Débuté hier, l’interrogatoire de Léonce KONE, 2e Vice-président du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP), s’est poursuivi mercredi 17 octobre 2018 au Tribunal militaire de Ouagadougou. Même si ce dignitaire de l’ex parti au pouvoir affirme que son parti au regard de la politique d’exclusion et anti-démocratique opérée par la Transition était pour la mise en place d’une autre Transition avec un civil à la tête afin de parvenir à des élections inclusives et démocratiques, il soutient tout de même que le CDP, ni ses leaders n’ont posé aucun acte à conforter le coup d’Etat et le Conseil national de la démocratie (CND), organe des putschistes.
Complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat, coups et blessures volontaires sont les deux chefs d’inculpation pour lesquels Léonce KONE, 70 ans, 2e Vice-président du CDP est poursuivi dans le cadre des évènements du 16 septembre et jours suivants. Mais comme la plupart de ses co-accusés, cette grande figure de l’ex parti au pouvoir ne reconnait pas les faits qui lui sont reprochés.
Toutefois, il assume devant le tribunal du juge Seydou OUEDRAOGO, le fait que son parti ait demandé à ses militants de se mobiliser massivement dans les endroits où devaient se trouver les chefs d’Etat de la CEDEAO, venus pour décanter la situation née du renversement du pouvoir par le Conseil national de la démocratie (CND), dirigé par le général Gilbert DINDERE afin que ceux-ci sachent à suffisance que l’autre bord de la population est pour des élections inclusives et démocratiques, donc contre les méthodes et la politique impulsée par la Transition. Mais il précise que le CDP n’a jamais ordonné à ses militants et sympathisants d’exercer des violences sur ceux qui s’en prenaient au parti depuis l’insurrection populaire d’octobre 2014 qui a vu le départ de leur mentor Blaise COMPAORE. Ce qui pour lui n’était pas le cas au niveau du camp adverse. « Il y a eu des violences de la part et d’autres. Nous n’avons pas organisé de violences. Ce ne sont pas dans nos habitudes. Ce qui n’est pas le cas pour nos adversaires qui depuis octobre 2014, exerçaient des violences sur nous », note l’accusé qui s’indigne par ailleurs du fait que seules les violences et les exactions commises par les pro-CDP sont brandies et punies au détriment de celles commises par l’autre camp.
Tout comme Pilate avec la crucifixion de Jésus Christ, Léonce KONE, cette « grosse tête » du CDP au moment du coup d’Etat se lave les mains des violences qui sont imputées à ses militants, car ayant appelé à des manifestations pacifiques afin que leurs revendications fassent bonne presse et aient de ce fait, un écho favorable de la part des médiateurs venus à Ouagadougou pour trouver des solutions pérennes. Mais pour le parquet militaire, il partage la responsabilité de ces violences, car ayant ordonné les manifestations qui les ont occasionné. « En tant qu’initiateur de ces manifestations, vous êtes responsables de ces violences », a martelé Alioune ZANRE et ses paires.
En outre, pour le parquet, ces manifestations visaient à conforter le coup d’Etat, d’autant plus que la déclaration de soutien du CDP avait le même fond que la déclaration de naissance du CND. Mais pour le sexagénaire, de cette ressemblance, il n’y a rien à tirer comme conséquences, car la situation politique du Burkina Faso au lendemain de l’insurrection populaire d’octobre 2014 était connue de tous. Ce qui pour lui ne signifie donc pas que le CDP était complice du coup d’Etat. « Nous n’avons pas fait de coup d’Etat. Nous n’en sommes pas les commanditaires, ni les complices, mais nous étions pour une autre Transition avec à sa tête un civil qui conduirait à des élections inclusives et démocratiques. Personnellement, j’étais favorable qu’il y ait un changement de régime sous la houlette du dialogue mené par la CEDEAO », s’est-il défendu.
