des ventes parallèles, des surfacturations et des détournements de médicaments.

Tous ces constats sur le terrain font conclure au réseau que près de deux ans après les mesures de gratuité, il n’y a toujours pas de réelle réduction de la corruption et des pratiques assimilées dans le système de santé burkinabè. Les autorités du ministère de la Santé seraient-elles impuissantes devant le phénomène, laxistes, complices ou les trois à la fois ? La question mérite d’être posée si l’on s’en tient à ce lièvre levé par le REN-LAC.

Candys Solange Pilabré/ Yaro