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Interrogatoire du bâtonnier Mamadou Traoré : « Un avocat n’est pas un dieu, même Dieu on l’attaque. Je refuse qu’au nom de la confraternité, lorsqu’un avocat est poursuivi, cela devienne un problème de lèse-majesté », Me Farama

procès uneCe jeudi 22 novembre 2018, l’ancien bâtonnier Mamadou Traoré était de nouveau à la barre pour la suite de son interrogatoire dans le cadre du coup d’Etat de septembre 2015. Pour le bâtonnier et ses conseils, les faits pour lesquels il est poursuivi sont infâmes, injustifiés et infondés. Ils estiment par ailleurs que le bâtonnier, durant ces évènements, ne s’est jamais départi de sa robe d’avocat, donc n’a fait qu’exercer sa profession dans toute sa plénitude : celle de conseiller et d’être un intermédiaire du président sénégalais Macky Sall auprès du général Gilbert Diendéré. Une thèse balayée du revers de la main par le parquet et les avocats de la partie civile, qui soutiennent que durant le putsch, l’ex-bâtonnier a été aux côtés du général quatre étoiles en tant que conseiller juridique de ce dernier.

Les débats de ce jour se sont non seulement focalisés sur les heures énumérées par le bâtonnier dans son agenda du 16 septembre 2015 et jours suivants qui sont en contradiction avec celles déclinées par ses coaccusés, mais ont aussi porté sur le statut de l’accusé au moment des faits et à la barre : est-il poursuivi pour sa profession exercée durant le coup d’Etat de septembre 2015, ou pour les actes qu’il a eu à poser tendant à aider ou à accompagner le coup de force perpétré contre les autorités de la Transition ?

Dans les faits, le parquet note que des personnes comme le général Pingrenoma Zagré, chef d’état-major des armées au moment des faits, le capitaine Zoumbri, le commandant Korogo et le colonel Yonaba ont, dans leurs dépositions respectives,  affirmé soit avoir vu le bâtonnier Mamadou Traoré dans le bureau du chef de corps de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP), en compagnie d’autres civils et militaires, dans la nuit du 16 au 17 septembre 2015 aux environs de 3h du matin, qui détenaient de par-devers eux, le communiqué qui annonçait la prise de pouvoir du Conseil national de la démocratie (CND), organe des putschistes ; soit que la rencontre du général Diendéré avec les sages a pris fin aux environs de 3h du matin. Pourtant, le bâtonnier dans sa narration des faits, affirme avoir quitté le camp Naaba Koom II aux environs de minuit dans la nuit du 16 au 17 septembre 2015, après y avoir rencontré le général Gilbert Diendéré et lui avoir transmis le message dont il était porteur et qui émanait du président sénégalais Macky Sall, président de la CEDEAO au moment des faits.

procès2Pour le parquet, les déclarations de l’accusé étant aux antipodes de celles de certains de ces coaccusés et de certains témoins, cela montre à suffisance que le bâtonnier, contrairement à ce qu’il prétend, est resté au camp Naaba Koom II au-delà de minuit, justement pour peaufiner la déclaration qui devait porter le CND et le général Diendéré au sommet de l’Etat après l’arrestation du président de la Transition Michel Kafando, de son Premier ministre Yacouba Isaac Zida et deux autres de ses ministres. « Il est matériellement impossible pour vous de quitter le camp aux alentours de minuit après avoir rencontré le général Diendéré, puisque celui-ci a fini la réunion avec les Sages aux environs de 3h du matin ». Mais l’accusé est formel et ne se débine pas face à ces déclarations, malgré ces contradictions apparentes. « Voyez vous-mêmes, j’arrive au camp aux environs de 22h et j’y reste seul  jusqu’au lendemain à 7h. Cela pose un problème de logique. Alors, qu’est-ce que j’y ai fait seul pendant tout ce temps ? Le colonel Yonaba ne peut pas m’avoir vu à 7h le matin du 17 septembre 2015, je confirme, je reconfirme et je le répète », a-t-il martelé, dos au mur.