Pour les avocats de la partie civile, notamment pour Me FARAMA, il y a u paradoxe avec la déclaration de soutien du CDP au CND, car des heures avant la publication de cette déclaration, les chefs d’Etat de la CEDEAO, après les pourparlers avec tous les acteurs politiques avaient demandé au CND de remettre le pouvoir aux civils. Mais pour Léonce KONE, la déclaration du CDP ne visait pas à conforter le pouvoir des putschistes, mais à clarifier leur point de vue face à la situation qui prévalait depuis octobre 2014, afin qu’il n’y ait aucune ambigüité sur ce que voulait la partie exclue par la Transition de cette sortie de crise. « Nous n’étions pas obnubilés du sort du CND. Notre objectif n’était pas non plus de conforter le pouvoir du CND », a-t-il précisé
Autre élément à charges contre Léonce KONE brandi par le parquet militaire et les avocats de la partie civile, est le transfert de cinquante millions (50 000 000) de francs CFA de la Côte d’Ivoire par le chef d’Etat-major particulier de la présidence ivoirienne, le général Diomandé VAGONDO héliportée en terre burkinabè avec du matériel militaire pour les putschistes. Pour le parquet, cette somme est de l’argent mobilisé d’urgence en terre ivoirienne grâce au président Blaise COMPAORE qui y a élu domicile depuis sa chute en 2014, notamment pour le soutien politique dont avait besoin le CND. De son analyse, Alioune ZANRE et ses paires estime donc que cette façon de transiter les fonds visait à éviter toute trace de ce transfert et que l’aspect politique du coup d’Etat était dévoué au CDP et l’aspect militaire au général Gilbert DIENDERE et ses hommes. Mais pour ce cadre de banque qui n’ignore pas les rouages des flux bancaires, l’option de l’héliporter a été opté eu égard du fait les comptes du parti ainsi que de ses dignitaires étaient saisis et même gelés, donc impossible d’y avoir accès.
Egalement, pour le parquet, le fait que le sac d’argent destiné au Front républicain passe par les mains des putschistes à travers l’hélicoptère qui transportait leurs matériels militaires est la preuve que le CDP, notamment Léonce KONE était au courant du mouvement de l’hélicoptère, d’autant plus que dans son procès-verbal d’interrogatoire le général a confié que les propriétaires du sac d’argent ont profité du mouvement de leur hélicoptère pour effectuer le transfert d’argent. Mais pour l’accusé, « la coïncidence est inhabituelle et non troublante », d’autant plus qu’il ne coordonnait pas l’opération de collecte et de transfert des fonds. Selon Léonce KONE, ces cinquante millions (50 000 000) de francs CFA est le fruit d’une collecte de fonds des amis du Front républicain (FR) en terre ivoirienne dont le transfert a été organisé par René Emile KABORE qui a décidé de se soustraire à la justice burkinabè dans le cadre de cette affaire. « Je vous demande de ne pas fabriquer des faits. D’où tirez-vous que nous avons demandé au général de nous aider à transporter de l’argent ? », a-t-il demandé au parquet qui estime que le général ne pouvait pas être au courant de l’existence et du transfert de ce sac d’argent si l’on ne lui en avait pas parlé, car il n’est pas membre du CDP.
Malgré l’insistance du parquet de soutirer les noms des généreux donateurs ivoiriens, le 2e Vice-président du CDP est resté muet comme une carpe. « Je ne veux pas donner de noms, point final », a-t-il dit, excédé par cette question du parquet. Mais pour le ministère public, ce silence de l’accusé raisonne comme des bruits de casserole, donc est une réponse dont il peut également se contenter. Quoi qu’il en soit, le parquet a la conviction que le général VAGONDO est le pourvoyeur aussi bien de l’argent que du matériel militaire destiné aux putschistes. Mais pour Léonce KONE, il n’était que l’intermédiaire de la somme.
Mais pour son conseil, en l’occurrence Me Antoinette OUEDRAOGO, le parquet s’efforce à faire dire des choses contraires ou qui n’existent pas dans le dossier. Pour elle, le transfert de l’argent ne devait pas troubler le parquet, mais le fait que l’Etat-major ait accepté que l’hélicoptère se déplace à la frontière pour cette mission devrait plutôt l’inquiéter. « C’est une façon de harceler mon client. On n’accuse pas à la tête du client. On n’accuse, parce qu’on peut argumenter. Si l’on va s’en tenir à des déductions et à des supputations, on sera dans une impasse », a-t-elle souligné. Pour elle, le parquet manque simplement de preuves pour prouver la culpabilité de son client dans cette affaire.
A cette audience, le travail de l’expert, concernait la retranscription des messages a aussi critiqué par le conseil de Léonce KONE, car l’accusé ne reconnait pas certains messages et numéros de téléphone qui lui sont imputés. « L’expert a fait un travail en fraude », a-t-elle insisté. Mais pour Me FARAMA, l’accusé conteste tout simplement les messages qui ne l’arrangent pas. Des allégations que le sexagénaire réfute totalement. « Il n’y a rien qui me gêne. Il n’y a rien dans ce dossier qui me fasse peur », a-t-il donc souligné à ses détracteurs.
Candys Solange PILABRE/ YARO