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Chefferie traditionnelle : « … Utiliser le bonnet du chef pour avoir des comportements désobligeants, c’est contraire aux principes de la chefferie… », Me Frédéric Titinga PACERE

001En Afrique,  plus précisément au Burkina Faso, la chefferie traditionnelle joue un rôle très important, notamment dans la gestion des conflits. On a en mémoire le rôle des coutumiers dans la gestion de la Transition politique en 2015 et du putsch manqué et récemment dans la résolution de certaines crises sociales. Les perceptions divergent sur le rôle exact que doit jouer la chefferie coutumière. Sans langue de bois, Maître Frédéric Titinga PACERE, avocat, homme de lettres et chef traditionnel burkinabè aborde le sujet avec Radars Info Burkina.

 

Radars Info Burkina (RIB) : Maître Frédéric Titenga PACERE, depuis décembre 2015, vous portez le bonnet rouge. Vous êtes le Panantougri naaba, le chef de Manega. Alors comment doit-on vous appeler maintenant vu que vous êtes un homme à plusieurs casquettes?

Frédéric Titinga PACERE (FTP) : Pour vous dire la vérité, je ne sais pas. Comme vous l’avez souligné, Maître Frédéric Titinga PACERE est un homme à plusieurs casquettes. Ma vie ne se résume pas seulement à la chefferie. Je suis un homme du monde surtout avec mes admissions dans les académies. Pour moi, tous mes titres sont importants. C’est pourquoi, j’ai demandé à ma famille de permettre que chaque personne m’appelle par le titre qu’il souhaite en fonction des situations. Vous pouvez donc utiliser le titre que vous voulez pour m’appeler (rires).

RIB : D’aucuns pensent que vous avez usurpé votre titre de chef de Manega. Est-ce que selon la coutume, vous étiez destiné au trône ?

FTP : (Rires). Oui, beaucoup pensent que j’ai fait de l’usurpation, mais ce n’est pas le cas. Mon problème, c’est que je suis discret. Je n’aime pas parler de ma vie. Vous savez, mon père était le Manega naaba Guiguemdé ou le roi lion. Il a eu dix-sept (17) enfants de sexe masculin dont j’étais le fils aîné. A sa mort, je n’avais que onze (11) ans et j’étais l’héritier du trône. Mais la dernière volonté de mon père était que je continue mes études avant de porter la couronne. Il tenait à ce que je m’imprègne aussi de la culture occidentale. C’est pourquoi, j’ai demandé au Zitenga Naaba (personne chargée des nominations) de porter mon oncle  (dernier petit-frère de mon père) au pouvoir. Dans les années 70 quand celui-ci mourait, j’étais toujours en année de doctorat en France et c’est son fils aîné qui a été fait chef. C’est à la mort de ce dernier que j’ai manifesté mon intérêt pour le trône. Il y avait déjà douze (12) candidats qui prétendaient aussi au trône. Mais quand j’ai déposé ma candidature, ils ont retiré la leur. Pour eux, j’étais le chef qu’il fallait à Manega au regard des réalisations que j’ai fait au village. C’est donc à juste titre que je suis chef de Manega.

RIB : Vous avez décidez de prendre comme nom de roi, le Panantougri naaba ? Quel sens revêt ce nom ?

FTP : Je ne connais pas de chef qui ait porté ce nom. En mooré, Panantougri signifie « l’aigle huppé  d’Afrique ». Un oiseau, réputé être puissant, car étant capable d’attraper une biche ou une chèvre. Les dignitaires au regard de ma grande culture du monde, ont voulu que je prenne un nom qui puisse montrer la grandeur et la puissance de la culture mossé. C’est pourquoi, j’ai choisi, de me faire appeler, le Panantougri naaba qui signifie le roi du ciel et de la terre.

RIB : L’aigle, c’est la puissance, mais c’est aussi cet oiseau qui emporte les poussins !

FTP : (Rires) Oui, c’est vrai, mais il faut savoir que ce n’est pas le nom qui guide les actions du chef. Le plus important, c’est la devise qui sous-tend ce nom. Le nom peut signifier beaucoup de choses, mais c’est la devise qui compte. Ma devise est : « l’aigle huppé à planter ses semis. Que tout agent qui gratte (poule, perdreau, …) se tienne de côté ». Ceci, pour dire que tous ceux qui ont un esprit mauvais pour Manega et le Burkina Faso, de façon générale, se tiennent à l’écart, car je serai sans pitié avec eux. Mon nom de chef est donc une mise en garde à l’endroit des ennemis et de tous ceux qui veulent détruire Manega et mon pays.

