Ce 30 novembre 2018, 4e jour de son interrogatoire dans le cadre du procès du coup d’Etat du 16 septembre 2015, le général Gilbert Diendéré était de nouveau face au parquet militaire pour ses questions et observations. Cet ancien chef d’état-major particulier de la présidence du Faso est resté fidèle à sa ligne de défense depuis le début de son audition. Tout en maintenant qu’il a assumé une situation à un moment donné, il soutient et répète que le commandement militaire, avec à sa tête le général Pingrenoma Zagré au moment des faits, s’est emmuré dans un silence complice qui rimait avec soutien à son égard au cours des évènements du 16 septembre 2015. Cette thèse a, tout au long de l’audience du jour, été démontée pièce par pièce par Alioun Zanré et ses pairs du parquet militaire.
« Quand on refuse, on dit non », a écrit Ahmadou Kourouma. Cette volonté manifeste de la hiérarchie militaire de s’opposer à la prise en otage de la Transition montre clairement, selon le général Gilbert, que le général Pingrenoma Zagré et ses pairs de la hiérarchie militaire accompagnaient l’action des éléments de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle. Pour lui, cela est d’autant plus vrai qu’ils n’ont pas manifesté leur désaccord lorsqu’il a été décidé qu’il assumerait l’action. « Quand un homme n’est pas d’accord, il dit non. Dès le 16 septembre 2015, il n’y avait pas une volonté manifeste de la hiérarchie de s’opposer à quoi que ce soit, car il aurait fallu qu’une seule roquette, à l’instar du bombardement du camp Naaba Koom II le 29 septembre 2015 ait été envoyée dans la nuit du 16 audit camp et les choses ne se seraient pas passées comme cela », soutient-il. Mais pour le parquet militaire, le rapport de force était en défaveur de ladite hiérarchie, car elle n’avait pas les moyens de s’opposer frontalement au général dans sa volonté de prendre le pouvoir. Ce que conteste vigoureusement cet officier supérieur qui estime qu’il était inoffensif, car sans hommes sous sa coupe, alors que le commandement avait pour lui toute l’armée et pouvait donc en disposer comme il le voulait. « Dire que la hiérarchie militaire n’avait pas les forces et les moyens, c’est archifaux. L’armement qui a bombardé le camp Naaba Koom II n’est pas sorti du RSP, mais des autres garnisons. En 1987, les gens n’avaient pas la force de s’opposer, mais ils ont clairement dit non, car ils n’étaient pas d’accord ; pourtant en 2015, le rapport de force était du côté de ceux qui disent aujourd’hui avoir dit non dans leur cœur et n’ont pas eu le courage de le dire ouvertement », a-t-il argumenté.
A l’instar de l’après-midi de l’audience du mercredi 28 novembre 2018, le natif de la province du Passoré a été confronté à la déclaration d’apaisement produite par la hiérarchie militaire afin de le contraindre à reculer. En effet, le parquet estime que si le président du Conseil national de la démocratie (CND) avait réellement eu l’intention de remettre le pouvoir aux autorités de la Transition le 19 septembre 2015, comme il le prétend à la barre, la hiérarchie militaire ne se serait pas donné la peine de négocier avec lui le 21 septembre 2015 à travers la déclaration d’apaisement qui stipulait, entre autres, que le général devait de nouveau se soumettre à l’autorité du commandement militaire. En outre, cette volonté de la hiérarchie militaire de contraindre le président du CND à se soumettre à l’autorité de l’armée était, selon le parquet, une manière explicite pour elle de contester le statut du président du CND en tant que président du Faso, chef suprême des armées. A ces observations du parquet, le général de brigade dit lui-même ne pas comprendre pourquoi un tel document lui a été envoyé par le commandement, eu égard au fait que tout ce qui y était noté se trouvait dans le préaccord des chefs d’Etat de la CEDEAO qu’il avait accepté sans rechigner. « Tout ce qui était écrit dans le document envoyé par la hiérarchie avait déjà été discuté et amendé avec la médiation de la CEDEAO. Je ne comprends donc pas pourquoi elle m’a envoyé ce document eu égard au fait que c’était déjà un acquis », a-t-il souligné. Cette explication du général n’a nullement convaincu Alioun Zanré et ses pairs qui estiment, à la lumière des déclarations du Premier ministre Yacouba Isaac Zida contenues dans le dossier, que celui-ci n’a pas été libéré le 18 septembre 2015 avec ces codétenus ministres, car il servait en réalité « d’assurance » afin qu’on ne bombarde pas le camp. Ce que réfute le mis en cause, qui soutient que c’est le Premier ministre qui avait refusé d’être libéré, car il voulait rester avec ces camarades du RSP.
A l’audience de ce jour, le parquet est aussi revenu sur les 85 millions de francs CFA que le président du CND a reconnu avoir donnés aux éléments du RSP le 29 septembre 2015. Si l’intéressé affirme que ce geste avait pour but d’aider les hommes à regagner sereinement leurs nouveaux lieux d’affectation en raison du fait que la majorité était sans argent à cause de la fermeture des banques due à la situation sécuritaire de l’époque, le parquet, lui, estime que cet argent a été donné en réalité dans le but d’inciter les hommes à resserrer les rangs derrière lui, à ne pas quitter le camp et à faire front contre ceux qui s’obstinaient à ne pas accepter son nouveau pouvoir. Il dit avoir des éléments audio versés dans le dossier qui confortent son point de vue. « Je n’ai pas voulu laisser les hommes partir tout simplement. Beaucoup de militaires n’ont pas eu le temps d’aller retirer leur argent en banque. En plus, il a été demandé aux soldats de quitter le camp brusquement. Je n’aimerais plus revenir sur cette question de 85 millions. J’ai honoré une promesse que j’avais faite. Un point, c’est tout. Si les choses s’étaient passées normalement, je n’allais pas avoir besoin de mettre de l’argent personnel dans cette affaire », déclare-t-il.
Le parquet a également, au cours de cette audience, fait cas d’une interview que le général a accordée au journaliste Serge Oulon du journal « Courrier Confidentiel » le lendemain des évènements et dans laquelle il reconnaissait à demi-mot que faire le putsch à quelques jours des élections était une erreur. Pour Alioun Zanré et ses pairs, cette interview charge davantage le général, car montrant son degré d’implication et de culpabilité. Mais pour la défense du général, cette interview ne saurait servir d’élément de preuve contre son client, car ne figurant pas dans le dossier. Après une brève tractation entre la défense du général et le parquet sur l’interprétation de l’article 427 du Code pénal, relatif à l’établissement et à la liberté de preuves dans un procès pénal, le président du tribunal a estimé que le parquet ne pouvait plus brandir cet élément à charge ou à décharge tant qu’il ne serait pas versé dans le dossier.
Le parquet, lors de son intervention de ce jour, n’a pas manqué de monter son désaccord avec les affirmations du général qui font état de la mauvaise instruction du dossier du putsch qui ne permettrait pas de connaître les vrais auteurs des meurtres, car des études balistiques n’ont pas été faites. Pour lui, au regard des dispositions du Code pénal, dans les crimes de masse, la responsabilité se dédie des circonstances. A cela, le général a rétorqué qu’il n’a fait que donner son appréciation personnelle et son ressenti sur le déroulement du procès.
L’interrogatoire du général se poursuit le lundi 03 décembre 2018 au tribunal militaire de Ouagadougou, délocalisé pour la circonstance à la salle des banquets de Ouaga 2000.
Candys Solange Pilabré/Yaro et Armelle Ouédraogo