À quand la fin des coups d’État en Afrique ? Certains répondront : lorsque les présidents seront de véritables exemples de démocratie vertueuse. Sauf que cette affirmation n’a de pertinence que dans le lexique des théoriciens qui ignorent les réalités de la gouvernance. Existe-t-il au monde un seul dirigeant qui soit un véritable symbole de consensus ? Il faut avoir la franchise de l’admettre, en raison de sa nature humaine, aucun responsable politique n’est parfait. Les meilleurs dans le domaine le sont parce qu'ils ont appris de leurs multiples erreurs et su rectifier le tir.
Ibrahim Boubacar Keita peut être relativement perçu comme un piètre président africain qui aura été quelque peu sourd à la grogne qui était de plus en plus persistante dans les rues de Bamako. Il n’en a pas fallu plus pour que l’irréparable se produise. C’est ainsi que dans la nuit du mardi 18 au mercredi 19 août, des militaires, sous la houlette d’Assimi Goita, ont « débarqué » ce président démocratiquement élu. Les militaires du Comité national pour le salut du peuple (CNSP) fraîchement créé par la junte ont donc profité des manifestations persistantes des civils, qui étaient pain béni pour eux, pour prendre le pouvoir. Et on peut affirmer sans risque de se tromper que l’opération n’a pas été spontanée mais planifiée en amont. La garde présidentielle était infiltrée par des éléments des forces spéciales pour faciliter la prise de la résidence présidentielle. Pour mettre dans l’embarras la communauté internationale, les nouveaux « hommes forts » du pays décident de ne pas mentionner le terme « putsch » dans leurs déclarations.
Démission forcée
Assimi Goita et ses hommes insistent et obtiennent d’IBK sa démission séance tenante sous peine de s’en prendre violemment à sa famille, véritable talon d’Achille du désormais ex-locataire du palais de Koulouba. Leur premier acte d’intimidation consistera à faire saccager et piller le domicile de son fils, Karim Keita. Ils multiplient les déclarations et bloquent le fonctionnement des institutions. L’économie, déjà chancelante, est ainsi mise à rude épreuve. Pourtant après plusieurs années de tergiversations le Mali était enfin sur la bonne voie de la démocratie ; une éclaircie malheureusement compromise par les agissements de groupes armées avec la bénédiction ambiguë de grandes puissances qui jouent un double jeu dans le pays de Soundjata Keita.
Le retour incessant des militaires au pouvoir traduit la boulimie de ces derniers. De nombreux officiers ou chefaillons militaires africains caressent de plus en plus le secret espoir qu’un jour ils seront PRESIDENTS. Un indigeste mélange d’incivisme, de naïveté et de manipulation des civils leur en donne l’opportunité. A quoi sert-il d’organiser des élections aujourd’hui pour ensuite restituer le pouvoir à une bande de copains armés avec la bénédiction de civils d'ordinaire instrumentalisés ? N’existe-t-il pas d’autres moyens de destitution des dirigeants incompétents ? Une chose est sûre, ces putschs à répétition profitent aux grandes puissances. Pour s’en convaincre il convient d’observer ce qui se passe en Libye. L’exécution de Kadhafi, minutieusement planifiée par la France, continue d’avoir des conséquences incommensurables sur la zone sahélo-saharienne.
Le Burkina et le Gabon : écoles de résistance aux putschs
Le mercredi 16 septembre 2015, vers 14h30, à quelques jours du lancement de la campagne présidentielle, des militaires de l’ex-Régiment de sécurité présidentielle tentent de s’emparer du pouvoir sous le prétexte d’une exclusion du scrutin présidentiel de certains partisans du pouvoir déchu de Blaise Compaoré. Pourtant le sujet avait fait l’objet d’un vote au Conseil national de la transition (instance parlementaire postinsurrection). Le président de la Transition, Michel Kafando, et certains membres de son gouvernement sont alors pris en otage au palais présidentiel. Devant cette nième forfaiture perpétrée par un groupuscule de soldats, les populations, avec l’appui de la grande majorité des forces armées et de défense, sous la médiation avisée du Mogho Naaba Baongo, réussissent à rétablir l’ordre constitutionnel. Les Burkinabè, de 1966 à 2014, ont fini par être saturés des avènements cycliques des putschs qui impactaient de manière drastique le développement de leur pays. En rappel, ce coup de force du général Diendéré et de ses hommes avait même été qualifié de coup d’État « le plus bête du monde ». Mais c’était compter sans le ridicule de certains putschistes du continent. Le 7 janvier 2019, le commandant-adjoint de la Garde républicaine gabonaise, le lieutenant Ondo Obiang Kelly, prend la tête d'un commando à Libreville, et tente de renverser le régime démocratiquement élu du président Ali Bongo, en convalescence au Maroc. Ils déclarent l'instauration d'un Conseil national de restauration à la télévision nationale et appellent les populations à manifester dans les rues. Leur exhibition ne dépassera pas ce cadre. Ils seront arrêtés ainsi que leurs complices.
En somme, dans un État de droit, il importe de laisser le président aller au terme de son mandat s'il a été démocratiquement élu. Il appartient aussi aux institutions du pays de mettre en place des mécanismes susceptibles d’abréger le mandat d’un élu qui se serait illégalement et illégitimement illustré.
Les démocraties dont les pays d’Afrique s’inspirent, telles que la France, les Etats-Unis et l’Angleterre, en sont la parfaite illustration. Sinon comment expliquer que suite aux violentes manifestations des gilets jaunes, l’armée française n’ait pas mis un terme au pouvoir d’Emmanuel Macron ? Donald Trump, en dépit de ses nombreuses frasques et de ses manquements dans la gouvernance, résiste à la loi de la rue. Ses élucubrations racistes en réaction à la mort de George Floyd, un Afro-Américain âgé de 46 ans, le 25 mai 2020, provoquée par Derek Chauvin, un policier blanc de Minneapolis, aux États-Unis, n’étaient pas suffisantes aux yeux des Américains pour exiger une intervention de l’armée à son encontre. Les procédures de destitution sont régies sous d’autres cieux par des textes. En Afrique, elles le sont par la loi des armes.
Une armée républicaine ne doit pas abuser des manifestations et des bouleversements sociaux pour s’ouvrir la voie royale de la présidence. Les coups d’État sont le plus souvent des coups d’éclat qui ne sauraient être la panacée à la mauvaise gouvernance en Afrique.
Pour dissuader d’éventuels putschistes, la communauté internationale et précisément les organisations ouest-africaines doivent rétablir IBK dans ses fonctions de chef de l’État. Mieux, les instigateurs de cet « assassinat de la démocratie » doivent être mis aux arrêts et sanctionnés conformément aux textes en vigueur au Mali. C’est l’ultime acte, la lueur d’espoir qui pourrait sauver ce pays et bien d’autres d’une usurpation contre-productive orchestrée par des soldats politiquement trop ambitieux.
De la Côte d’Ivoire à la Guinée en passant par le Sénégal, le cas de Bamako doit faire cogiter.
Kandobi Yeda