RIB : De façon générale, il est dit qu’il y a trois (3) types de titres chez les mossé. Quels sont alors les autres titres coutumiers de Me PACERE ?

FTP : Chaque chef mossé doit se donner trois (3) titres. Il faut un titre qui représente une mise en garde à l’endroit des ennemis, un autre qui doit être votre programme d’actions et le dernier par lequel, le chef remercie tous ceux qui l’ont aidé. Comme je vous l’avais dit, Panatougri est mon nom qui met en garde les ennemis. Mon titre qui incarne mon programme d’actions, est Naaba Péogo qui veut dire le « roi bélier ». La devise est : «  le bélier de race est entré dans le troupeau. S’il ne le détruit pas, il le construira ». C’est énigmatique. Mon troisième titre, c’est le Naaba Sanem ou le « roi or ». L’or ici, c’est le trône doré sur lequel je suis assis. En choisissant donc l’or comme symbole, je magnifie mon trône et de  facto, je remercie tous ceux qui m’ont fait confiance en me portant au sommet. Mon trône est très important, car contrairement à l’entendement populaire, Manega n’est pas un village. C’est la capitale de Zitenga. Ce que les gens ne savent pas, c’est que Zitenga regroupe vingt-six (26) villages administratifs et coutumiers.

 

RIB : Il y a maintenant beaucoup de bonnets rouges au Burkina Faso. Beaucoup de chefs de villages arborent le bonnet dans leur lieu de travail. Certains même à cause de leurs titres, vont jusqu’à manquer de respect à leur supérieur. En tant que chef, comment vous appréciez cette situation ?

FTP : (Avec une mine écœurée). Cela, ce n’est pas être chef. Le principe du chef, c’est de respecter tout le monde. D’ailleurs, c’est ce que mon père m’a appris avant de mourir. C’est pourquoi, vous n’entendrez jamais dire que Me PACERE a insulté quelqu’un. De toute ma vie, je n’ai insulté personne. Le vrai chef, c’est celui qui respecte sa population. Egalement, lorsqu’on devient chef, on ne doit plus sortir la tête nue. Il faut toujours arborer une coiffe. Le bonnet devient alors obligatoire en tout temps et en tout lieu. Je comprends donc que certains soient obligés de porter leurs bonnets au service. Mais si on occupe les fonctions de l’Etat, ce n’est pas nécessaire de porter le bonnet du trône. Un bonnet ordinaire conviendrait. Mais utiliser le bonnet du chef pour avoir des comportements désobligeants, c’est contraire aux principes de la chefferie. Récemment, dans mon royaume, j’ai nommé des ministres. Mon gouvernement compte plus de vingt (20) ministres, car mon royaume est grand (je gouverne sur vingt-six villages).  Mais en leur remettant le pouvoir, je les ai prévenus que conformément à la coutume, je leur remettais les insignes du pouvoir (bonnet, canne et couteau), mais si j’apprends qu’ils ont manqué du respect à quelqu’un, je vais leur retirer le bonnet. Ceci, pour vous dire que je suis foncièrement contre ceux qui utilisent le bonnet pour croire qu’ils sont supérieurs aux autres. C’est contre la chefferie traditionnelle.

 Me Pacere 1

RIB : Beaucoup de chefs traditionnels sont aujourd’hui des champions de la médiation. Par exemple, le Mogho naaba a reçu plusieurs distinctions pour sa médiation dans les conflits.  On se souvient encore de son intervention lors du coup d’Etat manqué de septembre 2015 pour éviter le pire. Alors, en vérité, est-ce qu’un chef coutumier doit mettre la médiation au devant de toute action ?

FTP : La médiation doit être au centre des actions du chef coutumier, car il doit être un vecteur de paix. Ce qui fait que dès qu’on a le bâton de commandement, on ne peut plus croiser les bras. Il faut tout prévoir. La médiation, c’est l’essence même du chef, son mode de définition. C’est pourquoi, j’applaudis, j’accompagne et je félicite le Mogho naaba. C’est cela être chef en réalité. Le Mogho naaba, par ses différentes actions de médiation, joue exactement son rôle et fait son devoir son chef.

 

RIB : Le Mogho naaba est tellement important en terme de médiation au Burkina Faso, que certains estiment qu’on pourrait envisager un système politique à la limite de la monarchie britannique où semblable aux Ashantis. Est-ce qu’au Burkina Faso, on peut véritablement prétendre à une monarchie constitutionnelle ?