Par ailleurs, le parquet trouve curieux que le président Macky Sall n’appelle pas directement le général Diendéré qui est connu de pratiquement tous les chefs d’Etat de la sous-région et prenne le bâtonnier Traoré comme son émissaire dans cette affaire politico-militaire, d’autant plus que le Sénégal a une représentation diplomatique au Burkina Faso qui jouit d’une immunité. A cette observation, l’accusé répond : « Quand on n’est pas dans les positions, il ne faut pas forcer s’y mettre pour faire des spéculations. Il n’y a rien de curieux. Je suis avocat et cela rentre dans mes attributions. Ce procès est un Torquemada. Chacun raconte ce qu’il veut pour sauver sa tête ».Pour être convaincu des déclarations du bâtonnier, le parquet lui demande d’apporter la preuve formelle qu’il était l’émissaire du président Macky Sall. Ce qui a eu le don de révolter l’accusé et ses conseils. « Celui qui sait qu’il ne sait pas saura. Celui qui ne sait pas et qui prétend savoir ne saura rien. Au 21e siècle, demander à un avocat de produire la preuve de son mandat est infâme », a noté le bâtonnier Moussa Coulibaly, avocat de l’accusé, qui estime du reste que le bâtonnier en transmettant des messages au général durant ces évènements, faisait son travail d’avocat qui pour lui n’est pas incompatible avec sa fonction de conseiller spécial d’un président de la République. Pour lui, Me Traoré, dans cette affaire, n’a fait qu’exercer sa profession dans un contexte trouble. « Il a été sollicité, il a exécuté sa mission. C’est un sacerdoce. C’est l’exécution de sa mission, de sa profession qui le conduit aujourd’hui à la barre, porteur de charges aussi infâmes, injustifiées qu’infondées », a-t-il insisté.

En outre, pour le bâtonnier Patrice Monthé,  le parquet militaire fait une lecture partielle des déclarations de coaccusés pour charger le bâtonnier. « Le parquet fait une lecture à trous des procès-verbaux sur lesquels il s’appuie », a-t-il souligné. Pour lui, c’est à tort que son client est poursuivi. Pis, il estime que c’est la profession d’avocat qui est attaquée. C’est pourquoi il estime que les avocats de la partie civile devraient se joindre à la défense pour arrêter cette « forfaiture ». « Je suis triste pour le bâtonnier Traoré, homme d’honneur, traîné à la barre de l’infamie pour n’avoir rien fait, si ce n’est exercer sa fonction », a-t-il confié.

Quoi qu’il en soit, pour le parquet ainsi que les avocats de la partie civile, le bâtonnier n’est pas à la barre pour des faits relevant de sa fonction d’avocat, mais pour avoir aidé et accompagné les putschistes dans la consommation du coup d’Etat, à travers notamment la rédaction et la correction du communiqué ayant porté le CND et le général Gilbert Diendéré au sommet de l’Etat. « Le bâtonnier a aidé et assisté le coup d’Etat à travers la déclaration du CND et à travers son acceptation de faire partie de la délégation du général Diendéré lors de la rencontre avec les chefs d’Etat du Sénégal et du Bénin. Loin d’être un émissaire du président Macky Sall, il était le conseiller juridique du général. Au regard de ces éléments, il nous semble que l’infraction de complicité d’attentat à la sûreté de l’Etat est caractérisée et les meurtres et coups et blessures volontaires en sont les conséquences prévisibles, donc lui sont imputables », a expliqué le parquet, soutenu dans sa thèse par Me Séraphin Somé et ses pairs de la partie civile qui estiment du reste, que tout doit être clair afin que l’on ne quitte pas l’audience avec le sentiment qu’on en veut à la personne de Mamadou Traoré, parce qu’il est avocat. « Nous fréquentons la procès 3même chapelle, mais nous ne prions pas le même dieu. Un avocat n’est pas un dieu, même Dieu on l’attaque. Je refuse qu’au nom de la confraternité, lorsqu’un avocat est poursuivi, cela devienne un problème de lèse-majesté », a rétorqué Me Farama, tout en exprimant sa gêne dans cette affaire.

Concernant les charges de meurtre et de coups et blessures volontaires, l’accusé, tout comme à propos de  la première infraction, dit ne pas s’y reconnaître. « C’est infâme pour moi de voir que je suis accusé de meurtre et de coups et blessures volontaires sans pour autant avoir porté une arme une fois. Ni tuer quelqu’un, ni accepter qu’on tue quelqu’un ne font partie de mes valeurs », a-t-il soutenu.

Candys Solange Pilabré/ Yaro et Armelle Ouédraogo (Stagiaire)