FTP : Ce que je dis n’engage que moi. J’ai été reçu par plusieurs rois à travers le monde, donc je sais de quoi vous parlez. Mais tout est une question d’histoire. Ces peuples se sont constitués à partir de la monarchie. Ce qui n’est pas le cas pour le Burkina Faso. Notre pays a aujourd’hui soixante-sept (67) groupes ethniques, même si les mossé représentent à eux seuls cinquante deux pour cent (52%) de la population. Si on prend seulement les mossé, on a quatre (4)  grands chefs que sont le Mogho naaba, le roi de Tenkodogo, du Yatenga et le Boussouma naaba. Ils sont importants au même titre et se respectent tous de la même manière. Privilégier un parmi les quatre ne serait pas bien. En plus, on a les autres chefs des autres ethnies qui sont aussi importants que les chefs mossé. Je crois donc que le Burkina Faso ne peut pas évoluer vers une monarchie constitutionnelle du moment que les soixante-sept (67) ethnies que compte le pays, ne relèvent pas d’une seule entité ethnique. Ce ne serait même pas dans l’intérêt du Mogho naaba. Il est mieux que l’on reste en République. C’est à la République d’organiser la place de la chefferie coutumière, en lui attribuant des possibilités afin qu’elle continue son rôle d’aide du pouvoir ou de contre-pouvoir et de construction de la paix. Je demande alors à ce qu’on accorde à la chefferie coutumière, une place réglementée et organisée dans la constitution. Il ne faudrait surtout pas que les gens pensent que les rois doivent prendre le pouvoir de la République.

RIB : Chaque peuple a donc son histoire. Mais un chef en exil ou en étude peut-il déléguer son pouvoir ? Cela ne relève t-il pas d’un crime de lèse-majesté ?

FTP : Tout dépend des groupes ethniques. Je ne peux pas parler à la place des autres. Mais chez les mossé, il y a un minimum d’emprise réelle du chef sur le territoire qu’il gouverne. C’est pourquoi, tous les ans, il doit faire la « fête baska ». En tant que chef, il n’a pas la possibilité de déléguer ses pouvoirs pour une telle cérémonie qui regorge de grands rituels. Il peut déléguer ses pouvoirs, mais une fois par an, sa présence physique est obligatoire, dans le cas contraire, je trouve que la chefferie ne jouerait pas pleinement son rôle.

 

RIB : Beaucoup de choses se disent en ce qui concerne les mossé et les gourmantchés. Vous qui êtes un avisé des questions culturelles au Burkina Faso, dites nous, existe-t-il un lien de parenté entre ces deux ethnies ?

FTP : Le sujet est complexe, car il y a beaucoup de thèses. Vous voyez, le Pr Dominique ZAHAN de l’université de Strasbourg a fait des recherches en Centrafrique pendant dix (10) ans. Il s’est alors aperçu que la fête annuelle coutumière d’un des rois centrafricains tombe exactement sur la « fête baska » du Mogho naaba. Il a aussi découvert que cents (100) mots de ce groupe ethnique se retrouvent aussi au Mogho. D’autres recherches ont aussi montré que l’origine des mossé va même jusqu’au Lac-Tchad. Le chasseur Rialé aurait quitté la zone de Tounga pour la Centrafrique. Son évolution l’a conduit jusqu’au Niger où il serait resté à Paga, un village mossé situé entre Niamey et Ouagadougou. Ce qui fait que certains pensent que les mossé viennent du Niger, car le chasseur aurait eu un enfant là-bas. Il aurait ensuite continué à Tombouctou, où il aurait suivi le fleuve pour se retrouver dans la zone actuelle de Fada N’Gourma. Là-bas il aurait eu un enfant qui serait Diaba LOMPO. Il aurait ensuite continué dans la forêt où il a rencontré Yennega avec qui, il a eu Ouédraogo. Ainsi, dans la thèse des grands coutumiers mossé, Diaba LOMPO et Ouédraogo seraient des frères, de même père et non pas de la même mère. C’est pourquoi, quand les rois mossé sont en compagnie des rois gourmantchés, ces derniers sont mis en avant. Le roi gourmantché est toujours en tête, ensuite viennent le roi de Tenkodogo, le Mogho naaba, le roi du Yatenga et enfin le Boussouma naaba. Pour les mossé donc, il y a un lien de parenté entre gourmantché et mossé. Mais, certains dont je tairais le nom refusent catégoriquement cette théorie. En tant qu’intellectuel, je privilégie la thèse qui unit nos peuples. Ces deux (2) ethnies estiment qu’ils sont de la même famille, tant mieux. Cela contribue à préserver l’unité du Burkina Faso et de la région. Voilà donc ce que je pouvais dire sur le lien de famille qu’il y a entre ces deux (2) peuples.

Propos recueillis par Richard TIENE/ retranscrits par Candys Solange PILABRE/ YARO